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Le Turc en Italie ROSSINI Opéra

Du 8 au 14 janvier 2016

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Présentation

Affiche Le Turc en Italie

Distribution

Il Turco in Italia
Le Turc en Italie
Dramma buffa en deux actes
Créé au Teatro alla Scala de Milan, le 14 août 1814 

LIVRET Felice Romani
MUSIQUE Gioachino Rossini

ORCHESTRE DIJON BOURGOGNE
CHŒUR DE L’OPÉRA DE DIJON

DIRECTION MUSICALE Antonello Allemandi
MISE EN SCÈNE Christopher Alden
REPRISE DE LA MISE EN SCÈNE Karolina Sofulak
COLLABORATION ARTISTIQUE AUX MOUVEMENTS Jean-François Kessler
SCÉNOGRAPHIE Andrew Lieberman
COSTUMES Kaye Voyce
LUMIÈRES Adam Silverman
ASSISTANAT AUX LUMIÈRES Cécile Giovansili
CHEF DE CHANT | PIANISTE continuo Raffaele Cortesi
CHEF DE CHŒUR Anass Ismat

SELIM Damien Pass
FIORILLA Elena Galitskaya
DON GERONIO Tiziano Bracci
DON NARCISO Luciano Botelho
PROSDOCIMO Vincenzo Taormina
ZAIDA Catherine Trottmann
ALBAZAR Juan Sancho

FIGURANTS Jamel Blissat, Vladimir Hugot, Pierre Lhenri, Massimo Riggi, Christophe Querry, Benoît Rousseau, Frédéric Schalck, Matthieu Tune

RÉALISATION DES DÉCORS Ateliers du Festival d’Aix-en-Provence
RÉALISATION DES COSTUMES Ateliers du Festival d’Aix-en-Provence

PRODUCTION Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence
COPRODUCTION Teatr Wielki - Opéra national de Pologne, Opéra de Dijon, Teatro Regio Torino

ACTE I

Dans une ville du bord de mer, l’arrivée de Bohémiennes réjouit le poète Prosdocimo : peut-être provoqueront-elles quelque intrigue dont il pourrait tirer une pièce. Or voici justement Don Geronio qui vient les consulter à propos de sa femme, la volage Fiorilla. Zaida et ses compagnes bohémiennes font tant d’allusions aux bêtes à cornes que Geronio s’enfuit. Le Poète interroge Zaida, qui lui raconte son infortune : elle devait épouser le prince turc Selim Damelec, mais ce dernier l’a injustement condamnée à mort. Sauvée par le fidèle Albazar, elle s’est enfuie avec ce dernier.

Après la sortie de Zaida, Fiorilla entre en scène en vantant la versatilité des coeurs. Un navire approche de la plage. Un prince turc en débarque : c’est Selim, qui lie connaissance avec l’accorte Italienne. L’un et l’autre s’éloignent en badinant. Lorsque le Poète revient, il croise Don Narciso, amant en titre de Fiorilla, qui fulmine de jalousie. Survient alors Don Geronio, hors de lui car il vient de voir sa femme au bras d’un Turc ! Le Poète jubile – il tient le début de sa farce théâtrale.

Fiorilla a invité Selim à prendre le café chez elle, rendez-vous interrompu par l’irruption de Geronio. Rattrapant la situation, Fiorilla oblige son mari à baiser le manteau de leur visiteur. Narciso arrive alors et, voyant la position humiliante du mari, lui recommande de ne pas se laisser faire. Selim s’éclipse. Geronio se plaint au Poète qui lui conseille de corriger sa femme (dans l’espoir que sa comédie en sera plus piquante). De fait, les deux époux se livrent à une spectaculaire scène de ménage.

Alors qu’il attend Fiorilla afin de fuir avec elle, Selim rencontre les Bohémiens et reconnaît Zaida. Mais voici qu’arrivent Narciso, Geronio et enfin Fiorilla, qui laisse éclater sa colère lorsqu’elle découvre Selim avec une autre. Cris, stupeur et confusion sont encouragés par le Poète.

ACTE II

Le Poète pousse Geronio à boire, histoire de se donner un peu de courage – sans quoi sa comédie se terminera en queue de poisson. Arrive Selim, qui propose à Geronio de lui acheter sa femme. Fiorilla a convié Zaida afin que le Turc choisisse entre elles. Selim ne résiste guère à la belle Italienne, mais une fois Zaida chassée, il ne peut s’empêcher de plaindre la malheureuse, ce qui a le don d’exaspérer Fiorilla. Il faudra un duo pour les réconcilier. Le Poète dévoile alors à Geronio son plan pour empêcher l’enlèvement de Fiorilla : au cours d’un bal masqué, Zaida se fera passer pour Fiorilla aux yeux de Selim. Surprenant ces propos, Don Narciso décide de se rendre lui aussi au bal déguisé en Selim.

