Revenir en haut de page

Orphée & Eurydice GLUCK Opéra

Du 4 au 8 janvier 2017

Partager par mail

Présentation

Affiche Orphée & Eurydice

Distribution

Orphée et Eurydice 
Tragédie opéra (drame héroïque) en trois actes
Créé à l’Académie Royale de Musique de Paris, le 2 août 1774

LIVRET Pierre-Louis Moline, d’après le livret italien de Ranieri de’ Calzabigi
MUSIQUE Christoph Willibald Gluck

ORCHESTRE DIJON BOURGOGNE
CHŒUR DE L’OPERA DE DIJON

DIRECTION MUSICALE Iñaki Encina Oyón
MISE EN SCENE Maëlle Poésy
SCENOGRAPHIE Damien Caille-Perret
CHOREGRAPHIE Mikel Aristegui
COSTUMES Camille Vallat
LUMIERES Joël Hourbeigt
MAQUILLAGE Marion Bidaud
CHEF DE CHANT Philip Richardson
CHEF DE CHOEUR Anass Ismat
ASSISTANAT A LA MISE EN SCENE Sophie Petit
ASSISTANAT AUX COSTUMES Juliette Gaudel

ORPHÉE Anders J. Dahlin
EURYDICE Élodie Fonnard
AMOUR Sara Gouzy

DANSEURS Rosabel Huguet, Théo-Mogan Gidon, Alice Kinh

REALISATION DES DECORS Ateliers de l’Opéra de Dijon
REALISATION DES COSTUMES Ateliers de l’Opéra de Dijon

PRODUCTION Opéra de Dijon
AVEC LE SOUTIEN du Cercle d’entreprises de l’Opéra de Dijon

 

ACTE I

Orphée et les bergers et nymphes de sa suite sont réunis autour de la tombe d’Eurydice pour une cérémonie funèbre. Bergers et Nymphes entonnent un chant de déploration entrecoupé par les lamentations d’Orphée qui pleure sa bien-aimée tuée par la morsure d’un serpent le jour de leurs noces. Orphée ordonne à sa suite de couvrir de fleurs le tombeau puis de le laisser seul à sa peine et à ses larmes

Prenant la nature à témoin de ses souffrances et de son deuil, Orphée, dans un accès de révolte, s’en prend aux dieux des enfers et décide d’aller leur reprendre son épouse.

Amour parait alors pour lui annoncer que les dieux, touches par sa douleur, ont tranché en sa faveur : il peut descendre aux enfers, et si son art sait apaiser les divinités qui y règnent, il pourra en repartir avec Eurydice. Jupiter y met cependant une condition impérieuse : il ne devra porter aucun regard sur sa bien-aimée, à laquelle il devra taire cet arrêt divin, tant qu’ils n’auront pas quitte le monde souterrain. S’il sait ainsi contraindre son désir et se montrer un amant discret et fidèle, Eurydice sera à nouveau sienne.

D’abord interdit par cette épreuve, Orphée se laisse bientôt aller à l’espoir de retrouver sa bien-aimée et s’engage sur le chemin des enfers.

ACTE II

Arrive à la porte des enfers, Orphée fait entendre les sons de sa lyre, tandis que Spectres et Furies tentent de l’épouvanter. À leur fureur, Orphée oppose l’expression par son chant de la douleur que lui cause la perte d’Eurydice (« L’Enfer n’a point de tourments / Pareils à ceux que je ressens. ») et du tendre amour qui le guide en ce lieu. Peu à peu attendris, désarmés et charmés, Spectres et Furies lui laissent le passage.

Orphée pénètre alors aux Champs-Élysées, partie des enfers réservée aux héros et aux vertueux. Au milieu de ce paysage idyllique, il aperçoit les Ombres Heureuses, et parmi elles, Eurydice.

Mais la vue de ce séjour calme et heureux ne détourne pas Orphée de sa douleur et de son désir. Les Ombres Heureuses lui rendent alors Eurydice.

ACTE III

Sur le chemin qui conduit hors des enfers, Orphée mène Eurydice par la main, sans jamais se retourner vers elle. D’abord réjouie de se savoir réchappée des morts, Eurydice s’inquiète peu à peu de voir Orphée fuir son regard et ses transports. L’aime-t-il encore ? Est-ce un Orphée froid et distant qu’elle aura désormais pour époux ? De plus en plus tourmentée, elle le supplie de répondre à sa tendresse, tandis qu’Orphée, tenu au silence par les dieux, est incapable de lui donner une raison à sa froideur apparente. Désespérée, Eurydice se voit bientôt incapable d’avancer et s’effondre. Ne pouvant plus résister, Orphée se retourne pour lui porter secours. Eurydice meurt une nouvelle fois immédiatement. Sur le corps de son épouse, Orphée s’apprête à mettre fin à ses jours pour la rejoindre.

Amour parait alors à nouveau et arrête son bras : par son geste, Orphée a prouvé sa foi en l’amour ! Eurydice se ranime. Les deux amants, cette fois définitivement réunis, chantent la gloire du dieu qui les a sauvés.

Maëlle Poésy, metteuse en scène

Les métamorphoses subies par les hommes dans les contes d’Ovide, le bouleversement de leur réalité grâce à l’intrusion du fantastique, révèlent le côté sacre de l’homme. Il s’agit pour nous de traiter ce basculement qui interroge notre propre rapport au réel, au visible et à l’invisible, à la transgression et aux règles du monde.

La vision subjective d’Orphée

Une des questions centrales dans l’opéra de Gluck est celle du regard. Que voit-on ? Que ne peut-on pas voir ? Qui est le jouet de qui sans le savoir ? Qui a le droit de voir et qui est aveugle ? Qu’est-ce que voir ce qu’on ne doit pas voir, quelle règle cela transgresse-t-il ?

Je souhaite que nous traversions l’opéra à travers les yeux d’Orphée. L’espace de jeu dans lequel il circule est à l’image de sa perception de la réalité peu à peu envahie par son cauchemar. C’est un espace clos, dont il ne peut pas sortir, comme son destin auquel il ne peut échapper, un lieu de fiction construit autour du héros pour écrire son histoire. Un espace, à l’image du « fatum » de la perte d’Eurydice, qu’il tente de renverser mais sur lequel finalement il n’a pas de pouvoir.

Le choeur est présent tout au long de l’oeuvre, place de chaque côté, il forme la frontière de cet espace. Il est aussi à la frontière de la fiction, à la fois acteur et spectateur de celle-ci. Au fil de l’oeuvre, le spectateur fait l’expérience physique de la sensation subjective du héros et de son monde qui s’écroule.

Le chœur comme témoin de l’illusion

Le spectateur a accès à l’espace de fiction d’Orphée à travers son regard, mais aussi à travers les personnages qui façonnent son histoire. Le choeur est à la place des dieux, parfois actif sur les péripéties, parfois observant celles-ci se dérouler. À l’image du spectateur, il est donc conscient que tout ceci n’est qu’un jeu orchestre par la volonté divine, dont Orphée est finalement la victime.

Le choeur est donc un et multiple. Il agit sur l’espace de la fiction en le modifiant, ou en le mettant en place. Il agit aussi sur les deux héros, en les guidant et en les influençant dans les chemins à prendre. Son apparence, comme celles des dieux chez Ovide, est aussi sujette à métamorphoses au gré de ce qu’il doit incarner. Sa première identité (celle des invites convies au mariage) évolue, devenant tour à tour adjuvant du héros ou s’y opposant en fonction des étapes de l’histoire.

