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Le Palais enchanté Luigi Rossi Opéra

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Présentation

Distribution

NOUVELLE PRODUCTION DE L’OPÉRA DE DIJON

ENSEMBLE & ARTISTES EN RÉSIDENCE

CAPPELLA MEDITERRANEA
CHŒUR DE L’OPÉRA DE DIJON 
CHŒUR DE CHAMBRE DE NAMUR
DIRECTION MUSICALE Leonardo García Alarcón
ASSISTANTS À LA DIRECTION MUSICALE Rodrigo Calveyra et Fabián Schofrin
CHEF DE CHANT Jacopo Raffaele
CHEF DE CHŒUR Anass Ismat

MISE EN SCÈNE Fabrice Murgia
DÉCORS Vincent Lemaire
COSTUMES Clara Peluffo Valentini
VIDÉO Giacinto Caponio
LUMIÈRES Emily Brassier | Giacinto Caponio
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Filippo Ferraresi 

ORLANDO Victor Sicard
ANGELICA Arianna Vendittelli
RUGGIERO Fabio Trümpy 
BRADAMANTE | LA PEINTURE Deanna Breiwick 
ATLANTE Mark Milhofer
OLYMPIA | LA MUSIQUE Lucía Martín-Cartón 
MARFISA | LA MAGIE | DORALICE Mariana Flores
GIGANTE | SACRIPANTE | GRADASSO Grigory Soloviov 
PRASILDO | LE NAIN Kacper Szelążek
ALCESTE André Lacerda 
FERRAU | ASTOLFO Valerio Contaldo
FIORDILIGI | LA POÉSIE Gwendoline Blondeel
MANDRICARDO Alexander Miminoshvili
DANSEURS Joy Alpuerto Ritter, Zora Snake

CADREURS Johann Michalzcak & David Vong
COMÉDIENS Pascal Carbon, Adrien Philippon, Priscilla Bescond, Sarah Mussard, Emeline Losange, Juliette Tardif & Raphaël Mena

REALISATION DES COSTUMES Ateliers de l’Opéra national de Lorraine
REALISATION DES DECORS Ateliers de l’Opéra de Dijon & Eclectik Scéno pour la conception d’un élément du décor

ÉDITION DES PARTITIONS Cappella Mediterranea / Transcription Pascal Duc Révisions & édition pratique : Leonardo García Alarcón
CREATEUR DES SURTITRES Richard Neel

EN PARTENARIAT AVEC le Chœur de Chambre de Namur

COPRODUCTION Opéra de Dijon, Opéra national de Lorraine, Théâtre de Caen, Opéra Royal/Château de Versailles Spectacles

AVEC LE MÉCÉNAT DE la Banque Populaire Bourgogne-Franche-Comté

PROLOGUE
Peinture, Poésie et Musique se disputent leurs mérites. Peinture tarde à terminer les décors pour l’opéra à venir, lorsque survient la Magie, qui les élève en un clin d’oeil et choisit le sujet de l’opéra : Roger enfermé dans le palais d’Atlante, puis délivré par l’amante guerrière Bradamante, une illustration du thème : LOYAUTÉ ET VALEUR.

ACTE I
Le mage Atlante, protecteur du chevalier Roger, a imaginé un stratagème pour empêcher ce dernier d’aller vers le destin cruel qui l’attend s’il épouse son aimée Bradamante : le retenir dans un château magique et labyrinthique avec tous ceux qui passeront à sa portée et les retenir prisonniers dans une confusion totale.
C’est d’abord Roland qui arrive, à la poursuite de sa belle — mais vraie ou fausse ? — Angélique, qu’Atlante changé en géant enlève sous ses yeux. Bradamante et sa fidèle Marphise, la guerrière imperméable à l’amour, suivies des chevaliers Ferragus et Sacripant, qui poursuivent Angélique dont ils sont amoureux, sont à leur tour attirés dans le château.
Roger, qui peu auparavant a sauvé la vraie Angélique de l’Orque malfaisante, est en plein palabre — amoureux ? — avec elle au sujet d’un mystérieux anneau magique donné jadis à Roger par Bradamante mais appartenant en réalité à Angélique. Bradamante surprend la scène et suspecte immédiatement une tromperie amoureuse de Roger, qu’elle bat froid. Après le départ d’Angélique, ce dernier essaie de se justifier, en vain. La rupture semble consommée, au grand désespoir de Roger.
Tandis que les uns et les autres errent sans cesse dans le palais-labyrinthe, Mandricardo, à la recherche de Doralice, et Gradasso y sont attirés à leur tour, alors que de son côté Atlant y attire la jeune Olympia. Tous errent sans fin, Atlante s’employant par diverses apparitions sous diverses formes à semer une confusion plus grande encore.