Pendant le bal, à la faveur des déguisements, Narciso aborde Fiorilla, qui le suit en croyant avoir affaire à Selim ; ce dernier se retrouve, sans le savoir, avec Zaida. Geronio n’y comprend plus rien. Le Poète vient à la rescousse de Geronio : il le pousse à menacer sa femme de divorce. De retour du bal, Fiorilla tombe nez-à-nez avec son mari, qui lui interdit le domicile conjugal. Le Poète apporte alors une lettre à Fiorilla : son mari la répudie. Prise de remords, elle se repent de sa conduite – ce qui réjouit le Poète : sa comédie bénéficiera même d’une fin morale !

Désespérée, Fiorilla a décidé de quitter la côte napolitaine pour retourner chez ses parents de pauvre extraction. Mais Geronio accourt pour lui pardonner. Quant à Selim, il repart chez lui avec Zaida. Tous chantent les bienfaits de cette fin heureuse.

Entretiens

On considère souvent la partition du Turc comme assez inégale, avec peut-être la participation d’une main étrangère, d’un collaborateur inconnu, pour certaines parties comme la Cavatine de Geronio, l’air d’Albazar ou le finale du deuxième acte. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Il est vrai que Le Turc en Italie ne fait pas partie des trois opéras - La Cenerentola, Le Barbier de Séville et L’Italienne à Alger - les plus célèbres, les plus joués et les plus réussis de Rossini. Mais il faut avoir à l’idée que la composition de toutes ces oeuvres, y compris le Turc, s’étale sur seulement quatre années, de 1814 à 1817. Il y a un aspect du Turc que j’aime particulièrement souligner lorsque je le dirige, c’est l’aspect éminemment mozartien de cette partition, dans l’instrumentation, dans la manière de conduire la phrase, un caractère que l’on ne retrouve pas dans les trois autres. C’est pourquoi dans ma direction, je préfère prendre des tempos qui restent rapides, mais malgré tout un cran en dessous de ce qu’on fait habituellement dans les autres opéras de Rossini où l’on va parfois jusqu’aux limites de la vitesse d’exécution possible. Je demande souvent un jeu un peu moins piqué, avec plus d’adhérence de l’archet sur les cordes pour une sonorité plus liée, moins virtuose. Les Sonate a sei pour cordes de Rossini, une de ses oeuvres de jeunesse, sont très mozartiennes, c’est une influence et une référence à prendre en compte dans sa musique. Quant à la participation d’un collaborateur, il y a cette notion de travail d’atelier, comme chez un peintre, il y a des petites mains qui travaillent sous la direction de l’artiste. À la lecture, ce sont des pages qui peuvent paraître plus faibles ou plus communes, mais il faut bien reconnaître que sur scène, avec les chanteurs qu’il faut, elles fonctionnent très bien. On retrouve aussi dans le Turc cette autre pratique rossinienne - résurgence d’une pratique très courante au XVIIIe siècle - de la réutilisation de matériaux antérieurs. Si la musique du Turc est elle-même entièrement originale, son fameux quintette du deuxième acte sera repris tel quel, sans modification, dans La Gazzetta. J’ai eu la chance de diriger cette oeuvre au Festival de Pesaro en 2005 et deux ans plus tard au même endroit, Le Turc et de retrouver ainsi ce même quintette ! L’art de Rossini n’est pas un art réaliste, comme chez Bellini ou Verdi, mais un art abstrait, une mécanique dans laquelle des éléments identiques peuvent servir de façon différente. On peut prendre un quintette, et sans changer une note le mettre sur des mots différents. C’est pour cela que ses opéras peuvent supporter des mises en scène qui s’éloignent parfois énormément des données réalistes du livret, sans que l’oeuvre ne soit amoindrie pour autant.

Cela veut-il dire que Rossini accordait une faible importance à l’aspect dramaturgique de ses opéras, que pour lui c’était vraiment prima la musica ?

