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Épisode 3 : Les islams des Balkans, une mosaïque complexe Jean-Arnault Dérens

Avril-Mai 2016

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Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du Courrier des Balkans

« Tout droit de reproduction interdit sans autorisation »


Une petite mosquée blanche perdue dans le vert intense des pacages d’altitude du Sandjak de Novi Pazar, une teqe bektashi récemment restaurée, accrochée au flanc d’une montagne d’Albanie, la turbe d’un saint homme oublié, que recouvrent les ronces, quelque part au Kosovo ou en Macédoine, les nishan, ces pierres funéraires blanches, qui tapissent les collines de Sarajevo, l’appel à la prière que lancent en même temps dix mosquées de Prizren, au Kosovo, quand les minarets se répondent les uns aux autres…

L’islam fait partie du paysage des Balkans, urbain et rural, de leur environnement visuel et sonore. Il a profondément marqué les cultures, les usages sociaux de tous les peuples de la région — quelle que soit leur appartenance confessionnelle.

Cet islam implanté depuis des siècles en terre d’Europe est-il un islam « européen » aux caractéristiques propres et distinctes ? Ou bien n’est-il qu’un fragment de l’oumma, soumis aux influences, aux évolutions, aux déchirements qui affectent l’ensemble de la communauté des croyants ? Cet islam de tradition ottomane est-il intrinsèquement plus « modéré » que celui pratique dans d’autres régions du monde ? Comment a-t-il pu gérer sa cohabitation pluriséculaire avec d’autres religions ? Comment a-t-il su s’accommoder de l’expérience des socialismes du XXe siècle ? Existe-t-il, en somme, un « islam des Balkans » ou bien plutôt une multiplicité de parcours, d’expériences parfois contradictoires ? Alors que les discours islamophobes cherchent à fixer une image figée et immuable de l’islam, l’expérience des Balkans montre au contraire l’extraordinaire diversité des pratiques de la religion musulmane, leur grande plasticité, les mille manières, parfois choisies, parfois contraintes, de la vivre.

La conquête et la conversion

Fin octobre 2015, le reisu-l-ulema Husein efendi Kavazović, la plus haute autorité de l’islam en Bosnie-Herzégovine, a répondu à Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, qui prétendait que « l’islam n’a rien à voir avec l’Europe », car « il s’agit d’un ensemble de règles qui ont été créées pour un autre monde, et l’islam a été importé sur notre continent ». Le chef des musulmans bosniens s’est empressé de lui rétorquer que « le judaïsme, tout comme la religion chrétienne, ont également été importés en Europe de l’étranger ». En rappelant l’évidence que les trois grands monothéismes sont tous nés hors de notre continent, le reis Kavazović démonte l’un des stéréotypes les plus répandus de l’islamophobie, tout en rappelant que l’islam a une longue et prestigieuse histoire en terre d’Europe, une histoire qui commence en Sicile et en al-Andalus, l’Espagne musulmane des Omeyyades, pour se poursuivre dans les Balkans…

Comment l’islam a-t-il pris pied dans la région ? Par suite de la conquête ottomane, expliquent les historiens, même si les derviches, ces mystiques soufis présents dans tout le monde de l’islam, soutiennent qu’ils ont eux-mêmes précédé les armées de la conquête et que certains prédicateurs gyrovagues arpentaient déjà la région avant que les armées turques n’y pénètrent, frappant les esprits par leur dénuement, leur extrême piété et les prodiges que Dieu leur donnait la force d’accomplir... C’est possible, et la conversion ne fut d’ailleurs pas une conséquence directe, immédiate et automatique de la conquête : celle-ci a simplement rendue possible (et souvent avantageuse) l’hypothèse de la conversion. En effet, l’Empire ottoman s’en tenait strictement au principe de tolérance à l’égard des religions monothéistes révélées, tel qu’il est prôné par le Coran. Chrétiens et juifs étaient donc les protégés du Sultan et, en échange de cette protection, ils devaient verser un impôt spécial de reconnaissance, la djizya. Cette capitation les dispensait du service militaire et du zakat, l’impôt dont s’acquittaient les fidèles. Ils étaient des dhimmis, des protégés, mais donc également des sujets de seconde zone, soumis au bon vouloir du prince et à certaines limites très concrètes, notamment dans leur accès à la propriété. Ils devaient d’ailleurs s’acquitter d’une taxe foncière spécifique, le haraç. S’il n’y avait donc pas obligation à embrasser l’islam, beaucoup trouvaient avantage à le faire.

Pourquoi certains peuples se sont-ils rapidement convertis et d’autres pas ? En Bosnie-Herzégovine, conquise en 1463, les conversions furent rapides et massives, affectant toutes les catégories sociales.