ACTE II
Roger et Bradamante errent chacun de leur côté, l’un en proie au désespoir amoureux, l’autre à la jalousie et à la colère. Lorsqu’ils se trouvent enfin, c’est pour se fuir à nouveau.
De son côté, Angélique cherche un chevalier qui pourrait l’escorter jusque chez son père. Elle aborde d’abord Sacripant et lui en fait la demande. Ferragus survient alors, qui conteste à Sacripant l’honneur d’escorter Angélique, dont il est lui aussi amoureux. Un combat se prépare lorsque surgit un autre amoureux de la princesse : Roland, qui se mêle à son tour à la dispute. Angélique tente de les arrêter et leur propose de l’accompagner tous les trois. Roland, au contraire des deux autres, est prêt à accepter. Elle obtient cependant de leur faire déposer les armes : celui qui parviendra à la saisir lui servira d’escorte. Mais grâce à l’anneau magique, elle disparaît soudain à leurs yeux, les laissant l’entendre mais pas la voir.
Las d’errer et épuisé, Roger s’endort. Bradamante le trouve ainsi. Tentée de profiter de la situation pour l’assaillir et le tuer, elle se ravise, lui trouve des excuses, mais sa colère reprenant le dessus, elle cède à sa fureur et lève sur lui sa propre épée. Roger s’éveille à cet instant et la supplie de finir son geste, sa vie n’ayant plus aucun prix sans elle. Nouveaux arguments et nouvelle dispute à propos de la constance et de la fidélité de Roger. Ils se fuient à nouveau l’un l’autre.
Renonçant de son côté à séparer les trois chevaliers qui se battent pour elle, Angélique cherche à quitter le palais. Atlant l’encourage à différer son départ : elle y gagnera ainsi de rencontrer un bel amant. Pour achever de la convaincre, il fait apparaître devant elle l’image de ce dernier, pour lequel elle s’enflamme immédiatement. Un nain prévient alors son maître Atlant que deux jeunes filles tentent de fuir le palais puis lui demande l’autorisation de porter à Bradamante une lettre que lui a confié Roger. Atlant accepte par pitié pour la douleur de Roger. Puis il s’interpose face aux jeunes filles et les autorise à quitter les lieux à la seule condition qu’elles renoncent à aimer. Elles demandent alors un temps de réflexion…
Tandis qu’un nouveau chevalier, Astolphe, s’approche du palais, Bradamante, désespérée, cherche à le quitter. Le Nain lui apporte le message de Roger. Elle le déchire de rage, mais sur l’insistance du nain, se résout finalement à le lire. Elle ne peut plus en lire que des bribes dans lesquels Roger explique le don de l’anneau à Angélique par le devoir de la sauver de la mort. Elle se rassure, mais voyant arriver Angélique, décide de se cacher pour l’écouter.
Encore bouleversée de la vision de son futur amant, celle-ci s’avoue vaincue par l’amour. Bradamante se persuade qu’elle parle de Roger. Elle se découvre et lui fait croire qu’elle n’aime plus Roger pour sonder ses sentiments. Angélique arrive à la persuader que son amour n’est pas pour Roger et lui confirme les circonstances du don de l’anneau.
Inquiet de l’arrivée d’Astolphe, le plus sage des chevaliers, dans son palais, Atlant élabore une stratégie : chaque prisonnier verra en lui quelqu’un d’autre.
Astolphe entre dans le jardin et rencontre tour à tour tous ses occupants, chacun le prenant pour un autre. Il n’a finalement pas d’autre solution que de souffler dans son cor magique : tous s’enfuient épouvantés.

ACTE III
Roger et Bradamante se réconcilient après les confidences d’Angelique et cherchent à quitter le palais.
Atlant joue alors sa dernière carte : transformé en Roger, il sème la confusion entre les deux amants. Le vrai Roger lui propose un duel afin de prouver son identité. Atlant est vaincu et apparaît sous son vrai visage. A Roger, il dévoile qui il est et pourquoi il a agi ainsi, cherche à les convaincre en vain de rester au palais, et implore leur pitié. Il leur livre le secret pour détruire ses enchantements : en éteignant le feu qui brûle dans une urne au milieu du jardin. Il leur propose de l’accompagner dans cette tâche, tandis qu’il leur dévoilera leur avenir. Ce qu’ils entreprennent de faire tandis que les autres occupants cherchent à sortir de ce lieu « qui n’est pas fermé mais ne cesse de changer d’apparence. »
Devant tous, Atlant s’avoue vaincu par LOYAUTÉ ET VALEUR. A la demande de Roger et Bradamante, il fait disparaître les enchantements, le palais et libère tout le monde. Tous chantent les louanges de LOYAUTÉ ET VALEUR.