L’espace : Image de la transgression

L’espace de la fiction, au début réaliste, est celui du mariage d’Orphée et Eurydice. La mort cueille la jeune femme le jour de ses noces. Je choisis de commencer par cette version du mythe qui scelle, pour moi, leur union dans la mort. Et qui rend d’autant plus traumatique la perte de l’autre quand tout est fait pour être une promesse d’avenir et de bonheur. L’irruption du personnage d’Amour, comme un messager un peu étrange, mi humain-mi dieu, à la fois masculin et féminin dans son accoutrement, correspond au basculement de l’histoire dans le fantastique. Une ouverture vers un ailleurs possible qu’on ne voit habituellement pas. L’idée de dépasser les frontières de notre monde. Le passage aux enfers est à l’image du renversement de l’ordre établi, qui se met en place. Orphée transgresse les lois qui régissent le monde, pour aller voir ce que l’on ne doit et ne peut pas habituellement voir. Comme l’évoque Jean-Pierre Vernant, cette injonction de ne pas se retourner peut évoquer l’idée du retour sur le passe, c’est une interdiction que l’on retrouve souvent comme consigne chez les Grecs. Orphée bouscule les règles établies et entre dans un monde inconnu à la logique unique. À l’image de ce renversement, le haut devient le bas, les racines remplacent peu à peu le plafond. La symbolique de l’arbre et de ses racines, est multiple : arbre de vie, arbre de la connaissance, mais aussi arbre de l’immortalité présent dans le livre de la Genèse dans le second récit de la création. Orphée retrouve Eurydice dans une sorte « d’entre deux sols », entre « la terre et la terre » en-dessous de la surface de ce qui nous est connu.

Chez les Grecs, l’image des Champs-Élysées, où les âmes valeureuses errent, est un « espace-temps » parallèle au notre ou le temps semble suspendu. On y échappe au passage du temps et à l’alternance des saisons, on s’alimente dans des banquets perpétuels, la nature y est luxuriante. Il s’agit pour nous de créer une sensation d’irréalité : l’image d’une sensation de déjà-vu, ou de rêve.

Cet « espace souvenir » est une métaphore du regard en arrière « interdit » dans la mythologie grecque et qui sera la perte d’Orphée.

La métamorphose comme métaphore du cycle de la vie

Cette métamorphose constante de l’espace et des protagonistes est une métaphore du cycle de la vie. C’est une lente exploration du renversement de la logique du monde auquel nous assistons à travers les yeux d’Orphée. À l’image du cycle de vie de la matière qui passe sans cesse de l’inanimé à l’animé, cette constante évolution évoque notre rapport à l’infini porté par l’oeuvre. C’est un conte ou l’amour et la mort sont intimement lies. Ou la douleur de la perte se fige dans le temps, comme un traumatisme vécu, qui se rejoue comme une boucle infinie.

Grace au travail chorégraphique, l’épuisement des corps nous donne à voir le chemin parcouru, les marques du voyage. Dans cette boite aux murs clairs, délimitée par l’espace du choeur, l’architecture des rapports est construite par les corps en mouvement. Travailler sur un aspect organique de l’oeuvre me semble essentiel pour évoquer la question de la perte physique, de l’absence de l’autre, du désir infini de le retrouver. L’impossibilité d’être à nouveau réunis dans la vie, et ne pas se résoudre à cette fatalité, est le coeur même de l’oeuvre.

 

Entretiens

Quand vous avez commencé à travailler sur cette mise en scène, quels sont les éléments qui vous sont apparus comme les plus problématiques, réclamant une solution scénique précise et particulière ?

Dans cette version de Gluck, la question des ballets et des airs danses. Ce sont des moments musicaux magnifiques, qui font intégralement partie de l’oeuvre, mais il fallait aussi leur trouver un sens dramaturgique dans la construction globale du spectacle. Je me suis donc interrogée sur ce que j’allais pouvoir construire scéniquement sur ces moments musicaux. C’est ce qui m’est apparu au premier abord le plus difficile. Et de voir comment, avec un travail chorégraphique qui ne fait pas appel à un grand nombre de danseurs, on allait pouvoir faire vivre ces moments-là, leur donner un sens pour qu’ils n’apparaissent pas uniquement comme une sorte d’ornement, mais qu’ils fassent pleinement partie de l’histoire qu’on raconte. Il y avait aussi cette question du happy end, avec Amour qui vient rétablir la situation in extremis en vrai deus ex machina. Très honnêtement, je préfère la version originelle du mythe, dans laquelle Orphée perd définitivement Eurydice, qui me semble pousser plus loin encore la question de la perte et du deuil qui sont à l’oeuvre dans toute la partition. C’est pourquoi nous avons eu l’idée de cette fin qui vient créer une sorte de boucle infinie où tout recommence, parce que le deuil lui-même ne finit jamais vraiment, il ressasse sans cesse les mêmes événements. Amour à ce rôle génial de faire commencer le voyage initiatique d’Orphée, c’est quelque chose d’émotionnellement et intellectuellement très fort. Mais qu’elle revienne à la fin, au moment le plus terrible, pour résoudre la situation et nous priver ainsi de l’accès à la complexité de cette deuxième perte pour Orphée, me semblait par trop simplifier le sens que l’oeuvre pouvait porter pour nous. C’est une convention qui me paraissait datée, alors qu’on tend toujours en tant que metteur en scène à aller vers quelque chose de plus universel et intemporel. D’où le choix d’une fin plus ouverte en terme d’interprétations...

À l’inverse, quels sont les éléments de l’oeuvre qui ont immédiatement suscite votre imaginaire et fait sens pour vous ?

La notion de voyage est quelque chose que j’ai déjà beaucoup traite dans les mises en scène que j’ai faites, comme l’adaptation de Candide ou Funérailles d’Hiver de Hanokh Levin. Suivre le voyage d’un personnage, sa quête, les évolutions et conséquences que ce parcours produit sur lui... ceux sont des thématiques que j’aime traiter au théâtre. C’est donc un aspect de l’oeuvre qui m’a immédiatement séduite. J’ai été aussi très sensible à cette sorte d’absolu qu’il y a dans l’oeuvre : ne pas se résoudre aux tragédies de la vie mais tenter de les transcender pour en faire autre chose. Orphée, en traversant la frontière entre le monde des vivants et des morts, transgresse l’impossible. Rien que cela, c’est déjà très beau !

Un des thèmes qui est souvent revenu au cours des différentes phases de travail, c’est celui du deuil...

Une de mes sources d’inspiration a été le Journal du Deuil de Roland Barthes, dans lequel il note au jour le jour, parfois une simple phrase, les étapes du deuil, et son voyage intérieur au sein de celui-ci. Il y a dans Orphée un chemin physique, une vraie traversée des espaces et des temps, qui rend compte de ces étapes : le fait d’aller au royaume des morts, aux Champs-Élysées, de remonter. Ces espaces physiques sont des métaphores du chemin émotionnel et mental, qui est fondamental quand on doit faire face au deuil. Ce parcours personnel, plus intérieur, est d’ailleurs tout aussi complexe, avec ses phases et ses vagues. Ce sont ces deux aspects que j’avais envie de traiter théâtralement ici.

Quand on regarde votre façon de travailler sur le plateau, on a le sentiment que vous travaillez surtout sur les gestes, l’énergie, l’inscription des corps dans l’espace, de manière très concrète. Vous donnez relativement peu d’indications « psychologiques » aux chanteurs sur leurs personnages...