Les nationalistes de Sarajevo ont leur explication, invoquant le souvenir de l’Église bosniaque hérétique du Moyen-Âge, d’inspiration dualiste — proche donc des bogomiles bulgares ou des cathares de France et d’Italie. En butte aux persécutions des catholiques et des orthodoxes, les fidèles de cette Église auraient trouvé un refuge commode dans l’islam… Cette théorie, forgée au début du XXe siècle, à l’époque du mandat austro-hongrois, quand les autorités d’occupation essayent de valoriser le bošnjaštvo, le nationalisme bosniaque, face aux influences croates et surtout serbes, a le grand avantage d’insister sur l’autochtonie des musulmans de Bosnie qui, en adoptant la dernière venue des religions n’auraient en réalité fait que défendre, dans le secret, la plus vieille tradition spirituelle du pays… Hélas, elle ne repose sur aucune preuve sérieuse et se heurte à un hiatus chronologique d’un siècle ou deux entre la disparition des derniers fidèles de cette Église bosniaque et la conquête ottomane. Par contre, la Bosnie-Herzégovine du XVIe siècle demeurait une terre disputée, au carrefour d’influence des deux chrétientés, celle d’Orient et celle d’Occident, tandis que les structures ecclésiastiques étaient faibles et distendues — autant d’éléments qui expliquent la facilite et la rapidité du phénomène des conversions.

Le monde albanais se trouve également sur cette ligne de faille qui divise la chrétienté depuis le Grand Schisme de 1054, mais l’encadrement ecclésial était surement plus solide — même si les prêtres de village avaient tendance à mélanger les rites latins et grecs, à se revendiquer à la fois du pape et du patriarche — au point que des paroisses entières prirent le chemin de l’exil après la conquête ottomane, formant ainsi les communautés arberesh d’Italie du Sud. Dans tout le monde albanais, les conversions furent lentes et progressives : le processus se poursuivait encore au XVIIIe et au XIXe siècle, s’accommodant parfois d’étonnants et dangereux aller-retour entre les deux religions. Au Kosovo, on trouve toujours trace d’un phénomène qui fut massif, celui du cryptocatholicisme : tout en professant publiquement l’islam, certaines communautés villageoises conservaient dans le secret la foi chrétienne, qu’elles entretenaient par des prières et des rites cachés, célébrés sans prêtre — au risque de devoir supporter la terrible accusation d’apostasie de l’islam. Dans certaines régions, les hommes, qui possédaient les biens et pouvaient ester en justice, étaient musulmans, tandis que les femmes, qui élevaient les enfants et leur transmettaient les rudiments de la foi, restaient publiquement chrétiennes.

D’autres peuples, comme les Grecs, les Serbes, les Bulgares ou les Roumains, tirent gloire d’être restés réfractaires à la conversion, et considèrent l’appartenance à l’orthodoxie comme l’un des fondements de leur identité. Si beaucoup de Grecs, de Serbes ou de Bulgares se convertirent à l’islam — le voyageur Evliya Celebi (1611-1682) ne parlait-il pas de Belgrade comme de « la ville aux cent mosquées » ? — l’ancrage dans l’orthodoxie fut un « marqueur » essentiel de l’identité des nations modernes en gestation.

Du millet à l’hérésie « ethnophyletiste »

S’il est une hérésie communément pratiquée par la quasi-totalité des Églises orthodoxes des Balkans, c’est bien celle d’ethno phylétisme. La chose à été définie en 1872, lors du second concile de Constantinople, et repose sur une confusion entre les intérêts de l’Église et ceux de la nation. Cette hérésie a été fulminée par le patriarche œcuménique de Constantinople en réponse aux aspirations des orthodoxes bulgares qui prétendaient à l’autonomie ecclésiale et voulaient donc se détacher du patriarcat œcuménique. Si, dans le monde orthodoxe, Église et nation entretiennent des liens étroits et souvent toxiques, la théologie n’est pas la seule fautive, l’Empire ottoman a sa part de responsabilité.

En effet, l’Empire ne connaissait pas de catégorie « nationale » mais des millet, des communautés confessionnelles, qui s’auto-organisaient et disposaient de leurs propres structures financières et judiciaires. Il y eut ainsi un Yahudi millet (Millet des juifs) et un Rum millet (Millet des chrétiens), dirigé par le patriarche de Constantinople, qui avait lui-même rang de pacha ottoman. Au XVIe siècle, les Églises autocéphales de Peć et d’Ohrid furent restaurées, jouissant d’une pleine reconnaissance de l’Empire : le patriarcat serbe de Peć, au Kosovo, fournit le modèle par excellence d’une structure ecclésiastique ayant assumé un rôle d’institution proto-nationale. Devenu garant de l’identité serbe, le patriarcat de Peć — supprimé par la Porte en 1766 mais « maintenu » en exil à Sremski Karlovci, alors territoire autrichien — a joué un rôle majeur dans la formation de la nation serbe moderne, dont l’identité orthodoxe est un des fondements.