Le défi du Palazzo
Leonardo García Alarcón

L’opéra romain est un genre qui s’inscrit directement dans la tradition de l’opéra de Cour tel qu’il se pratiquait au début du XVIIe siècle avec L’Orfeo de Monteverdi, entre autres, à Mantoue. Un genre pour lequel, contrairement à l’opéra vénitien, les questions de rentabilité commerciale n’entraient pas en ligne de compte. Il tire en effet son financement et sa raison d’être du besoin qu’avaient les grandes familles aristocratiques de la Rome papale de briller, de faire montre de leur richesse, de leur splendeur et de leur attachement aux Arts et à la culture. Avec en ligne de mire, pour ces familles comme les Barberini, les Farnèse, les Médicis, l’ambition de produire un pape issu de leur lignée. C’est donc un genre fastueux dans lequel les moyens financiers sont importants. On fait appel aux meilleurs compositeurs, les plus en vogues, aux meilleurs librettistes – avec, dans le cas du Palazzo Incantato, le futur Pape Clément IX. Cela implique aussi le souci de produire des livrets plus édifiants, d’un registre plus noble, en s’inspirant par exemple de l’Histoire sacrée, de la mythologie, ou comme ici d’une œuvre majeure de la littérature poétique récente avec l’Orlando furioso de l’Arioste. Enfin, cela se traduit musicalement par l’emploi de choeurs massifs et l’usage d’un orchestre aux effectifs très larges pour l’époque, que l’on qualifierait aujourd’hui de symphoniques avec leur quarantaine de musiciens.

Dans ce contexte de création, l’importance d’une œuvre comme Il Palazzo Incantato de Luigi Rossi est capitale. Rossi revêt pour l’opéra romain la même importance que Cavalli pour l’opéra vénitien. Ils sont tous deux considérés comme les plus grands compositeurs de leur temps, et chacun représente en quelque sorte les deux styles lyriques de la péninsule, celui du nord avec Cavalli et celui du sud avec Rossi.

Il Palazzo Incantato, créé en 1641 au Palais Barberini, est à la fois le premier opéra de Rossi et une forme d’apothéose festive et extravagante d’un genre qui sera bientôt étouffé par le poids de la morale religieuse romaine. D’une certaine façon, Rossi y reprend le flambeau monteverdien de L’Orfeo de 1607 dans son invention et sa recherche d’un opéra où tous les arts et tous les moyens d’expressions existants sont mis au service d’un spectacle total. D’un point de vue stylistique, Rossi est l’un des premiers à introduire l’arioso dans ses récitatifs, générant ainsi un continuum mélodique ininterrompu. 

C’est aussi un compositeur qui développe à l’extrême toutes les techniques inventées par Monteverdi, que ce soit dans le traitement des instruments ou des choeurs, mais aussi dans la manière de jouer de la consonance et de la dissonance pour conduire les émotions de l’auditeur. Son influence sera essentielle non seulement pour le développement de la musique italienne, mais également pour celui de la musique française, chez Lully par exemple. 

J’ai découvert pour la première fois cette partition au Vatican en 1999, et elle n’a depuis cessé de m’obséder. Mais monter cet opéra représente un tel défi ! Du point de vue des effectifs, c’est sans doute la pièce la plus riche de tout le XVIIe siècle, ne serait-ce que par le nombre de solistes, par la présence de choeurs doubles, par la richesse de l’instrumentation à l’orchestre… Il n’y a aucun opéra comparable dans cette période. C’est d’ailleurs un défi pour le chef comme pour le metteur en scène, à qui il revient de donner un sens clair et lisible au foisonnement extraordinaire de ce livret qui se veut un vrai labyrinthe baroque pour l’esprit comme pour le coeur. Mais le défi premier reste avant tout de rendre justice à l’extraordinaire beauté de la musique de Rossi, véritablement l’un des plus grands compositeurs de l’Histoire.

 

Un portrait de la condition humaine
Fabrice Murgia

Le propos

Le Palais enchanté raconte la perdition et le croisement d’êtres et de couples aux desseins impossibles. Et au-delà des narrations croisées ou du scénario choral, c’est bel et bien le portrait d’une condition humaine unique et impossible qui transparaît, un paradoxe éloquent entre la petitesse de la créature humaine errante dans le palais ( représentation de l’univers ) et la grandiloquence de ses passions. 

Atlante 

Ce palais se transforme, se module, au gré des désirs du magicien Atlante, deus ex-machina maléfique de l’oeuvre, qui invite les protagonistes à y pénétrer afin qu’ils se perdent, s’entrecroisent, se cherchent et se combattent vainement dans cet espace étrange. La modification de l’architecture par Atlante est la manifestation du mal-être des individus qui l’habitent. Ils ne sont pas seulement des pions sur un échiquier, ils sont en premier lieu les victimes de leurs passions. Atlante ne fait que diriger leurs travers de mortels, il les laisse s’abandonner dans la folie. Pourtant, telles des marionnettes résistantes, les personnages se battent à différents niveaux pour revendiquer le droit d’aspirer à cette grandeur.