Oui, je suis absolument sûr de cela ! Il n’y a pas comme chez Verdi plus tard une adhérence de la musique à chaque mot, à son sens et à sa sonorité même. C’est une musique autonome et auto-suffisante : le quintette fonctionne aussi bien dans le Turc et dans La Gazzetta. On a dit qu’il était paresseux, avec cette anecdote célèbre où il est dans son lit, fait tomber la feuille de la partition qu’il est en train d’écrire, et par flemme de se lever, réécrit complètement son air. Oui, mais il ne refait pas son air à l’identique, il en invente un autre ! Ce n’est pas de la paresse, ça, c’est de la fantaisie et de l’inventivité, une extraordinaire inventivité et une grande facilité dans l’invention !

Vous parliez de Mozart tout à l’heure : quand on observe la dramaturgie du Turc, avec une figure de sage, poète ou philosophe à la fois dans et en dehors du jeu, qui organise et sollicite le chassé-croisé amoureux, on pense immédiatement à Cosí fan tutte. Comme Don Alfonso dans Cosí, Prosdocimo n’a pas d’air qui lui soit propre et n’intervient que dans des récitatifs ou des ensembles.

Oui, c’est tout à fait exact. Et c’est très sensible dans cette mise en scène en particulier, où on voit quasiment l’opéra se faire au fur et à mesure, dans une forme de théâtre dans le théâtre.

On dit qu’il est souvent plus dur de faire rire que de faire pleurer, sur quels procédés musicaux repose la vis comica rossinienne ?

Il faut dire que dans le Turc, il y a beaucoup moins de ce type de procédés que dans les autres oeuvres comiques de Rossini. Il y a très peu de ces crescendi rossiniens où les cellules musicales se répètent de plus en plus en fort de huit mesures en huit mesures, comme ceux qu’on trouve dans l’air de la calomnie du Barbier. Cette mécanique à base de répétition obsessionnelle est bien moins présente dans le Turc. Il me semble d’ailleurs que c’est une erreur stylistique de superposer à ces crescendi, comme on le fait souvent, des accelerendi, avec un tempo de plus en plus rapide à chaque répétition. Cet effet mécanique fonctionne toujours mieux dans l’immobilité, quand le seul facteur qui évolue est la nuance, de pianissimo à fortissimo, et pas dans une excitation toujours plus grande de la pulsation. Il faut trouver le tempo giusto, si on peut, et le tenir.
Cette présence moins importante de ce type de procédés typiquement rossiniens participe d’ailleurs de l’aspect mozartien du Turc, associée à de nombreuses cadences tout à fait dans le style de Mozart. C’est pour cette raison que, par exemple, je choisis pour le finale du deuxième acte un tempo allegro plus modéré que ne le serait un allegro purement rossinien. Cette présence cachée de Mozart dans le Turc, c’est une des premières choses que je vais faire sentir à l’orchestre lors de la première répétition avec eux. Je suis intiment persuadé que Rossini compose volontairement cet opéra dans l’ombre de Mozart.

Rossini était sans doute de son vivant le plus célèbre compositeur d’opéra, celui qui avait le plus de succès en Europe. Qu’a-t-il, selon vous, apporté au genre ?

C’est un style unique. Il y a dans sa musique une importance, une primauté de la structure, de son aspect abstrait, de sa mécanique - et toute la difficulté est de la rendre avec une extrême précision et un extrême naturel -, qu’on pourrait presque comparer à Bach, chez qui vous pouvez prendre une fugue et la confier à n’importe quel groupe d’instruments sans que l’essence de la partition ne soit trahie. Dans l’histoire de l’opéra italien, il y a une lignée qui joint Bellini, Donizetti et Verdi dont Rossini ne fait pas vraiment partie. Bien sûr, il y est relié par le bel canto, mais son art, avec sa vivacité et son énergie rythmique vitale, est foncièrement à part, il me semble. C’est une musique qui avance en permanence, sans s’arrêter, tout en restant d’une certaine façon immobile, en tournant sur elle-même, un peu comme chez Bruckner d’ailleurs, même si la comparaison est osée !

Il y a dans la musique de Rossini une très grande désinvolture, une façon d’enchaîner les mélodies accrocheuses avec une manière de « prenez encore celle-ci », une façon d’enchaîner les succès en composant sur un coin de table ou dans un lit qui excite l’envie… Vu de la moitié nord de l’Europe, c’est un caractère « italien ». Que pensez-vous de cette idée ?

Plus que de la désinvolture, il y a une forme d’insolence, et, oui, je crois que c’est sans doute une vertu assez italienne. Il y a cette insolente facilité chez Rossini, comme chez un Pavarotti - quoi qu’on en pense par ailleurs. Pour un chanteur « normal », la facilité d’émission de Pavarotti, c’est vraiment quelque chose d’insolent ! La beauté de Sophia Loren jeune était aussi absolument insolente, pour qui aime les femmes ! Quand on est à tel point en dehors de la norme, le naturel lui-même devient insolent.

Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

Quel est votre parcours?

Je n’ai pas eu de formation théâtrale à proprement parler. J’ai grandi à New-York dans le milieu du spectacle : mon père était scénariste pour le théâtre, le cinéma et la télévision, ma mère danseuse, entre autres à Broadway. Dès le plus jeune âge, j’ai donc été immergé dans cet univers qui m’a tout de suite passionné.

De façon générale, quel rapport entretenez-vous avec l’opéra ?

J’ai aimé le genre avant même de devenir metteur en scène. Je suis tombé amoureux de l’opéra alors que j’étais au lycée et que j’ai assisté à ma première représentation en 1966 : c’etait la dernière saison de l’ancien Metropolitan Opera de New York qui a déménagé par la suite au Lincoln Center. J’ai ensuite été l’assistant de Jean-Pierre Ponnelle sur plusieurs productions, à l’Opéra de Paris, à l’Opéra de Houston et au Festival de Salzbourg notamment, avant de mener ma propre carrière. En quarante ans de métier, lorsque je regarde le nombre d’œuvres et de compositeurs abordés, de Mozart à Verdi en passant par Wagner et Britten, je crois pouvoir dire que l’opéra représente une part vraiment importante de ma vie.

Comment définiriez-vous le rôle d’un metteur en scène d’opéra ?

À mon sens, un metteur en scène d’opéra se doit de recréer les émotions ressenties par le public à la création de l’œuvre – l’enthousiasme, la surprise et pourquoi pas l’indignation–, de manière à rendre la représentation la plus vivante et intense possible. Personnellement, j’essaie aussi d’insuffler l’impression que j’ai pu avoir en écoutant pour la première fois tel ou tel titre du répertoire.

Qui sont vos modèles en la matière?

J’ai commencé à exercer ce métier à un moment où la pratique traditionnelle de la mise en scène faisait l’objet d’une profonde remise en question : l’expérimentation  était de mise, voire même encouragée. Pour cette raison, mes modèles sont des gens comme Ruth Berghaus, Peter Stein, Patrice Chéreau ou Jean-Pierre Ponnelle. Ces metteurs en scène ont su donner de nouvelles perspectives en inventant une théâtralité dégagée des conventions et reliée au climat politique, social et artistique de l’époque.

Mis à part Le Turc en Italie, vous avez eu l’occasion d’aborder d’autres opéras de Rossini : Le Barbier de Séville à l’Opéra du Michigan, Le Comte Ory à l’Opéra de Saint-Louis et au Festival de Santa Fe, ou encore L’Italienne à Alger au New York City Opera. Le cygne de Pesaro semble occuper une place importante dans votre carrière.

Effectivement, même si je n’ai mis en scène aucun de ses opera seria (opéras sérieux). Je constate que ces derniers, à l’image d’Otello ou de Semiramide, reviennent peu à peu au goût du jour après avoir été délaissés pendant près de cinquante ans. Le milieu musical commence à se rendre compte que ces ouvrages sérieux sont de réels chefs-d’œuvre.

Le Turc en Italie est-il seulement un opéra bouffe?

Le livret est plus profond qu’il n’y paraît dans la mesure où il met en scène des personnages qui essaient de franchir leurs propres limites et osent s’aventurer dans des zones souvent inexplorées. Bien qu’issus de cultures radicalement opposées, les personnages de Selim et Fiorilla, l’un turc, l’autre italien, sont ainsi irresistiblement attirés, comme fascinés l’un par l’autre. Plus qu’un simple opéra bouffe, Le Turc en Italie est une œuvre sur la différence, de cultures d’une part, hommes / femmes de l’autre.

Selon vous, en quoi Le Turc en Italie se distingue-t-il de l’ensemble de la production rossinienne?

Je considère Le Turc en Italie comme l’un des opéras les plus fascinants de Rossini. Il se singularise avant tout par une certaine perversité, incarnée par la figure du poète Prosdocimo : cet homme, à la recherche d’un argument valable pour son livret d’opéra, s’inspire des gens qui l’entourent. Il les incite, de manière plus ou moins insidieuse, à adopter des comportements destinés à servir son intrigue. Il tente de les manipuler en quelque sorte.

Quelles sont les principales difficultés à mettre en scène cet opéra ?