Mais alors que les communautés religieuses minoritaires — orthodoxes, latines, arméniennes, juives, etc. — affirmaient leurs spécificités et revendiquaient des droits accrus, qu’en était-il des sujets musulmans de l’Empire ? Indépendamment de la ou des langue (s) vernaculaires (s) qu’ils parlaient, ces sujets musulmans se définissaient essentiellement par leur statut social : ils pouvaient être fonctionnaires, soldats, appartenir à une guilde (esnaf) d’artisans ou de marchands, mais la plupart appartenaient à la raya, la plèbe, le petit peuple des villes ou des campagnes. Certains étaient riches, d’autres n’étaient que de misérables vagabonds, et ces différences sociales étaient bien plus importantes que les variations « ethniques » qui, durant longtemps, n’alimentèrent pas de solidarités particulières.

L’Empire était une civilisation urbaine : les villes étaient le centre du pouvoir et de la vie économique. Toutes celles des Balkans se développèrent considérablement à l’époque ottomane. Les agglomérations anciennes furent profondément remodelées selon les règles universelles de l’urbanisme ottoman, avec leurs bazars (çarşı en turc, čaršija dans les langues slaves, çarshi en albanais). Dans ces villes, la coexistence des religions et des langues étaient la règle et non l’exception, on y maniait fréquemment cinq ou six idiomes différentes : outre une langue slave, il faut citer le turc, le ladino des juifs séfarades, l’albanais ou le grec, le rromani, mais aussi les langues de la religion, c’est-à-dire l’arabe de la mosquée, l’hébreu de la synagogue, le slavon de l’Église orthodoxe et le latin de sa rivale catholique, sans oublier les langues des marchands aroumains ou arméniens…

Néanmoins, l’islam soudait les élites des patriciats urbains, quelles que soient leurs origines « ethniques ». Tout au long du XXe siècle encore, au Kosovo ou en Macédoine, les vieilles élites musulmanes urbaines furent multilingues, maniant aussi bien le turc que l’albanais voire le macédonien ou le serbe, et « hésitèrent » souvent sur leur identification nationale, se déclarant ainsi, au gré des recensements, tantôt de nationalité albanaise et tantôt turque.

Le monde des campagnes était naturellement moins complexe, même si, d’un village à l’autre, d’une vallée à la suivante, les langues parlées, les religions pratiquées pouvaient varier. Quoi qu’il en soit et quelque soit leur statut social, les musulmans ne furent pas les premiers touchés par l’effervescence nationale qui s’empara des Balkans dès le début du XIXe siècle. Les nations et les nationalismes modernes furent portées par les peuples chrétiens voulant rompre avec le « joug » ottoman, tandis que les populations musulmanes restèrent initialement à l’écart de cette construction nouvelle : elles furent même chassées, expulsées voire massacrées, notamment lors des premiers soulèvements serbes et la grecs. Les musulmans, s’ils voulaient trouver leur place dans ces nouvelles formations sociales en violente gestation, n’avaient d’autre choix que de se convertir. Le « siècle des nationalismes » fut un siècle de grands bouleversements politiques, sociaux, territoriaux : les frontières ne cessèrent de se modifier, et les passages d’une foi à l’autre furent bien nombreux. Les populations musulmanes de l’Empire ne cessèrent de fuir, alors que celui-ci se rétractait comme peau de chagrin. Certaines régions jouèrent un rôle de refuge pour ces populations, comme le Sandjak de Novi Pazar, bande de terre reliant la Bosnie-Herzégovine au Kosovo, aujourd’hui partagée entre la Serbie, au nord, et le Monténégro, au sud : ce dernier est resté possession ottomane après le Congrès de Berlin (1878), malgré la présence de quelques garnisons austro-hongroises. La population de l’actuelle Turquie est largement composée de descendants de muhacir, de réfugiés venus des provinces perdues des Balkans ou du Caucase.

Dans les régions restées sous contrôle ottoman jusqu’aux guerres balkaniques de 1912-1913, on regardait ces événements avec effroi et accablement : c’était un ordre social établi depuis des siècles, réputé immuable, qui s’effondrait soudain. Déjà, les signes avant-coureurs de ce bouleversement étaient apparus avec les tanzimats, les reformes de l’Empire, qui avaient fort déplu aux vieilles aristocraties musulmanes de Bosnie-Herzégovine. Les musulmans des Balkans cultivèrent donc longtemps une position « légaliste » à l’égard de l’Empire, et ne furent que tardivement touchés par le nationalisme.