L’espace et la mise en scène

Ainsi, Le Palais enchanté invite à explorer la dimension du labyrinthe, largement exploitée dans le cinéma ou la peinture surréaliste, comme la matérialisation d’une quête vaine et cauchemardesque : la recherche d’un bonheur impossible. Dès lors, les notions de transdisciplinarité, de contemporanéité et le traitement grandiloquent assumées de cette production résonneront comme des éléments prioritaires dans ma mise en scène. Le plateau sera peuplé par une foule d’artistes, que nous mêlerons à différentes techniques cinématographiques, circassiennes, magiques… Nous rêvons d’un palais qui mixe les peuples, les époques et leurs univers culturels respectifs. Un palais qui s’écroule à mesure qu’il se transforme, un espace impossible, comme une machinerie théâtrale dont on aurait perdu le contrôle.

Chute

Atlante agira comme une drogue. L’irruption d’une réalité transfigurée qui s’accélérera jusqu’au vertige, et laissera le palais défait, jusqu’à le laisser disparaître, en pleine descente, vers un étrange retour à la normale. Alors les amants se réveilleront sans se souvenir distinctement de la traversée du cauchemar, nécessaire à l’équilibre trouvé. Les créatures magiques auront disparu. Le Palais aura disparu. Le plateau sera nu. En quelque sorte, Rossi laisse transparaître les conditions d’écriture de cet opéra. La production fut montée par les Barberini à l’aube du règne de leur oncle, le Pape Urbain viii, et à la veille de la prise du trône par Innocent x, issu de la famille rivale, bien déterminé à en finir avec les Barberini. Il Palazzo incantato aurait pu être le dernier des opéras. Et peu importe la véracité de cette crainte, Rossi et Rospigliosi l’écrivent comme tel… comme une occasion ultime de casser les codes du genre, en créant le projet le plus ambitieux, faisant intervenir des ballets, jeux de lumière et autres nouveautés avant-gardistes, comme le désir inassouvi de Rossi de laisser chanter une femme sur scène.

À noter également qu’il s’agit du premier opéra composé par Rossi, et on peut librement penser, vu son âge et son expérience antérieure, qu’il se sentait prêt pour l’opéra, qu’il avait attendu le moment de pouvoir donner enfin une forme à l’explosion paroxystique de son talent, en créant un spectacle total, monumental, inoubliable. Bien que la représentation fut un succès, elle fut marquée par l’échec de machines de scènes compliquées.

Entretiens

Entretien avec Leonardo García Alarcón
Propos recueillis le 13 novembre 2020
par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

Si on connaît de mieux en mieux en France l’opéra vénitien des années 1640, l’opéra romain reste en grande partie méconnu. Comment l’opéra arrive-t-il à Rome ?

En vérité, lorsque Luigi Rossi compose Il Palazzo, l’opéra à Rome a déjà une histoire très riche. Il ne faut pas oublier que Giulio Caccini, qui un des premiers introduisit le recitar cantando dans ses Nuove Musiche en 1601, s’il publie à Florence, est romain de naissance. De même Jacopo Peri, qui compose son Euridice en 1600 à Florence, est aussi romain. L’opéra naît donc à Florence, mais son histoire est dès le début liée à Rome. Les innovations du recitar cantando en train de se développer seront notamment largement diffusées à Rome par un compositeur comme Giacomo Carissimi, qui à partir de 1629 l’introduit dans l’oratorio d’église, d’abord en latin, avant que ses élèves ne le fassent en italien. Ce sont aussi des compositeurs comme Domenico Mazzocchi, avec La catena d’Adone en 1626, ou encore Marco Mazzoli qui écrit plusieurs opéras pour la cour des Barberini, parmi beaucoup d’autres, qui établissent l’opéra romain jusqu’à Luigi Rossi. Chaque maison, chaque grande famille avait son compositeur à demeure, et chaque famille était en concurrence avec les autres pour donner les spectacles les plus grandioses et les plus impressionnants, dans lesquels se reflétait leur gloire. Il y avait une véritable course à l’invention et à la création de nouvelles œuvres.