Quand je prépare le spectacle, je fais toujours le travail préalable qui consiste à trouver comment telle ou telle motivation du personnage va pouvoir s’inscrire et se traduire dans les corps et dans l’espace. Si l’on observe la réalité, que des gens se parlent très loin ou très proche, fort ou à voix basse, raconte déjà les rapports qu’ils ont entre eux. Ce qui m’intéresse dans le travail avec les chanteurs ou les comédiens, c’est comment la silhouette, le rapport physique dans l’espace raconte déjà un abattement, un enthousiasme, un désir, une contrainte, une panique. Ma préoccupation majeure, c’est que toute ces émotions passent de manière organique dans le corps, ce qui ne veut pas dire que cette émotion ne soit pas motivée dramaturgiquement. Je discute évidement avec les chanteurs de la motivation de ces gestes et mouvements. La « forme » est toujours motivée par la dramaturgie pensée en amont, soit par ce qui est dit dans le texte, soit par ce qui est créé comme sous-texte à partir du texte.

Quant à la psychologie, je pense que beaucoup de nos actions naissent de façon très inconscientes. Notre langage physique nous échappe bien souvent, et pourtant il dit beaucoup de notre psychologie, de ce que nous sommes. J’essaie donc de trouver quelle forme donner à l’inconscient des personnages, plutôt qu’à leur conscient, que le texte parle de leur conscient et les gestes, les rapports scéniques soient une sorte de traduction de leurs inconscients. Trouver comment le corps peut agir en contre ou avec l’émotion de la musique pour créer une complexité de lecture de la séquence.

Vous traitez Amour d’une façon un peu décalée, comment voyez-vous ce personnage ?

C’est une gageure, se poser la question de comment on incarne l’Amour, quel corps peut incarner cette idée ou ce sentiment ! Quel corps à l’Amour ?? J’avais envie qu’elle soit comme une messagère des Dieux, plus proche d’un Hermès que d’un Cupidon, une messagère qu’on dépêche dans les moments de grande urgence et qu’on fait traverser rapidement la frontière des mondes, du Ciel et de la Terre, pour rétablir une situation. C’est pour moi la voyageuse par excellence, non seulement elle donne les clés du voyage à Orphée, mais elle-même passe son temps à voyager entre les mondes, les espaces et le temps. Elle ne connait pas de frontière. Nous avons donc cherché à lui donner un statut spécial dans l’espace scénique : comment elle y entre, comment elle en sort, comment elle s’y déplace. C’est en fait un personnage pour lequel j’ai pensé à Patti Smith pour son aspect androgyne, pour son côté ange et démon... ! Quelqu’un qui est à la fois très inspiré par un romantisme littéraire et poétique ancien, et en même temps qui incarne la violence de notre société. Amour allie pour moi complètement ces deux choses-là, de même qu’elle allie le masculin et le féminin, l’humain et l’animal. Là aussi, les frontières pour elle n’existent pas, ou plus exactement, elle est elle-même à la frontière de tout. Je voulais en fait en faire un personnage plus punk et plus malin que ce qu’on en fait d’habitude, moins naïf et plus manipulateur. Qu’elle ait une totale emprise sur Orphée, qu’elle ne soit pas seulement celle qui livre un message et s’en va : elle l’aveugle littéralement. Cette présence des Dieux qui agissent et provoquent à l’arrière-plan pose évidemment la question du déterminisme : qu’est-ce qui dans nos choix et nos actions vient vraiment de nous, quand sait-on vraiment pour quelle raison on a décidé quelque chose ? Nous travaillons en permanence dans l’idée qu’il y a chez Orphée une part de décision et une part de totale manipulation des Dieux.

Concernant le retournement d’Orphée, il y a chez Gluck une particularité : il semble motivé par l’attitude d’Eurydice, qui ne comprend pas le comportement d’Orphée, qui ne la regarde pas, ne la touche pas, ne lui parle presque pas...

Je voulais à tout prix éviter cette lecture au premier degré qui dirait qu’Orphée se retourne parce qu’Eurydice lui fait une « crise de jalousie » Je traite les Champs-Élysées comme une sorte d’espace-temps suspendu, où la gravite n’existe plus, où il y a une sorte de légèreté du corps, une apesanteur. J’ai donc construit la remontée d’Eurydice comme une sensation physique de retour de la gravite, de la pesanteur du corps, de la sensibilité corporelle... C’est-à-dire aussi comme une sorte de souffrance physique, pour que cette imploration qu’elle fait à Orphée de se retourner ne soit pas seulement une question de doute et de jalousie, mais aussi un appel à l’aide ne d’une véritable détresse physique, d’un état d’urgence lorsqu’elle se rapproche de la frontière entre le monde des vivants. Comme si la remontée vers la vie était en fait, déjà, une seconde mort, un état de douleur physique. C’est ce sentiment d’une urgence vitale chez Eurydice qui fait monter la panique à l’intérieur d’Orphée et le force à se retourner. Et sans doute les Dieux n’y sont-ils pas totalement étrangers...

Il y a ce moment étonnant où Eurydice, qui, elle, est passée par l’épreuve de la mort, lui dit en quelque sorte à lui qui est reste le même : « tu as change, tu n’es plus l’amant que tu étais » ...

Mais parce que je crois tout simplement que c’est son regard à elle qui a changé, son rapport au monde a été bouleverse par cette expérience de la mort. Comme n’importe quelle épreuve nous change. Elle ouvre sur lui des yeux différents. Elle n’est plus la même, donc il n’est plus le même pour elle. Là aussi la question du regard sur l’autre est essentielle !

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’usage que vous faites du choeur, toujours présent sur scène ?

Cela vient de la prise de conscience de l’importance du regard dans le texte. Ce que ne cesse de demander Orphée, inlassablement, c’est de revoir Eurydice. C’est pourquoi l’interdit porte par Amour sur le regard au moment de pouvoir la ramener est une telle épreuve pour lui. Nous sommes dans la salle, « témoin » de ce voyage, de cette transformation initiatique. Je trouvais intéressant d’avoir sur scène, avec le choeur incarnant les dieux, qui regarde lui aussi l’action et les conséquences de leurs manipulations. Il est comme une extension de ce regard du spectateur, et intervient sur scène pour continuer à construire le destin d’Orphée en agissant sur l’espace et en prenant tour à tour d’innombrables formes et figures. Il y a toujours chez les Grecs ces trois instances : le pouvoir, les vivants et les morts. Je trouvais intéressant de les avoir tous les trois présents sur scène.

Quel est pour vous la chose essentielle que vous voudriez faire passer à travers la mise en scène de cette oeuvre ?

C’est une question complexe et difficile ! J’aimerais avoir pu traduire avec cette mise en scène, métaphoriquement et poétiquement, la question de la perte, de ce que la perte déclenche. Je crois que c’est ce qui est le plus important à mes yeux. C’est que nous avons cherché à faire Damien Caille- Perret et moi avec cette scénographie. La sensation de cet espace qui se dérobe sous les pieds. Lorsqu’on doit faire face à une épreuve aussi terrible que la perte d’un être cher, c’est comme si notre perception du monde en était entièrement altérée. Et tout l’enjeu pour moi est de traduire scéniquement, et avec tous les chanteurs sur le plateau, cette sensation que le monde bascule, et qu’il faut faire face à une nouvelle logique, a une forme d’inconnu total, un nouveau « fonctionnement » de la vie.