Ce fut notamment le cas du monde albanais, où le fort sentiment d’une identité commune basée sur la langue et l’histoire venait pourtant contrebalancer les différences confessionnelles. La première manifestation d’un nationalisme albanais moderne eut lieu en 1878, avec la convocation de la Ligue de Prizren, qui réunit des notables de toutes les régions albanaises de l’Empire — et de toutes les religions, même si les musulmans étaient, de loin, les plus nombreux. La Ligue revendiqua la reconnaissance d’une autonomie pour les territoires albanais jusqu’alors administrativement partages entre plusieurs sandjaks et vilayet (provinces), mais en restant dans le cadre de l’Empire, et en s’opposant donc aux revendications sécessionnistes des peuples chrétiens de la région.

Néanmoins, la formation de cette Ligue représenta un moment essentiel dans l’émergence d’un nationalisme capable de transcender les différences confessionnelles — les Albanais se partagent entre islam, catholicisme et orthodoxie.

Islam des derviches et islam des oulemas

Le regretté Alexandre Popović (1931-2014) fut un des premiers à mener des travaux sur la foi vécue des populations musulmanes des Balkans. Il a montré l’importance des pratiques magiques, des croyances populaires, souvent marquées par de nombreuses formes de syncrétisme, normales dans des sociétés pluriconfessionnelles. Ces pratiques reprennent souvent un fond ancien de sacralité, celui qui entoure les éléments naturels, les rivières, les sources, les montagnes, comme le Mont Tomor, en Albanie, près de Berat, théâtre du grand pèlerinage annuel des bektashis. Ces pratiques rencontrent et réinterprètent souvent les traditions chrétiennes, et des formes diverses de syncrétisme font bien souvent partie des manières « normales » de vivre sa foi, qu’elle soit musulmane ou chrétienne. Ainsi, les saints guérisseurs Come et Damien sont-ils fréquemment invoqués par les musulmans, comme au monastère de Zočište (Kosovo), reconstruit après avoir été détruit et incendié par des extrémistes albanais en 1999 et 2004. Dans cette même région, de forte tradition derviche, les Serbes orthodoxes n’hésitaient pas, avant la guerre, à se rendre eux aussi à la teqe en cas de problème que l’intercession des saints chrétiens n’arrivait pas à résoudre.

Le jour de la Saint-Georges (Djurdjevdan), le 6 mai (23 avril dans le calendrier julien suivi par les Églises d’Orient), est une date majeure pour de nombreux musulmans des Balkans : il est notamment jour de fête pour les Rroms de toute confession, qui font coïncider cette date avec la fête d’Ederlezi. Celle-ci, célébrée dans tout le monde turcophone (Hıdırellez) commémore la rencontre sur terre des prophètes Elie et Hızır le Verdoyant, qui n’est pas cité par le Coran mais joue un rôle majeur dans les rituels alévis.

Qu’ils soient orthodoxes ou musulmans, tous les Rroms des Balkans célèbrent cette fête joyeuse qui marque le début du printemps et le renouveau de l’année par un rituel de purification, en allant se baigner dans la plus proche rivière. Le jour de la Saint-Georges est également la plus grande fête annuelle des Pomaks  de Bulgarie ou des Gorani, ces montagnards musulmans installés dans le massif du Shar, au carrefour du Kosovo, de l’Albanie et de la Macédoine. Selon les historiens serbes, les Gorani ne se seraient convertis à l’islam qu’au XVIIIe siècle, et ce rite calendaire garderait mémoire de leur ancienne foi orthodoxe.

La foi musulmane vécue, dans les Balkans comme ailleurs, est profondément pénétrée par la spiritualité des derviches soufis. C’est vers eux que l’on se tourne pour obtenir une bénédiction, une amulette protectrice. Ce sont les derviches, vivants ou morts, qui servent d’intermédiaires entre ce monde et la transcendance divine. Les tombeaux, les turbe, sont l’objet de vives dévotions — même quand le souvenir de l’exacte identité du saint homme qui y repose s’est étiolé avec le temps. Une turbe constitue de toute manière l’indispensable point d’ancrage auquel peut s’accrocher une teke, une communauté vivante de derviches. Dans les villes où ces derniers sont toujours actifs, comme par exemple Orahovac / Rahovec ou Djakovica / Gjakove, au Kosovo, la teke (teqe en albanais) est un lieu de sociabilité majeur, où se discutent les affaires politiques et civiles : le muhabet, la « conversation » que conduit le sheikh réunit les notables de la ville, et la teke joue le rôle d’un club, aux fonctions comparables à celles des confréries catholiques d’Occident, voire des loges franc-maçonnes. Les derviches, comme dans le magnifique roman de Meša Selimović, aspirent au retrait, au renoncement du monde, mais ils sont toujours rattrapés par les affaires de la cité. Le sheikh est à la fois un sage conseiller, un dirigeant communautaire et un intercesseur privilégié : il est lui-même le dernier maillon d’une chaine de parenté par le sang ou l’esprit, la silsila, qui remonte jusqu’au Prophète. Le coeur des disciples doit brûler d’amour pour leur sheikh, car cet amour constitue le chemin même qui entraine l’âme, se détachant du corps mortel, dans la contemplation directe de la Transcendance.