La tradition romaine, en terme de livret, se focalisait essentiellement sur des histoires religieuses, morales, édifiantes, comme dans le Sant’Alessio de Stefano Landi, sur un livret de Giulio Rospigliosi comme Il Palazzo. De même, pour des raisons « morales », les rôles étaient chantés uniquement par des hommes. Les archives du Vatican regorgent d’œuvres dramatiques de cette période extrêmement riche. Une ombre plane cependant sur toute cette époque : celle de Monteverdi, influence majeure de tous ces compositeurs pour qui il est un modèle. La plus belle copie du lamento d’Arianna conservée au Vatican est de la main même de Rossi. Une ombre qui à Rome aurait pu s’incarner si le pape avait donné suite à l’appel du pied pour s’installer dans la cité éternelle que Monteverdi lui fait avec les Vêpres de la Vierge. On connaît la suite : c’est à Venise qu’ira le compositeur. Mais à Venise comme à Rome, il reste le modèle. Une des formes également énormément pratiquée à Rome à l’époque était la cantate, un genre dans lequel Luigi Rossi a été particulièrement prolixe puisqu’on lui en doit presque 400 ! C’est par ses cantates que Luigi Rossi est connu en France dans les années 1640, où il est un des compositeurs italiens les plus populaires. La ligne vocale de Jean-Baptiste Lully est directement issue du style de Rossi. Il n’est donc pas étonnant, après le succès du Palazzo en 1642 à Rome, où Mazarin était invité, que ce dernier se soit tourné vers Rossi en 1646 pour L’Orfeo, premier opéra commandé par la cour de France.

Peut-on dire qu’à travers cet Orfeo, Rossi a eu une influence sur le développement du genre en France, non seulement par son introduction, mais aussi sur le style de ce qui deviendra la Tragédie lyrique ?

Il me semble que de ce point de vue, l’impact de Rossi peut se reconnaître à travers trois éléments : un orchestre véritablement écrit à plusieurs voix ; la présence de danses à la fin de chaque acte ; enfin un sujet élevé, de l’ordre du mythe ou de la pastorale. Ce sont des éléments qui deviendront constitutifs de la tragédie lyrique. 

Il Palazzo incantato et son sujet tiré de l’Orlando furioso offre un livret qui tranche avec les sujets réligieux habituels de l’opéra romain. 

La religion y est présente d’une certaine manière, puisque le contexte général est celui de la lutte entre les Sarrasins et les armées de Charlemagne. L’Arioste était déjà considéré comme un tel monument de la littérature, qu’on osait à peine s’en emparer pour un livret d’opéra. De la même façon qu’on n’osait pas mettre en musique La Divine Comédie de Dante.
Il faut imaginer qu’à l’époque, chaque grande famille romaine luttait pour posséder « la plus belle » édition de l’Arioste ! La décision de mettre en musique le Roland furieux, c’était en soi révolutionnaire, même si c’est devenu courant par après jusqu’à Haendel. Il fallait à Rospigliosi choisir un chapitre de l’histoire qui en quelque sorte les contenait tous, une sorte d’Aleph à la Borges, un trou noir où tous se croisent et se rencontrent, où le temps et l’espace s’abolissent sous le pouvoir d’Atlante. Il a vraiment réussi ici un coup de maître, en multipliant les clins d’œil aux connaisseurs tout en écrivant un livret compréhensible en lui-même. C’est aussi un moment de l’histoire littéraire où toute cette tradition du roman de chevalerie est à son déclin. Cervantès publie Don Quichotte au tout début du XVIIe siècle. C’était un lecteur assidu de l’Arioste, qu’il connaissait parfaitement et qu’il sauve d’ailleurs de la bibliothèque de Quichotte au chapitre VI. En travaillant sur ce Palazzo, je me suis soudain pris à rêver : et si Don Quichotte n’était autre  qu’Atlante après sa défaite ? Un Atlante abandonné de tous, qui se trouve un nouveau compagnon, muletier et non plus chevalier, et qui garde en son imaginaire toutes ces histoires qui ne sont plus là. Du reste, le Palazzo marque aussi la fin de l’opéra romain, non pas parce que le genre s’épuise, au contraire, mais parce qu’une décision politique du nouveau pape interdit le théâtre, source de subversion et de perdition. Sans doute le livret du Palazzo, un peu plus irrévérencieux que les précédents, et sans doute aussi les échos de ce qui se passe au même moment à Venise jouent-ils dans cette décision. 1642 : c’est aussi l’année de la création du Couronnement de Poppée, qui peut presque valoir comme une offense contre Rome !

Justement : quelles différences majeures voyez-vous entre l’opéra romain et l’opéra vénitien ?