Et pour nous, spectateur, voir quelqu’un faire face à un bouleversement aussi énorme, le traverser, le transcender... C’est forcément une catharsis. Pouvoir rêver aussi grâce à cet opéra de ce qui ne peut arriver dans la vie, de ce qui n’est possible qu’au théâtre, de revoir et retrouver la personne perdue, c’est le but même du spectacle.

PROPOS RECUEILLIS PAR STEPHEN SAZIO, Dramaturge de l’Opéra de Dijon

L’oeuvre de Gluck est pour nous, aujourd’hui, associée à cette « réforme » de l’opéra qu’il a entreprise avec la première version italienne d’Orphée et Eurydice. Quel regard portez-vous sur cette question ?

Ce qu’on connait et joue aujourd’hui de l’oeuvre lyrique de Gluck correspond en fait aux dernières années de son immense production, qui comprend une quarantaine d’opéras. C’est-à-dire aux oeuvres postérieures à cette « reforme » de l’opéra, des oeuvres qui correspondent à un moment où il prend conscience de ce qu’il veut faire du drame sur la scène, où il cherche à s’éloigner de l’esthétique et de la forme de l’opera seria italien. Si l’on regarde plus largement son oeuvre antérieure et mesure son évolution, on s’aperçoit qu’il aborde une multitude de genres et d’esthétiques, en vrai connaisseur des gouts et des attentes de son public : opéras comiques, ballets, mais aussi opera seria. Sans doute lorsqu’il tombe sur le livret d’Orphée y voit-il l’occasion de mettre en oeuvre quelque chose qu’il méditait déjà. Mais il ne faut pas le voir comme un « idéologue » radical. C’est un pragmatique qui trouve à un moment donne le moyen de mettre en oeuvre certaines de ses idées dramaturgiques et musicales. Que la reforme qu’il a entreprise ait radicalement change la forme même de l’opéra après lui ne doit pas nous faire dénigrer ce qu’il a fait avant, ni nous le faire considérer comme un iconoclaste. Le style de Gluck doit s’interpréter à l’aune de l’ensemble de son oeuvre et de son parcours. Il arrive à Orphée par tout ce qu’il a fait avant. Il y a en lui à la fois le compositeur conscient des recettes nécessaires au succès, soucieux de le trouver en répondant aux attentes de ses différents publics, et le compositeur qui a conscience de la direction qu’il veut donner à son art et de la part de risque que cela comporte. Être tourne à la fois vers le présent et ses contraintes, et vers l’avenir et son appel. Alors bien sûr, cette réforme représente une rupture radicale avec le genre et la tradition de l’opera seria, avec ses livrets remplis de métaphores, ses airs purement virtuoses et ses chanteurs qui font d’interminables fioritures à seule fin de briller en dehors de tout souci de cohérence musicale et dramatique et de tout sentiment vrai. La « réforme » de Gluck est avant tout une recherche de la vérité du sentiment, une vérité que l’opera seria ne permettait plus, du fait des excès en tout genre qui l’avaient progressivement dévoré, du fait de ce caractère de « performance de virtuose » qui finissait par tourner au cirque, même si cela fait aussi parti du plaisir de l’opéra. Mais après Orphée, il ne cesse pas pour autant de composer des opera seria ! La musique n’avance jamais en ligne droite et régulière. Il y a la ligne idéale qui trace l’évolution de la musique jusqu’à nous, et la ligne réelle qui est tout en courbe et en chemins de traverse.

Si on lit la préface d’Alceste, vrai manifeste de cette réforme, écrite pas le librettiste Calzabigi mais signée par Gluck, on s’aperçoit que les griefs portes contre l’opera seria concernent essentiellement des aspects littéraires : les livrets confus qui sont comme des catalogues d’airs conventionnels, les métaphores absconses etc. L’aspect musical lui-même n’est quasiment pas aborde. Qu’en est-il ? Y a-t-il là aussi rupture ?

Incontestablement. Le premier élément remarquable est la fin de la succession conventionnelle récitatif / air / récitatif / air ad libitum. Des Orphée, il y a une recherche de continuité dramatique et musicale admirable à cette époque, qui fait presque penser par anticipation à Wagner. Elle est sensible à la fois dans la recherche de formes nouvelles d’imbrication entre récitatifs, airs et ensembles, dans le choix de la construction tonale très précise, et dans la progression et l’utilisation subtile des différents tempi. Dans cette progression dramatique et musicale, tout est conçu comme une seule idée, et non comme des morceaux séparés. Le second élément, lié bien sûr au précèdent, c’est la disparition des recitativo secco, accompagnes du seul clavecin. Tous les récitatifs sont accompagnés par l’orchestre, et sont par conséquent entièrement écrits. Il n’y a plus de place pour l’improvisation, tout est cadre précisément. Cela donne évidement une importance supplémentaire à l’orchestre, qui commence à « raconter » lui aussi au même titre que le chant, et permet de donner plus de subtilité et de couleur à l’ensemble des récitatifs. Cela permet aussi de palier cet effet de rupture du tissu musical que l’arrivée du clavecin produit, cette sorte de on / off / on / off permanent. Cette volonté de reprendre le contrôle de paramètres qui étaient laissés au talent propre des interprètes, musiciens ou chanteurs, est évidemment quelque chose qui à l’époque va dans le sens de la modernité. Gluck entend contrôler tous les effets, ne rien laisser au hasard dans sa dramaturgie musicale. Et enfin, troisième élément : la présence importante du choeur, qui n’existe quasiment pas dans l’opera seria. C’est un élément qui rappelle la tragédie grecque, qui est en quelque sorte à l’origine de l’opéra.

Il y a dans la version française, de douze années postérieure, un élément nouveau : on y sent une filiation certaine avec les différentes formes de la tradition lyrique française, la tragédie lyrique et l’opéra-ballet notamment...Comment l’expliquez-vous ?

Comme je le disais tout à l’heure, il n’y a pas, je crois, chez Gluck de volonté de rupture par principe. Sa réforme est le fruit d’une réflexion progressive sur la forme que devait prendre pour lui un drame musical, c’est-à-dire en fait de ce qui pour lui fonctionnait et ne fonctionnait pas, et le fruit de l’occasion de les mettre en pratique, on pourrait dire à titre expérimental, qu’a représenté le livret de Calzabigi. C’est particulièrement visible dans la reprise parisienne, qui est en grande partie une réécriture. À chaque fois, il cherche à conserver une forme dramatique qui corresponde à ses idées tout en prenant en compte les gouts du public local. Le ballet, pour un public parisien, était nécessaire dans une tragédie lyrique, son absence aurait sans aucun doute condamné l’oeuvre.

Nous avons aujourd’hui, alors qu’opéra et ballet sont deux genres très séparés, du mal à concevoir et à comprendre en quoi les ballets pouvaient être une partie primordiale du spectacle. Mais là aussi, chez Gluck, ce qui est tout à fait remarquable, c’est la manière dont il cherche à les inscrire le plus possible dans la continuité musicale et dramatique, à leur trouver une justification dramatique et architecturale. Ils ne sont plus conçus comme des divertissements tangents à l’action, mais entrent dans sa continuité et en font partie. Et là aussi, l’orchestre prend une ampleur et un rôle hors du commun à l’époque.

Vous parliez tout à l’heure de la couleur dans l’orchestre : comment voyez-vous l’art de l’orchestration chez Gluck ?