L’histoire des derviches dans les Balkans est faite de permanents recommencements. Les différents ordres (tarikat) vont, viennent, s’implantent, disparaissent, se reforment.

Chaque ordre possède son histoire, sa filiation mystique, ses traditions et ses pratiques propres, celles-ci évoluent à travers le temps et peuvent considérablement varier d’une teqe à l’autre. Aujourd’hui, les grandes teqe rifa’i et sa’adi, implantées au Kosovo et en Macédoine, sont les seules à conserver des pratiques physiques extrêmes, quand les derviches entrent en transe au cours du zikr, le rituel de répétition infini du Nom du Créateur. Alors, tout devient possible : les couteaux entrent dans les corps, les piques de fer s’enfoncent dans les gorges, dans les têtes, sans que ne perle une seule goutte de sang… Les teqe rifa’i d’Orahovac / Rahovec, Prizren et Skopje ont été « refondées » au XIXe siècle par des missionnaires venus de Syrie : leur développement s’inscrit dans la dernière vague de conversion massive des populations locales à l’islam.

Tous les derviches des Balkans portent le deuil d’achoura lors de l’anniversaire de la bataille de Kerbala, au dixième jour du mois de muharem, qui fait suite à celui du ramadan, en mémoire de l’imam Husein, et vouent une dévotion particulière à Ali, gendre du prophète : s’inscrivent-ils pour autant dans le « parti d’Ali », le shiisme ? Il est impossible d’être catégorique, car tout peut changer d’une teqe à l’autre, même si certains derviches du Kosovo font cohabiter sur les murs de leurs teqe de jolis portraits brodés au macramé de l’imam Ali et de l’ayatollah Khomeini. En réalité, tout est question de rapport de force : les confréries ne se perçoivent elles-mêmes comme une alternative au sunnisme que lorsqu’elles jouissent, à l’échelle d’une ville ou d’une petite région, d’une « masse critique » suffisante pour prétendre à une forme « d’hégémonie culturelle ».

Ainsi, à Orahovac / Rahovec, le sheikh des rifa’i dirige-t-il un zikr qui remplace la juma, la grande prière du vendredi midi. On fréquente soit la teqe, soit la mosquée, pas les deux, alors qu’ailleurs, les confréries ne représentent qu’un complément spirituel à de pieux musulmans sunnites qui doivent, par ailleurs, respecter toutes les obligations de la foi.

Cet islam « populaire » des confréries, syncrétiste, magique, cet « islam de derviches », resté particulièrement vivace au Kosovo ou en Macédoine, est parfois opposé à « l’islam des oulémas », « l’islam des savants », qui serait propre à la Bosnie-Herzégovine, où les pratiques protéiformes de la religiosité populaire seraient mieux encadrées. Cependant, les confréries ont été tout aussi actives dans ce pays. Aujourd’hui, elles y sont peut-être plus « sérieuses », plus normées, comme la confrérie naqshbandiyya, très présente dans les cadres de l’armée bosnienne et ceux du Parti de l’action démocratique (SDA), la formation des Izetbegović père et fils. Les naqshbandi de Bosnie-Herzégovine professent une stricte orthodoxie sunnite.

Les bektashi offrent encore un tout autre visage. Cet ordre possède à la fois une cosmogonie et une tradition théologique complexe — proches, à bien des égards, de celles des Alévis de Turquie ou des Alaouites du monde arabe — mais aussi des pratiques très spécifiques. Hommes et femmes participent ensemble aux cérémonies religieuses, où une consommation rituelle d’alcool est prévue, mais surtout les bektashi disposent d’une organisation très hiérarchisée et sont les seuls musulmans à connaitre une forme de vocation impliquant l’obligation du célibat, comme pour les moines chrétiens.

Historiquement liés à l’ordre militaire des janissaires, les bektashi furent expulsés de Turquie par Atatürk, après la proclamation de la République en 1923. L’ordre trouva refuge en Albanie, et Tirana devint son centre mondial, avant d’être frappé par la répression stalinienne du régime d’Enver Hoxha, qui alla jusqu’à proclamer en 1967 l’Albanie « premier État athée de la planète ». Le régime s’acharna sur les derviches, symboles d’un « orientalisme décadent », même si le lien très fort entre le bektashisme et l’affirmation de la nation albanaise ne pouvait être ignoré.