C’est une pièce fantastique et inspirante à laquelle je reviens pour la deuxième fois, après l’avoir montée il y a vingt ans, en Californie, avec la compagnie du Long Beach Opera. Déjà à l’époque, ce ne fut que du plaisir. Redécouvrir longtemps après une œuvre, qui plus est un tel chef-d’œuvre, est l’une des chances offertes par mon métier : cela permet d’aborder l’ouvrage chaque fois différemment, tenant compte des évolutions de la société, mais aussi de son propre vécu.

Quel angle d’approche avez-vous choisi pour la mise en scène du Turc en Italie ?

Mon angle d’approche est plus onirique que réaliste. J’ai été très inspiré par la figure du Poète qui revet, dans ma version, les traits d’un metteur en scène d’opéra sous la direction duquel les autres personnages répètent. Le Poète est une figure qui m’est familière : je fais un peu la même chose que lui lorsque, chez moi, assis à ma table de travail, je prépare une production. Je rassemble mes idées, écoute des disques, étudie l’identité des personnages et explore les moindres recoins de l’œuvre : ce travail quasi obsédant, nous l’éprouvons tous les deux!

Le rapprochement avec la pièce de Pirandello, Six Person- nages en quête d’auteur, vous semble-t-il pertinent ?

Oui. Comme chez Pirandello, il y a une tension entre réalité et fiction. Un vrai combat s’instaure entre le Poète en train d’écrire, l’équivalent du Directeur dans Six Personnages en quête d’auteur, et les personnages de la pièce.

Le personnage de Prosdocimo peut-il être comparé à celui de Don Alfonso dans Così fan tutte de Mozart?

Tout à fait. Les deux figures s’inscrivent dans une tradition théâtrale similaire, celle de l’homme sage et âgé qui regarde avec distance les affres et les combats des autres et que, tel un juge tout puissant, il prend plaisir à manipuler. Cependant, tant Prosdocimo que Don Alfonso éprouvent de la difficulté à rester passifs face aux événements dont ils sont témoins. Propulsés malgré eux dans l’action, l’un comme l’autre finit par perdre le contrôle qu’en hommes d’expérience ils détenaient jusque-là.

Le spécialiste de Rossini, Damien Colas, soutient que « le véritable protagoniste d’Il Turco n’est pas Selim mais Fiorilla ».

Le rôle de Fiorilla, féministe avant l’heure évoluant au sein d’une société patriarcale, est assez inhabituel dans l’opéra du XIXe siècle. Fiorilla se refuse à incarner le rôle de bonne épouse qu’on lui assigne et à accepter le mariage petit-bourgeois qu’elle a conclu. Afin de s’extraire de cette situation, elle repousse les limites de sa sexualité en endossant un rôle quasi masculin. Il est intéressant de remarquer qu’un chœur de femmes est présent au début de l’opéra, puis disparaît pour laisser place à la seule Fiorilla. Le spectateur est ensuite témoin des sentiments contradictoires que la jeune femme déclenche chez les hommes de son entourage: ces derniers l’aiment, la désirent et en même temps l’effraient, la détestent et la jalousent. Proche de Lulu et de Carmen, Fiorilla fait partie de ces femmes fortes que les hommes veulent à tout prix soumettre. Comme Catharina dans La Mégère apprivoisée de Shakespeare, malgré ses bonnes intentions, Fiorilla finit vaincue et choisit le confort rassurant du mariage.

Que penser du happy end qui, comme dans Così fan tutte, semble en décalage avec la situation réelle ?

C’est en effet un happy end de convention car la fin de l’opéra est plutôt triste. Si l’issue du Turc en Italie paraît plus évidente que celle de Così fan tutte, elle n’en présente pas moins des personnages détruits, dépossedés de leur joie de vivre voire même de leur sexualité, qui se seraient comme brûlé les ailes au contact du désir, finissant par renoncer à leurs idéaux. Ainsi, ni Fiorilla ni Selim n’ont le courage de transgresser la situation qui est la leur et chacun se replie sur sa propre culture.

Cet opéra peut-il encore parler au public d’aujourd’hui?

Cet opéra peut encore parler au public d’aujourd’hui dans la mesure où il aborde la question universelle des relations humaines, et des rapports hommes / femmes, sujet de grande actualité. Le Turc en Italie montre le poids des normes sociales : les personnages percoivent la difficulté du combat à mener pour atteindre la liberté de s’exprimer en tant qu’individus. Ce sujet concerne chacun d’entre nous.

Propos recueillis le 31 mars 2014 par Anne Le Nabour

Médias

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Timelapse du montage du décor de l’opéra Le Turc en Italie à l’Opéra de Dijon

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