Il y a par exemple des instruments nouveaux à l’époque, comme les chalumeaux, qui correspondraient aujourd’hui aux clarinettes, qu’il utilise dans des moments très précis, presque toujours associes à Eurydice, et bien sur les trombones, qui sont depuis Monteverdi associes à l’enfer. C’est plutôt dans les récitatifs que l’orchestration est saillante ou remarquable, et innovante, puisque c’est une première. Mais pour le reste, dans les airs, son utilisation des timbres, subtile et intelligente, reste dans les gouts et les meilleurs usages de l’époque. D’ailleurs, en règle générale, ce sont les récitatifs qui sont les plus riches et les plus complexes moments de la partition. Les airs, qui sont de véritables bijoux, sont en comparaison beaucoup plus simples. On a même le sentiment qu’au fur et à mesure de l’oeuvre, les récits prennent une importance de plus en plus grande : relativement secondaires aux premier et deuxième actes, ils prennent en charge toute la progression du troisième, comme dans une tragédie lyrique, avec des changements harmoniques très brusques et des choix de tonalite particuliers, des changements de tempi à chaque phrase, mais aussi une variété extraordinaire des coups d’archets qui sont proposés : c’est une pensée musico dramatique qui va très loin. C’est sans doute harmoniquement moins audacieux que Rameau — mais peut-on faire plus audacieux que lui ? Plus que l’émotion, et l’instabilité qu’elle provoque, Gluck semble soucieux de vérité. Ses tonalites, fa majeur, do majeur, do mineur, sont des tonalités relativement neutres. Il y a toujours une forme de lumière et de sobriété, comme dans les trois airs d’Orphée qui sont tous en majeur, y compris le fameux et douloureux « J’ai perdu mon Eurydice ». Gluck nous montre la douleur de façon presque objective et analytique, ce qui peut aussi la rendre plus touchante, il n’appuie pas. On n’est pas encore dans le Sturm und Drang et le Romantisme, la douleur et les affects ne sont pas encore du domaine exclusif de la subjectivité et de l’ego.

De votre point de vue de chef, quel est le défi le plus important à relever pour réussir un Orphée et Eurydice ?

Je pense encore une fois que la clé pour réussir cette oeuvre réside dans les récitatifs. Il faut se donner le temps et les moyens d’intégrer ce texte musical très écrit et très cadre, pour y trouver une vérité qui ne soit pas une simple reproduction mais une vraie lecture, vivante, fluide et théâtrale. Assimiler ce que le compositeur a voulu en choisissant tel ou tel paramètre de telle ou telle manière, mais le faire vivre de manière organique, non scolastique. Et puis il faut aussi obtenir cette continuité dont je parlais tout à l’heure, rendre cette tension permanente qui porte l’oeuvre vers son accomplissement, sans les césures et les moments de repos qu’offre une forme plus segmentée.

Nous sommes avec cette musique déjà en partie dans le style classique, un style ou l’on sait que plus c’est simple, plus c’est difficile ! Il faut trouver cette justesse des équilibres, cette transparence nécessaire a cette musique. C’est un travail délicat, mais très riche.

PROPOS RECUEILLIS PAR STEPHEN SAZIO, Dramaturge de l’Opéra de Dijon

À propos de l’œuvre

Maxime Margollé, docteur en musicologie

« Tout droit de reproduction interdit sans autorisation »

 

Quel meilleur sujet que le mythe d’Orphée pour écrire un opéra ? En effet, la légende raconte qu’Orphée, fils du roi OEagre et de la muse Calliope, parvenait à charmer les animaux sauvages et pouvait émouvoir les êtres inanimés grâce à la lyre à sept cordes qu’Apollon lui avait donnée avec quelques-uns de ses dons. Par la suite, l’aède (artiste chantant des épopées en s’accompagnant) ajouta deux cordes à son instrument, en hommage aux neuf muses.
Charmé par la nymphe Eurydice, Orphée l’épouse. Un jour, alors que cette dernière se promène, elle se fait mordre par un serpent et en meurt. Orphée, inconsolable de la perte de sa femme, décide d’aller la chercher aux Enfers. Grace à sa lyre et aux talents de chanteur que nous avons souligné, il parvient à charmer Charon, le passeur de l’Achéron, les démons ainsi que Cerbère, le chien à trois têtes qui garde l’entrée des enfers. Enfin, ses talents d’aède parviennent tant à adoucir Hadès qu’il le laisse repartir avec sa femme à condition qu’il ne lui parle ni ne la regarde durant le trajet du retour. Malheureusement, Orphée, s’inquiétant de ne pas entendre Eurydice dernière lui, se retourne quelques pas avant de retrouver le monde terrestre et voit disparaitre sa femme sous ses yeux. Du drame et de la musique : tous les ingrédients semblent réunis dans ce mythe pour en faire un bon opéra. D’ailleurs, depuis l’invention du genre lyrique en Italie au tournant des XVIe et XVIIe siècles, musiciens et librettistes ne s’y sont pas trompés. Ainsi, après avoir fait un rapide tour d’horizon des différentes versions du mythe à l’opéra, nous nous interrogerons sur les particularités de l’oeuvre de Gluck et Calzabigi afin d’observer en quoi celle-ci a marqué profondément et durablement le genre de l’opéra tout en parvenant à se distinguer de la variété des versions que nous aurons évoquées.

Le mythe d’Orphée : d’une révolution à l’autre

Le premier exemple du mythe d’Orphée et Eurydice dans le répertoire lyrique est sans doute l’opéra en un prologue et six scènes Euridice de Peri et Caccini, sur un poème de Rinuccini, crée au palais Pitti à Florence le 6 octobre 1600, dans le cadre du mariage d’Henri IV et Marie de Médicis. C’est d’ailleurs l’opéra le plus ancien dont la musique ait été conservée jusqu’à nos jours. Deux ans plus tard, Caccini — seul cette fois-ci — récidive sur le même poème et crée, toujours au Palais Pitti, une nouvelle Euridice le 5 décembre 1602. Si ces premières oeuvres donnent des exemples précoces de ce qu’est l’opéra à sa naissance, il faut toutefois attendre l’Orfeo de Monteverdi, crée à Mantoue le 24 février 1607, pour assister à une première révolution dans l’histoire de la musique. On remarque qu’une fois de plus, le mythe d’Orphée, décidément fort commode tant pour les librettistes que pour les compositeurs, sert de sujet. L’oeuvre de Monteverdi est représentative d’un nouveau style : la monodie accompagnée. En effet, dans Orfeo, les lignes mélodiques, qui étaient autrefois à la partie de ténor de la polyphonie, apparaissent à la partie supérieure, de sorte que les personnages apparaissent clairement et de manière caractérisée. Ce nouveau style, qui permet d’inventer l’opéra tel que nous le connaissons aujourd’hui encore, se distingue des polyphonies de la Renaissance et marque donc un tournant décisif dans l’Histoire de la musique en symbolisant la frontière entre la période de la Renaissance, dont les derniers représentants sont peut-être Andrea Gabrieli, Roland de Lassus ou Palestrina, et l’époque Baroque dominée d’abord par Monteverdi, puis — entres autres — par Vivaldi, Lully, Haendel et Bach. Après Monteverdi, l’histoire d’Orphée et Eurydice est encore largement 1 Margaret Murata, « Orfeo », The New Grove Dictionary of opera, Stanley Sadie (Éd.), Vol. 3, Oxford – New-York, Oxford University Press, p. 739. exploitée tant en Italie que dans le reste de l’Europe2. Ainsi, seulement douze ans après l’Orfeo, Stefano Landi s’intéresse à la mort tragique de l’aède avec La Morte d’Orfeo crée à Rome en 1619. Puis, c’est au tour de Luigi Rossi de composer un Orfeo. Bien qu’il soit en italien, cet opéra est représenté pour la première fois au Théâtre du Palais Royal à Paris le 2 mars 1647. Cette oeuvre, créée a la demande du cardinal Mazarin, reste célèbre dans l’Histoire de la musique pour être le premier opéra représenté en France. En France, toujours, Marc-Antoine Charpentier fait représenter La descente d’Orphée aux enfers en 1686, quelques années seulement avant que Jean-Baptiste Lully et son fils Louis ne s’emparent à leur tour du mythe dans Orphée, crée sans succès devant le Dauphin le 21 février 1690. Le livret de cette oeuvre sert par la suite à Georg-Philipp Telemann pour son opéra en trois actes Die wunderbare Beständigkeit der Liebe oder Orpheus (Orphée, ou la Merveilleuse constance de l’amour), crée à Hambourg le 9 mars 1726. Ainsi, quelques années avant la création de l’oeuvre qui nous intéresse, le mythe d’Orphée est encore très présent dans le répertoire et l’opéra de Gluck et Calzabigi semble s’inscrire dans une longue tradition née avec les premiers opéras.