La foi des albanais

Parmi les pères de la « Renaissance nationale » (Rilindja Kombëtare), ce mouvement d’affirmation d’un nationalisme albanais moderne, à la fin du XIXe siècle, la grande famille des Frasheri, beys de Permet, revendiquait fièrement son attachement au bektashisme. Le grand poète et traducteur Naim Frasheri (1846-1900) écrivit même une longue œuvre en vers sur la bataille de Kerbala (Qerbelaja, 1898). Toute une tradition intellectuelle tend même à présenter le bektashisme comme une « religion nationale albanaise », par différenciation avec l’islam sunnite. Les bektashi eux-mêmes se sont toujours fort bien accommodés de cette survalorisation de leur apport « national », mais la coexistence de plusieurs traditions religieuses au sein de la nation albanaise a été à la foi un sujet de doutes et un motif de fierté — ce fait prouvant un esprit particulier de « tolérance ». Les Albanais aiment à répéter la très célèbre formule de Pashko Vasa (1825-1892), lui-même catholique mais fonctionnaire ottoman, « la religion des Albanais, c’est l’albanité ». En réalité, le poème dont est extrait cette phrase commence par déplorer les divisions confessionnelles du monde albanais, avant de proposer leur dépassement dans l’affirmation nationale. La formule ne relève donc pas du constat, mais elle est performative.

Depuis la chute du communisme, les relations entre les différentes confessions, théoriquement bonnes, restent entachées par une forte méfiance. Les mariages franchissant la ligne confessionnelle chrétiens / musulmans sont rares, sauf dans les milieux urbains les plus modernes, et des tensions nouvelles apparaissent, notamment à l’encontre de la communauté orthodoxe, soupçonnée d’être trop hellénisée et donc mauvaise patriote… Les catholiques, à l’inverse, revendiquent volontiers un statut privilégié d’authentiques patriotes, toujours restés fidèles à la « foi de leurs pères », sans avoir cédé aux sirènes de la conversion à l’islam. Concentrée dans les montagnes du nord de l’Albanie, en Mirditë et dans le massif du Has, qui déborde au Kosovo, la communauté catholique albanaise est d’ailleurs particulièrement conservatrice et traditionnaliste : ces terres farouches de la « Haute Albanie » sont le domaine d’élection du Kanun de Lek Dukagjin, un code coutumier transmis par la tradition orale, et dont une version écrite a été publié en 1933 par le franciscain Shtjefen Gjecov.

Tout un courant intellectuel, tant en Albanie qu’au Kosovo, voudrait d’ailleurs « débarrasser » l’identité albanaise de la « macule » que représenteraient la longue période ottomane et la conversion à l’islam. Ce courant survalorise la figure de Gjergj Kastriot Skenderbeg (1405 - 1468), ce seigneur albanais qui, après avoir été éduqué à la Cour impériale d’Istanbul, se révolta contre la Porte et qui est devenu le « héros national » albanais, mais aussi, dans un registre plus contemporain, celle de mère Teresa, née dans une famille albanaise catholique de Skopje, en Macédoine. L’écrivain Ismail Kadare, ancien protégé du régime stalinien d’Enver Hoxha devenu sur le tard « dissident », s’est ainsi fait le pourfendeur de toute influence « islamoturque » dans la culture albanaise… Un trait de plume, pourtant, ne saurait effacer cinq siècles d’histoire et d’acculturation, mais l’exaltation de la « tradition catholique albanaise » comme antidote aux séquelles de la domination ottomane et de l’expérience socialiste doit bien sûr se comprendre comme un symptôme de la marche difficile et longtemps retardée de l’Albanie vers une forme encore à inventer de modernité sociale et politique.

Vers un « islam européen » ?

Au début des années 2000, le reisu-lulema de Bosnie-Herzégovine Mustafa ef. Cerić cultivait de grandes ambitions : celle de fonder, en bonne théologie, un « islam d’Europe », qui aurait disposé de ses propres institutions — on évoqua un temps le projet d’une Université apte à rivaliser avec celle d’Al-Azar au Caire —, qui aurait su se faire entendre auprès des institutions politiques internationales et notamment européennes, et dont Mustafa Cerić aurait naturellement été le chef éclairé…

Ce projet avorté et théologiquement incertain — l’islam prétend à l’universalité, il est donc aussi difficile de faire un projet d’un « islam européen » — se situait à la croisée de deux logiques d’intérêts, celle de Mustafa Cerić lui-même et celle des « protecteurs » et garants occidentaux de la Bosnie-Herzégovine d’après-guerre. Durant la guerre, Mustafa Cerić, qui a pris la fonction de reisu-l-ukema de Bosnie-Herzégovine en 1993, a été au coeur des relations entre les autorités de Sarajevo et les réseaux islamistes internationaux, qu’il s’agisse de financements, d’achats d’armes ou de l’arrivée de combattants volontaires. Après l’Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine a en effet été le second terrain d’un nouveau jihad « globalisé », attirant des volontaires de l’ensemble du monde musulman, notamment des banlieues d’Europe occidentale[1]. Ces accointances du reis sont devenues fort gênantes lorsque la paix est revenue et surtout après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, qui décidèrent les États-Unis à s’attaquer aux réseaux islamistes qui avaient solidement pris pied en Bosnie-Herzégovine.