La première tient évidemment au caractère des livrets et des personnages. À Venise, l’amoralité des personnages et des situations est assumée comme quelque chose qui peut être mis en scène. Il peut y avoir une scène entière de mensonge et d’infidélité. À Rome, tout doit garder une certaine décence et une certaine noblesse. On le voit bien avec le Palazzo, le mot d’ordre est donné par le prologue : Loyauté et Valeur ! La situation d’infidélité de Ruggiero y est traitée sur le mode du quiproquo. Une autre grande différence est la présence essentielle et nécessaire à Venise de scènes comiques, présence limitée voire exclue à Rome. Enfin, à Rome, où la tradition est en fait beaucoup plus ancienne qu’à Venise, l’opéra reste un genre de cour, financé par des mécènes pour leur propre gloire, avec des moyens sans commune mesure avec Venise où l’économie du théâtre est auto-financée sur les recettes. On le voit dans l’écriture pléthorique du Palazzo : 17 solistes, doubles et triples chœurs, écriture instrumentale à 7 voix et à double orchestre, ce qui donne parfois jusqu’à 12 voix d’instruments. C’est unique dans tous le XVIIe siècle. Même si l’on prend en compte l’Ercole amante de Cavalli en 1662 à Paris et Il Pomo d’Oro de Cesti en 1669. Il s’agit clairement du point de vue des effectifs de la pièce la plus ambitieuse du siècle. Dès le prologue, la Peinture, la Musique, la Poésie et la Magie sont accompagnées par l’orchestre le plus fastueux de l’époque. Le mot d’ordre de l’opéra dans la seconde moitié du siècle sera plutôt de faire des économies. Avec de tels effectifs, n’importe quel opéra vénitien serait condamné à la ruine ! Du point de vue des lignes vocales, l’opéra vénitien reste aussi plus proche des intonations et des rythmes de la langue parlée. Dans le Palazzo, on a plus la sensation d’un arioso continu, comme s’il s’agissait d’une seule mélodie du début à la fin de la réplique. C’est ce que Cavalli essaiera de retrouver plus tard, et c’est un aspect qui sera très critiqué par les vénitiens, comme Sigismond d’India par exemple, qui oppose le recitar cantando vénitien au cantar recitando romain. C’est peut-être ce qui a tant plu aux Français dans l’opéra romain : on peut suivre les mélodies même si on ne comprend pas tout le texte.

Comment se définit le style propre de Luigi Rossi dans ce contexte ?

Ce qui le caractérise avant tout c’est une recherche de très grande précision dans l’écriture. Il cherche à tout noter, sans laisser de marge de manœuvre à l’interprète ou à l’improvisation. Il écrit absolument tout ce qu’il veut, y compris dans le type de rubato, de cadence, de colorature, d’ornement, et il est un des premiers à le faire. Tout est prévu au millimètre. Un autre aspect de sa musique est le développement très poussé de l’harmonie. Les lignes de basses peuvent se superposer à deux ou trois jusqu’au cluster. Cette richesse harmonique constante chez lui est bien sûr un écho des splendeurs de la polyphonie romaine d’église. Il y a une grandeur dans la civilisation romaine qu’un compositeur ne peut ignorer. Il ne peut que s’y ajouter. C’est le syndrome de La Grande Bellezza* !

Cette production se fait dans le contexte tout à fait inhabituel de cette crise sanitaire, alors qu’une partie du monde est confinée. Comment vivez-vous cette expérience ?

En réalité, ce Palazzo devient comme une sorte de métaphore de la situation extérieure ! Nous sommes ici, à l’opéra, en confinement de travail pour répéter des scènes qui mettent les personnages en confinement dans un palais qui en quelque sorte organise la distanciation sociale entre eux, les sépare, les empêche de se retrouver, de s’aimer, de s’embrasser. Cet écho, cette mise en abyme de notre situation extérieure dans l’intimité du travail de plateau est vraiment en train, je crois, d’influencer notre état d’âme dans l’interprétation. Nous sommes plongés dans une sorte de concentration sublimée, dans notre propre Palazzo. Nous partons travailler le matin dans le silence d’une ville qui vit à moitié, nous travaillons dans le confinement du plateau, nous ressortons le soir dans le silence de la ville plongée dans la nuit. L’angoisse que l’on peut ressentir enfermé dans sa maison ou son appartement, nous la sublimons sur le plateau dans le concentré d’émotion de ces scènes confinées qui en sont le miroir, de ces personnages qui vivent la même chose que nous dans ce palais enchanté, ce palais qui « n’est pas fermé mais ne cesse de changer d’apparence. »

*Ce film de Paolo Sorrentino sorti en 2013 met en scène l’aspect paralysant de la beauté de la Ville Éternelle sur les artistes qui y vivent.

 

Entretien avec Fabrice Murgia, metteur en scène

Propos recueillis le 16 novembre 2020
par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

Le langage cinématographique est aujourd’hui un élément essentiel de votre vocabulaire scénique. Comment avez-vous été amené à le développer et à quel besoin répondait-il ?