Orphée ou les débuts de la « réforme » de l’opéra

Orphée est le produit d’une double ambition : celle d’un poète érudit, Calzabigi, et d’un compositeur aussi visionnaire qu’ambitieux, Gluck. Au travers de leur oeuvre, les auteurs veulent unir pour la première fois la vocalité italienne — épurée de sa virtuosité débridée — au cadre d’une dramaturgie a la française, tout en renouvelant la double tradition de l’opéra seria et de la tragédie en musique. Ils souhaitent ainsi mettre fin aux dérives de l’opéra seria ou la quête de virtuosité finit par mettre à mal la cohérence musicale et dramatique et s’opposent à la vision metastasienne de l’opéra. Ainsi, on peut lire dans la correspondance de Calzabigi : « Les drames de M. l’abbé Metastasio, dont la longueur, résultant de la quantité des vers et des fioritures de la musique, semble destinée à décourager l’attention du spectateur, sont les seuls à jouir du privilège d’être des selles à tous chevaux, en raison de leur plan. Il a donc toujours été indiffèrent, dans leur cas, qu’un personnage soit représenté par Farinello, Caffarello, Guadagni ou Toschi, ou par la Tesi, la Gabrielli ou la Bianchi, étant donné que le public n’attendait et n’exigeait d’eux que quelques airs et le duo, sans même faire semblant d’entendre les paroles : dès avant d’assister à la représentation, on avait en effet abandonné toute idée de s’intéresser à l’action, tant il est impossible de prêter attention, pendant cinq heures, à six acteurs parmi lesquels quatre sont habituellement si ineptes que c’est tout juste s’ils savent prononcer les paroles. [...] Il en va tout autrement du nouveau plan de drame que j’ai sinon inventé, du moins été le premier à exécuter dans Orfeo, puis dans Alceste, suivi par le Sig. Coltellini. Là, tout est nature, tout est passion ; on n’y trouve pas de sentences, de philosophie ni de politique, ni de comparaison, ni de description, ni de digressions, autant de cachemisère que l’on trouve dans tous les livrets. »
Alceste n’est crée que le 26 décembre 1767. Ainsi, à l’époque de la rédaction de la lettre, l’oeuvre est encore en gestation et le seul opéra incarnant véritablement les desseins du librettiste est encore Orfeo.
Aussi, l’on devine ici tout l’enjeu de ces deux oeuvres. Après avoir dressé un portrait au vitriol de l’opéra contemporain et de ses interprètes, Calzabigi expose son esthétique réformatrice. Puis, à l’occasion de l’édition de la partition d’Alceste, qui est publiée dans les semaines qui suivent la création de l’oeuvre, Calzabigi rédige une préface ressemblant davantage à un manifeste qu’à la simple présentation de l’opéra7. Après avoir détaillé « les abus qui, [...] défigurent depuis si longtemps l’opéra italien, et qui, du plus pompeux et du plus beau des spectacles, en font le plus ridicule et le plus ennuyeux », Calzabigi expose les principaux points de sa réforme : « J’ai imaginé que l’ouverture devait prévenir les spectateurs sur le caractère de l’action qu’on allait mettre sous leurs yeux et en former pour ainsi dire l’argument ; que les instruments ne devaient être mis en action qu’en proportion du degré d’intérêts et de passions, et qu’il fallait éviter surtout de laisser dans le dialogue une disparate trop tranchante entre l’air et le récitatif, afin de ne pas tronquer à contresens de la période, et de ne pas interrompre mal à propos le mouvement et la chaleur de la scène. J’ai cru encore que la plus grande partie de mon travail devait se réduire à chercher une belle simplicité, et j’ai évité de faire parade de difficultés aux dépens de la clarté ; je n’ai attaché aucun prix à la découverte d’une nouveauté, à moins qu’elle ne fut naturellement donnée par la situation et liée à l’expression ; enfin il n’y a aucune règle de composition que je n’ai cru devoir sacrifier de bonne grâce en faveur de l’effet. Voilà mes principes. Heureusement, le poème se prêtait à merveille à mon dessein : le célèbre auteur d’Alceste, ayant conçu un nouveau plan de drame lyrique, avait substitué aux descriptions fleuries, aux comparaisons inutiles, aux froides et sentencieuses moralités, le langage du coeur, des passions fortes, des situations intéressantes et un spectacle toujours varié8. » Ainsi, déjà dans Orfeo | Orphée, le librettiste, tout en retrouvant le sujet cher aux premières heures de l’opéra, épure son oeuvre de toutes les actions et péripéties secondaires qui fleurissent dans les versions antérieures. Dans le même temps, il ne garde que les personnages principaux et se démarque des livrets précédents ou le grand nombre de personnages et les interventions des dieux viennent parfois encombrer le discours dramatique. Calzabigi et Gluck, parviennent à concentrer la distribution en opposant les deux héros à la masse chorale, tandis que les dieux du ciel et des enfers sont remplacés par un seul personnage qui parle en leur nom : l’amour.