Mustafa ef. Cerić avait même directement contribue à l’implantation de réseaux « salafistes » en Bosnie-Herzégovine, les utilisant comme chevau-légers dans sa lutte pour garantir une plus forte visibilité sociale à l’islam. Le reis devait donc rétablir son image de marque, en présentant désormais le visage d’un adepte courageux et passionné du dialogue interreligieux. L’intérêt était réciproque : les États-Unis arrêtèrent et transférèrent à Guantanamo une série d’anciens combattants titulaires du passeport bosnien mais, dans le même temps, ils voulaient se présenter comme des « amis » des musulmans des Balkans — ceux de Bosnie-Herzégovine comme ceux du Kosovo. L’opération de communication avait une visée mondiale : les États-Unis étaient intervenus pour sauver les musulmans des Balkans de l’oppression du régime de Belgrade, ce qui prouve que l’Oncle Sam peut venir à l’aide des musulmans, et ceux-ci, en retour, vouent amour et fidélité à l’Amérique. Pristina fut certainement la première ville du monde à baptiser l’une de ses plus grandes artères du nom du président Clinton, et les drapeaux américains ont longtemps été plus nombreux que ceux du Kosovo à flotter dans les rues du pays…

Le packaging idéologique promouvant cet « islam européen » ne manquait pas d’intérêt dans le monde d’après le 11 septembre, où l’islam prenait de plus en plus l’allure d’un nouvel « Empire du mal » menaçant le « monde libre » … Un islam ancré en terre d’Europe devait « intrinsèquement » être plus ouvert à la tolérance et plus modéré que celui pratique dans les hautes terres d’Afghanistan. Ce postulat pouvait prendre l’allure d’une contribution « progressiste » aux débats sur l’identité de l’Europe et ses « racines chrétiennes », tout en présentant un schéma idéologique valorisant aux communautés musulmanes issues de l’immigration. Sur un plan théologique, le reis reprit les principes de liberté religieuse clairement exprimé dans plusieurs sourates du Coran, ainsi : « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement » (Al-Baqarah, 2 :256), ou encore « Celui-ci qui le veut, qu’il croit et celui-là qui le veut, qu’il soit incrédule ! » (Al-Kahf, 18 :29). Par contre, l’indispensable réflexion sur la manière de vivre « en musulman » dans des sociétés multiconfessionnelles fortement sécularisées ne fut qu’à peine amorcée.

La « protection » américaine et « l’amour » des populations musulmanes locales devaient surtout faciliter l’émergence d’élites nouvelles, d’une classe politique et entrepreneuriale musulmane acquise aux vertus du libéralisme politique et économique, sur le modèle, longtemps vanté, de « l’islamisme modéré » du Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP) de Turquie… Las, les conflits de personnes, puis l’arrivée de la crise mondiale ont empêché l’émergence d’un « modèle balkanique » qui aurait pu être vendu en exemple à d’autres pays musulmans, tandis que le délitement social, l’absence de perspectives politiques, le maintien d’un chômage structurel massif — qui touche la moitié de la population active en Bosnie-Herzégovine, les deux-tiers au Kosovo — font le terreau d’une nouvelle radicalisation politico-religieuse qui échappe à tout contrôle. Le projet d’un « islam européen » a donc été bien vite oublié, tandis que les départs de volontaires vers l’État islamique se multiplient et que les communautés islamiques traditionnelles essaient, tant bien que mal, de limiter la propagation de l’incendie.

Imams socialistes vs jihadistes mondialisés ?

Les termes doivent être précisés. On parle le plus souvent dans les Balkans, de « vehabije », de « wahhabites ». En réalité, les véritables adeptes de cette école radicale et très spécifique de l’islam, propre au royaume saoudien, sont très rares dans les Balkans. Le terme générique de « salafistes » est plus approprié pour désigner les intégristes qui se réfèrent à la « foi des pieux ancêtres » (« al-salaf al-salih »). Parmi ceux-ci, il est usuel de distinguer les courants « piétistes » qui veulent « re-islamiser » les sociétés balkaniques et pratiquent désormais une stratégie d’entrisme dans les structures officielles de l’islam des « djihadistes » qui prônent le retrait du « monde impie », voire la guerre contre les impies. Ces derniers courants s’appuie sur la « base » de Gornja Maoca, dans le nord de la Bosnie-Herzégovine, mais aussi sur d’importants réseaux dans les diasporas balkaniques, notamment en Autriche[1]. Plusieurs milliers de jeunes gens de Bosnie-Herzégovine, d’Albanie, du Kosovo, du Monténégro sont partis se battre en Syrie, où beaucoup ont déjà trouvé la mort. Initialement, les Balkaniques rejoignaient surtout le front Al-Nosra, émanation d’Al-Qaida, mais ils rallient désormais les rangs de l’État islamique.