J’y suis venu d’abord à travers mon expérience d’acteur au cinéma. Sur un plateau de cinéma on attend beaucoup, et on observe. On peut ressentir la poésie des choses en train de se faire, la poésie du making of, de voir cet envers du décor et cette machinerie. Au  théâtre, cette idée que la scène est aussi un endroit où l’on peut montrer la fabrication de quelque chose, cette distanciation, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Je suis très intéressé par l’image, en tout cas le texte n’est pas le premier élément de mon langage au théâtre. La caméra me permettait d’architecturer les choses avec des gros plans, de montrer les visages, qu’on voit trop peu au théâtre, comme des paysages, de travailler dans un ici et maintenant, et j’en suis venu pour certains spectacles, comme celui-ci, à faire véritablement un film en live. Cela me permet également de multiplier les points de vue dans le même temps sur une même action. Ce n’est jamais intéressant de filmer dans l’axe du public pour avoir seulement un chanteur ou un acteur en plus grand. Ce qui m’intéresse, c’est le froncement de sourcil, ou la main sur le genou qui se crispe. C’est un moyen d’augmenter les protagonistes plus que de les agrandir.

Cette idée de distanciation, de montrer la mécanique du théâtre et du cinéma, c’est quelque chose qui se situe dans la lignée du théâtre de Brecht ?

Ma formation d’acteur s’est faite dans cet environnement-là. Brecht était au centre de mon apprentissage au Conservatoire de Liège, avec Jacques Delcuvellerie et le Groupov. La question de la vérité et du théâtre politique était primordiale dans cet enseignement. C’est un héritage que j’ai de l’école liégeoise. Mais je suis surtout intéressé par l’idée d’être dans l’ici et maintenant et de l’assumer. Je déteste quand les personnages entrent ou sortent par des portes seulement parce qu’ils doivent sortir de scène. Je préfère les portes qui flottent et les gens qui apparaissent et qui disparaissent. Je suis un enfant du Conservatoire de Liège mais aussi un enfant d’Indiana Jones, de Spielberg, de la culture de masse des années 80, qui sont aussi entrés en compte dans le développement de mon outil théâtral et de mon langage.

Quand on regarde le premier acte du Palazzo, avec cet enchaînement de scènes à deux qui se succèdent en séquences sans lien très clair entre elles, on est proche d’un découpage déjà très cinématographique.

Bien sûr. C’est un scénario choral. Il a fallu travailler en identifiant qui étaient les personnages, dans quels univers ils évoluaient. Et je me suis rendu compte qu’on était devant une série. En terme de storytelling, on est un peu devant les séries pop, les soap opera de l’époque. Ce sont des personnages que les gens pouvaient suivre dans plusieurs oeuvres – l’Orlando de l’Arioste prend la suite de l’Orlando de Boiardo –, des personnages qui font des cross over comme dans les séries télés d’aujourd’hui. Cela se prêtait totalement à cette bascule permanente de situations, comme des personnages dans des lieux différents qui subiraient chacun les conséquences d’un même tremblement de terre.

Concrètement, comment avez-vous représenté ce labyrinthe sur le plateau ?

Comment peut-on se perdre dans 10 x 10 mètres ? Un labyrinthe au théâtre cela ne fonctionne jamais. Nous avons peu à peu inventé avec le scénographe un module qui permet de changer rapidement les espaces, de les modifier aussi en coulisses, à travers une grammaire qu’on utilise beaucoup avec Vincent, à savoir les portes et les fenêtres. Nous avons en fait utilisé un vieux truc de théâtre, le même qu’on pouvait avoir sans doute en 1642 : des tournettes. Simplement la caméra permet d’amener une nouvelle dimension à cette machinerie. Le tout devient donc une sorte de plateau de tournage d’Atlante, puisque c’est lui qui organise, qui planifie et qu’il éprouve une certaine fascination pour les gens qu’il a enfermés, une certaine jouissance aussi de les faire se perdre, même si tout part chez lui d’une félure. Pour créer ces espaces changeants, nous nous sommes finalement demandés quels étaient les labyrinthes contemporains dans lesquels on se perd : un opéra, un hôpital, un aéroport, un hôtel, ces lieux de passages, ces lieux où peuvent se croiser plein d’existences différentes. Un hôpital est aussi un lieu lié au drame, à des émotions intenses. Ces personnages de chevalerie, un univers littéraire de loyauté qui déjà au temps de l’Arioste était en déclin, ce sont avant tout des personnages qui se font happés, qui se font attirer par un lieu. Un chevalier attiré par des nymphes dans le palais, c’est un businessman happé par des travailleuses du sexe en passant dans une rue. Mais le personnage principal, c’est le palais, dans lequel ces protagonistes évoluent. Les personnages se croisent, mais s’arrêtent très peu et interagissent très peu ensembles. Les histoires qui s’y racontent sont comme autant de court métrages, qui se ressemblent et se répondent. Il peut être intéressant de maintenir du trouble, que les images ne soient pas totalement explicatives : elles ouvrent des mondes dans l’esprit du spectateur. Nous faisons sur scène 80 % du travail, mais les fils manquants peuvent se tisser dans l’imaginaire.