En conséquence, contrairement à la majorité des versions antérieures, quand le rideau se lève, Eurydice est déjà morte. Cela permet à Gluck de faire entrer musicalement les spectateurs dans le drame dès le premier choeur de l’oeuvre qui est marqué par un ton grave et douloureux qui restera jusqu’à la fin de l’oeuvre. Déjà, pour la première scène le décor mêle éléments pastoraux et funèbres, tandis que le spectateur découvre une scène de deuil peinte musicalement par la basse en noires régulières semblant évoquer le caractère implacable de la mort et soulignant la phrase d’une sublime simplicité jouée par les cordes en do mineur. Le choeur, chantant de manière homorythmique pour une meilleure intelligibilité du texte, la reprend bientôt, puis, après qu’Orphée ait appelé Eurydice, la poursuit en entrecoupant son discours de soupirs semblant figurer les pleurs du héros. Mais si Gluck et Calzabigi appliquent dès les premières mesures les principaux éléments de leur reforme, c’est dans l’air le plus célèbre de l’opéra « Che faro senza Euridice / J’ai perdu mon Eurydice » que ses principes sont peut-être le plus perceptibles. En effet, au lieu d’écrire une aria da capo comme le voudrait la tradition de l’opéra seria, les auteurs choisissent la forme rondo qui permet de faire alterner divers sentiments. Ici, l’économie de moyens est extrême : les cordes seules accompagnent le chanteur, tandis que la sobriété de la ligne mélodique, la régularité rythmique et le tempo andante permettent une extraordinaire clarté de déclamation. Les couplets, commençant par des appels à la fois douloureux et plaintifs, peignent le désespoir d’Orphée tandis que les contrastes de nuances, l’harmonie et l’utilisation des silences viennent souligner la douleur du héros. Finalement, grâce au succès d’Orfeo | Orphée, la réforme de l’opéra va peu à peu remplacer le système metastasien de l’opera seria par un nouvel artifice, qui de Vienne à Paris, va bientôt conquérirl’Europe.
De Vienne à Paris : Les différentes versions de l’oeuvre Arrivé à Vienne en 1761, Calzabigi est encouragé à collaborer avec Gluck par le comte Durazzo alors intendant des théâtres viennois. Comme de nombreux chefs-d’oeuvre Orfeo ed Euridice a rarement été entendu dans sa version originale et a connu de nombreuses versions qui ont contribué à la diffusion de l’oeuvre, à son succès et qui ont amené le rôle d’Orphée à emprunter différentes tessitures. Ainsi, il existe quatre versions différentes de l’oeuvre. Lors de la création viennoise, Orfeo ed Euridice devient le plus grand succès du compositeur et est rapidement connu dans toute l’Europe (en dehors de la France, où l’on ne joue pas d’opéras italiens). Pourtant, malgré le souhait avoué de ses auteurs, l’oeuvre est encore tributaire de l’opéra seria. En effet, le rôle d’Orfeo est distribué au type de voix habituel de ce genre : un castrat. Il s’agit de l’alto Gaetano Guadagni qui jouit d’une formidable réputation en Europe après avoir chanté en Angleterre dans les oratorios de Haendel et avoir suivi l’enseignement théâtral du comédien Garrick. Dans cette première version de l’oeuvre, Guardagni chantait aux côtés de Marianna Bianchi (Euridice) et Lucia Clavarau (Amore).
La seconde version de l’oeuvre est créée sept ans plus tard. Afin de répondre à une commande pour le mariage entre le duc de Parme, Ferdinand, petit-fils de Louis xv, et l’archiduchesse d’Autriche Marie-Amélie, soeur de Marie-Antoinette, Gluck compose Le Feste d’Apollo, « festa teatrale » constituée d’un prologue et de trois actes. Le livret est du poète Frugoni qui, de même que Calzabigi, s’inspire de Virgile et Ovide. Dans Le Feste d’Apollo seuls les deux premiers actes sont nouveaux (du moins en partie) : Bauci e Filemone et Aristeo, le dernier est Orfeo, réduit en sept scènes et se jouant sans interruption pour l’occasion. La représentation est donnée le 24 aout 1769, soit un mois après le mariage, célèbre le 19 juillet. Six chanteurs assurent l’interprétation des trois actes (deux sopranos, deux castrats et un ténor) et seulement trois interviennent dans Orfeo. Pour cette seconde version, le rôle de l’aède est transposé par Gluck lui-même pour le castrat soprano Giuseppe Millico qui, lorsqu’on lui parla de chanter le rôle d’Orphée, aurait dit « qu’on voulait le perdre de réputation ». Toutefois, la force de persuasion du compositeur et la transposition du rôle pour une tessiture plus adaptée au chanteur semblent l’avoir convaincu de chanter et l’oeuvre obtient un franc succès : « Cependant, Gluck vient à bout de convaincre toutes ces oppositions. Il connaissait le peuple à qui il avait affaire, et, le jugeant encore plus sensible que vain, plus attaché à ses sensations qu’à son opinion, il insista et pris sur lui les risques de l’événement. L’Opéra emporta tous les suffrages dès la première représentation ; et lorsqu’après un certain temps on voulut se remettre à un autre, l’Orfeo fut redemande à grand cris : on le donna vingt-huit fois de suite, et l’on ne voulut pas entendre l’Armida de Traetta, qui avait été appelé en concurrence avec Gluck. »
La troisième version de l’oeuvre est créée à Paris. Arrivé en 1774, Gluck décide d’appliquer sa réforme à l’opéra français et donne le 19 avril Iphigénie en Aulide, « tragedie-opera en trois actes » qui remporte un grand succès. Avec la complicité du poète Pierre-Louis Moline, qui traduit le livret et l’adapte au gout parisien, Gluck fait représenter peu après la création d’Iphigénie une version française d’Orfeo ed Euridice qui devient ainsi Orphée et Eurydice. La partition est développée, les récitatifs réécrits et, les français n’ayant jamais eu le gout des castrats, le rôle d’Orphée est transposé une nouvelle fois pour le « haute-contre » Joseph Legros. Cette tessiture, qui est la « voix d’homme la plus aigüe » dans la classification française de l’époque, est très appréciée en France durant la période baroque et s’apparente de nos jours à la voix de ténor, élargie dans l’aigu par l’emploi du registre de tête. L’oeuvre, créée le 2 aout 1774, est un succès. On lit à son sujet dans le Mercure de France de septembre 1774 : « [La musique] confirme l’idée que l’opéra d’Iphigénie avait déjà donne du génie et du grand talent de M. le Chevalier Gluck pour peindre et pour exprimer les affections de l’âme. L’ouverture est un beau morceau de symphonie qui annonce très bien le genre de ce spectacle. [...] Le choeur de la pompe funèbre est de la plus riche et de la plus touchante harmonie. Les cris d’Orphée qui appelle son Euridice [sic], sont d’un grand pathétique [sic]. Tout ce magnifique morceau et les airs attendrissants qui le suivent, répandent dans l’âme la tristesse. On est enchanté des chants doux et insinuants de l’Amour consolateur. [...] Euridice [sic] est parfaitement jouée et chantée avec beaucoup d’âme, d’intelligence et de précision par Mlle Arnould qui, dans son absence, ne peut-être mieux remplacée que par Mlle Beaumesnil, actrice aimable et sensible, et musicienne excellente. Orphée est très bien représenté par M. Le Gros qui, à la voix la plus parfaite, au talent le plus brillant, et au chant le plus sûr, unit encore le jeu le plus anime et le plus expressif. Mlle Rosalie joue et chante avec beaucoup d’agrément son rôle favori de l’Amour. »

On perçoit aisément, grâce à l’enthousiasme du critique du Mercure de France, la réussite totale d’Orphée et Eurydice dans sa version française. La musique et l’interprétation sont de tels succès que l’oeuvre est jouée par moins de quarante-cinq fois entre sa création et la fin de l’année 1774, alors que l’Académie royale de musique (l’Opéra) n’ouvre ses portes que soixante-neuf fois durant cette période.
Enfin, la quatrième version de l’oeuvre de Gluck est postérieure à la mort du compositeur. En effet, au XIXe siècle, tandis que l’oeuvre est un peu oubliée, le directeur du Théâtre-Lyrique souhaite voir Pauline Viardot, la mezzosoprano la plus célèbre de son temps, interpréter le rôle-titre. Pour cela, il charge Berlioz des remaniements. Tout en s’appuyant sur la version parisienne de 1774, l’auteur de la Symphonie fantastique transpose donc une nouvelle fois le rôle d’Orphée dans la tessiture originelle d’alto. Mais le travail de refonte ne s’arrête pas là. Berlioz « remodelé » quelques récitatifs, supprime certains passages qui lui semblent démodés, comme le divertissement final, et découpe la partition en « séquences dramatiques » qu’il repartit en quatre actes. Ces modifications effectuées, l’oeuvre est créée avec succès au Théâtre-Lyrique le 19 novembre 1859.
Finalement, Orphée et Eurydice qui, à l’image de son sujet, obtient un succès à toutes les époques, semble reposer en grande partie sur le rôle-titre. Si le mythe nous l’apprend, force est de constater que, dans l’oeuvre de Gluck et Calzabigi, peu importe le genre, la tessiture ou la langue dans lesquels il chante, Orphée charme de sa voix. L’influence de Gluck sur le répertoire lyrique français Au-delà de la profonde transformation de l’opéra qu’il engage, Gluck a une influence importante sur le répertoire lyrique français entre son arrivée à Paris en 1774 et le début du XIXe siècle. Ainsi, peu de temps après la création d’Iphigénie en Aulide, les tenants de la musique italienne, parmi lesquels La Harpe, Marmontel et d’Alembert, font venir Piccinni à Paris afin de rivaliser avec l’auteur d’Orphée que ses succès et sa réforme ont place au Parnasse de la musique en France. Cette rivalité a été fiévreusement préparée par le directeur de l’opéra, Devismes, qui ouvre la première scène française à des genres jusqu’à présent « interdits » comme le ballet-pantomime (1776) ou l’opéra buffa italien (1778). Rappelons également que c’est Devismes qui commande à Gretry un prologue déroutant — Les Trois Âges de l’Opéra — ou encore à Mozart son ballet des Petits Riens. Enfin, c’est lui qui imagine de faire mettre en musique Iphigénie en Tauride par deux compositeurs différents, comme il est d’usage alors en Italie. Ainsi, bien que leurs livrets soient différents et qu’eux-mêmes ne prennent pas part à la polémique, Gluck et Piccinni s’affrontent sur le même sujet. L’oeuvre de Gluck est créée la première, le 18 mai 1779, et remporte un brillant succès, sans doute le plus grand de toute la carrière du compositeur. Bien que les partisans de Gluck voient dans ce succès la victoire assurée de leur champion, l’échec d’Écho et Narcisse, crée le 24 septembre 1779 marque durement Gluck qui décide de rentrer à Vienne en octobre de la même année. L’oeuvre de Piccinni, donnée deux ans après celle de son concurrent, le 23 janvier 1781, ne remporte pas les suffrages du public contrairement à son Roland créé en 1778. Ainsi, bien que cette querelle s’éteigne sans véritable vainqueur, elle eut pour avantage de dynamiser le répertoire de l’opéra, quelques années seulement avant la Révolution. Après son départ en 1779 et sa mort en 1787, le compositeur viennois influence encore profondément la musique française jusqu’au début du XIXe siècle. Durant cette période, toute une génération de compositeurs, dont les études musicales ont été bercées par les oeuvres de Gluck, poursuit — plus ou moins consciemment — le travail entrepris par l’auteur d’Orphée. Citons par exemple les oeuvres de Cherubini (Lodoïska, Médée), Lesueur (La Caverne), Steibelt (Roméo et Juliette) ou Méhul (Euphrosine, Stratonice). Ce dernier arrive à Paris en 1779 rencontre d’ailleurs Gluck peu avant son retour à Vienne. Dès ses débuts sur les théâtres lyriques de la capitale, le style de Méhul est comparé à celui du maitre viennois.
Ainsi, lorsque Gretry commente le duo dit « de la jalousie », extrait d’Euphrosine et Coradin, ou le Tyran corrigé, crée au théâtre Favart le 4 septembre 1790, il écrit : « [...] le duo d’Euphrosyne est peut-être le plus beau morceau d’effet qui existe. Je n’excepte pas même les beaux morceaux de Gluck. Ce duo est dramatique ; c’est ainsi que Coradin, furieux, doit chanter ; c’est ainsi qu’une femme dédaignée et d’un grand caractère doit s’exprimer ; la mélodie en premier ressort n’était point ici de saison. Ce duo vous agite pendant toute sa durée ; l’explosion qui est à la fin semble ouvrir le crane des spectateurs avec la voute du théâtre. Dans ce chef-d’oeuvre, Méhul est Gluck a trente ans ; je ne dis pas Gluck lorsqu’il avait cet âge, mais Gluck expérimenté, et lorsqu’il avait soixante ans, avec la fraicheur vigoureuse du bel âge. »
Avant tout chose, on remarque que, douze ans après son départ, Gluck semble être encore la référence en matière d’opéra en France. Dans son commentaire, Gretry inscrit clairement Méhul dans la filiation de l’auteur d’Orphée. Puis, dans la suite de ses Mémoires, ou essais sur la musique, Gretry propose une généalogie musicale « nationale » ou la musique française passe successivement de Lully a Rameau, de Rameau à Monsigny, Philidor et Duni puis à Gretry lui-même, sans que l’assimilation de Gluck à cette généalogie apparaisse avec une franche évidence. En revanche, on lit au sujet du maitre allemand : « La carrière de Gluck pouvait se suivre plus aisément que la mienne : aussi voyons-nous Méhul, Cherubini, Lesueur plus vigoureux que Gluck, parce que c’est au printemps de leur âge qu’ils continuent ce que Gluck avait trouvé après cinquante ans d’expérience ». Il semble donc que l’héritage de Gluck doive être cherche du côté de ces compositeurs qui remportent leurs plus grands succès entre la fin de l’Ancien Régime et la Restauration. D’ailleurs, au-delà de Gretry, les commentateurs contemporains ne manquent pas, eux aussi, de souligner cette filiation. Ainsi, toujours au sujet de Méhul, le journaliste de la Décade Philosophique écrit : « On compare déjà Méhul a Gluck ; effectivement il a quelque chose de ce maitre », tandis que quelques jours après la création de Médée de Cherubini celui des Petites affiches écrit au sujet du compositeur : « Poursuis, Cherubini [sic], ta brillante carrière ; [...] De Gluck en toi renait le talent admirable ; Par tes accords divins, on se sent transporte : De Médée en fureur, tu peins si bien la fable, Qu’elle prend à nos yeux l’air de la vérité. » Finalement, près de trente ans après la création d’Orfeo, la réforme de l’opéra initiée par Gluck et Calzabigi semble être encore très présente dans le paysage lyrique français et européen. Cherubini,  Lesueur Spontini ou Méhul qui, selon Gretry et les commentateurs contemporains, sont les héritiers naturels de l’éloquence musicale de Gluck, semblent être une forme de trait d’union entre l’esthétique classique du maitre viennois et le romantisme naissant chez le jeune Berlioz des 1830. Bien que les opéras de Gluck disparaissent peu à peu du répertoire de l’Opéra avec l’arrivée à Paris de Rossini puis de Meyerbeer, l’auteur d’Orphée jouit encore d’une notoriété suffisante pour que l’on s’intéresse à son oeuvre au milieu du XIXe siècle comme en témoigne la reprise d’Orphée adaptée par Berlioz. D’ailleurs, l’auteur de la Symphonie fantastique n’admirera-t-il pas avec quel art, en dépit de son harmonie « restée bornée », Gluck sut donner aux passions « un langage vrai, profond et énergique » ?

Médias

Extrait audio Orphée & Eurydice à l’Opéra de Dijon

Extrait de Orphée & Eurydice à l’Opéra de Dijon

Orphée et Eurydice à l’Opéra de Dijon

Contenu bientôt disponible