Cette radicalisation s’explique avant tout par la déréliction des sociétés, l’immense misère d’un « après-guerre » qui n’en finit pas. Indépendamment de toute motivation religieuse, le départ pour le jihad représente surtout une forme « d’aventure » préférable à celle de l’émigration en Europe occidentale, une alternative au chômage et à l’absence de perspective. Dans sa propagande destinée aux volontaires balkaniques, l’État islamique insiste d’ailleurs sur cet aspect, présentant de manière idyllique une sorte « d’islamic way of life », pouvant avantageusement remplacer le rêve américain (ou européen) disparu dans les mornes brouillards de la « transition »[2]. Cette dérive est alimentée par une génération de jeunes imams qui, depuis 25 ans, vont se former en Arabie saoudite ou dans les pays du Golfe persique, et rencontrent donc des pratiques de l’islam que leurs ainés ignoraient. À l’époque yougoslave en effet, non-alignement oblige, les imams qui partaient se former à l’étranger se rendaient dans les pays « amis » du « socialisme arabe », comme l’Égypte de Naser, la Syrie, l’Irak ou la Libye du colonel Kadhafi. On présente parfois l’islam des Balkans comme plus « ouvert à la tolérance », du fait de l’héritage ottoman et de son appartenance à l’école juridique hanéfite[3]. En réalité, la principale spécificité de l’islam ottoman ne tient pas une assez peu probable « prédisposition » à la tolérance mais à une tradition tout à fait exceptionnelle de centralisation et de soumission au pouvoir politique. Par bien des aspects, l’islam ottoman était un « islam de fonctionnaires », et cette tradition a été reprise, tant par la Turquie moderne où l’islam est fortement contrôlé par la Direction des Affaires religieuses, la puissante Diyanet İşleri Başkanlığı (souvent citée sous le simple nom de « Diyanet », la « Direction »), que par la Yougoslavie socialiste. Une structure pyramidale d’encadrement de l’islam avait été mise en place, dirigée par une reisul-ulema de Yougoslavie, seconde par des grands muftis dotés chacun de compétences territoriales.

La formation des cadres religieux était assurée dans quelques medresa (écoles secondaires islamiques) puis à la prestigieuse Université de théologie islamique de Sarajevo, les étudiants les plus brillants pouvant bénéficier d’une formation complémentaire dans les pays arabes « amis ».

Du fait de son engagement dans les luttes anticoloniales et le non-alignement, la Yougoslavie autogestionnaire du maréchal Tito cultivait de très bonnes relations avec le monde arabo-musulman, et certains vont même jusqu’à prétendre que « l’on a plus construit de mosquées en cinquante ans de socialisme qu’en cinq siècles de présence ottomane ». Contrôlé par le régime mais disposant d’une large capacité d’auto administration, cet islam yougoslave représente une expérience exceptionnelle « d’accommodement » à une société moderne, laïque et socialiste. Le modèle idéalisé d’un « islam balkanique » renvoie en réalité beaucoup moins au passé ottoman qu’à cette expérience particulière de confrontation de l’islam à la modernité.

Le modèle d’organisation centralisée de l’islam a été reproduit au niveau des différentes républiques héritières de l’ancienne Fédération : il existe des Communautés islamiques (Islamske zajednice, ou Bahskimi fetorë Islam en albanais) de Bosnie- Herzégovine, de Macédoine, du Monténégro, du Kosovo, d’Albanie… En Serbie, il existe même deux Communautés rivales, en raison de rivalités personnelles attisées par le pouvoir politique.

Cependant, la capacité organisationnelle, règlementaire et normative de ces Communautés, tout comme leur légitimité théologique et spirituelle est mise au défi tant par les jeunes imams revenus des pays arabes que par les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux : les prêches radicaux circulent sur Internet, et la « foi vécue » l’est parfois plus dans des groupes fermés sur Facebook qu’à la mosquée…

Les conflits violents qui déchirent les Communautés islamiques, notamment en Macédoine, au Kosovo et en Albanie, sont en bonne part des conflits de générations, entre « vieux imams » restés attachés à un modèle traditionnel et jeunes zélotes à peine revenus des pays du Golfe. C’est aussi un conflit entre deux régimes de modernité : celui qui a prévalu en Yougoslavie socialiste durant la seconde moitié du XXe siècle, et celui, nouveau et « global » qu’impose la mondialisation. Seule aujourd’hui, la Diyanet turque possède encore une capacité d’influence politique et financière lui permettant de peser sur ces évolutions, mais l’incertain « modèle turc » de l’islam ne sera pas forcément en mesure de s’imposer. La radicalisation qui affecte une partie des musulmans des Balkans n’est qu’une réponse parmi d’autres aux défis posés par la modernisation et la mondialisation. D’autres formes de réponse ne manqueront pas d’apparaitre et l’histoire, comme toujours, n’a pas dit son dernier mot.