Au fil des trois actes, votre décor évolue vers une quasi disparition…

À la fin de l’histoire, le labyrinthe se détruit. L’idée était donc de faire mourir notre langage et de le transformer pour atteindre une forme de pureté. Alors qu’au début du spectacle on est dans quelque chose de très maîtrisé, où le regard du spectateur est conduit, à la fin on n’est plus qu’avec l’émotion brute et le corps. Il ne reste que cela, tout le reste a été enlevé. Le vocabulaire se réduit à ses éléments essentiels et les plus intenses, entiers, bruts. Dans l’opéra romain de cette époque, on ne se dit pas de mensonges, on ne cache rien. Il n’y a pas de sous-entendus comme dans l’opéra vénitien. Il y a un rapport direct avec la vérité, entier et frontal. 

Quand on voit la précision et la virtuosité de l’utilisation de la vidéo dans le premier acte, on imagine une préparation très précise. Reste-t-il une part d’improvisation et de création au plateau ?

Nous sommes arrivés en ayant beaucoup préparé les premières scènes, essentiellement parce qu’on voulait s’assurer pendant le travail d’élaboration du projet que cela pouvait marcher. Il aurait fallu sinon imaginer tout à fait autre chose. Nous l’avons fait avec des moyens très simples : des playmobils filmés à l’iPhone dans la maquette du décor… Ce qui

nous permet de calculer les valeurs de plans, les lentilles de caméra etc. Mais le plus important est de se créer la boîte de Lego et les règles du jeu. Il ne s’agit pas de dessiner le parcours des personnages et de placer une porte à l’endroit où ils passent, mais au contraire de se donner les éléments du jeu et de jouer avec, dans un dispositif suffisamment complexe pour générer des situations.

Est-ce que cela signifie que vous avez privilégié une approche « phénoménologique » des situations à un questionnement sur les motivations des personnages, leur « psychologie » ?

J’ai avant tout essayé de leur dessiner des parcours, ce qui explique que je les ai parfois réinjectés dans certaines scènes d’où ils étaient absents. J’ai parfois réécrit ces parcours comme une sorte de palimpseste sur l’histoire originale. C’était un moyen aussi de clarifier un peu les situations et de maintenir certains personnages plus sporadiques à l’esprit du spectateur. Je crois qu’on ne peut pas espérer que le public comprenne tout, parce que c’est en grande partie incompréhensible ! L’idée est qu’à travers cette charpente narrative, le spectateur en arrive à faire des associations imprévues, se perde également dans une sorte de labyrinthe et suive ses propres fils, se tisse sa propre histoire.

Cette production se fait dans le contexte tout à fait inhabituel de cette crise sanitaire, alors qu’une partie du monde est confinée. Comment vivez-vous cette expérience ?

Le plus troublant est que le livret du Palazzo raconte un événement qui s’abat sur plusieurs personnes différentes, alors que nous sommes justement en train de vivre une crise qui est un des premiers grands évènements globaux : on est confiné à New Delhi, à Paris et à Yaoundé en même temps. Nous n’y échappons pas ici. Mais je crois que nous avons en réalité de la chance d’être en création. Cela nous sauve en quelque sorte. Les gens autour de nous sont terrassés de tristesse, et nous, en création, nous sommes embarqués dans un TGV. Il y a une grande bienveillance de la part de toutes les équipes pour nous aider à aller jusqu’au bout. Et nous sommes pour notre part très concentrés sur le travail. 

Quelle expérience voudriez-vous faire traverser au spectateur dans ce spectacle ? 

Ce spectacle est comme un mirage, en sortir est comme se réveiller d’un rêve. Quand on est dans la troisième partie, on se demande si c’est bien ce qu’on a vu dans la première. Les personnages eux-aussi se réveillent. Ce palais agit comme une drogue sur les personnages, avec une montée, un shoot délirant avec des visions et des hallucinations, puis une espèce de descente, de gueule de bois monumentale où l’on va se fracasser sur la réalité. J’aimerais que le spectateur traverse cette chose-là de la même manière que les personnages.

Médias

Le Palais enchanté | Luigi Rossi | Bande-annonce

« Le Palais enchanté » de Rossi, une création « confinée » | Les coulisses des répétitions

Interview avec Fabrice Murgia

Interview avec Leonardo García Alarcón

Photographies du spectacle

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon