Présentation
Distribution
Dido and Aeneas
Didon et Enée
Opéra tragique en trois actes
Créé à l’école pour jeunes filles de Josias de Chelsea en 1689 (?)
LIVRET Nahum Tate
MUSIQUE Henry Purcell
ORCHESTRE DIJON-BOURGOGNE
EN COLLABORATION avec les musiciens du Concert d’Astrée
CHOEUR DE L’ACADEMIE DE L’OPERA DE DIJON
AVEC LA PARTICIPATION des jeunes solistes du Concert d’Astrée
DIRECTION MUSICALE Jonathan Cohen
MISE EN SCÈNE Lilo Baur
SCÉNOGRAPHIE Christos Konstantellos
COSTUMES Agnès Falque
ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE ET MOUVEMENT Claudia de Serpa Soares
COLLABORATION ARTISTIQUE Emmanuelle Haïm
LUMIÈRES Matthieu Bordet
MAQUILLAGE, COIFFURE Pascal Brissiaud et Agnès Falque
ASSISTANT DIRECTION MUSICALE Paolo Zanzu
DIDON Andrea Hill
ENÉE George Humphreys
BELINDA Susan Gilmour Bailey
L’ENCHANTERESSE Sara Gonzalez Saavedra
LE MARIN Matthew Long
L’ESPRIT William Purefoy
PREMIÈRE SORCIÈRE Laurie Ashworth
SECONDE SORCIÈRE Clare Wilkinson
LA SUIVANTE Katherine Watson
CHŒURS Robin Bailey, Neil Bellingham, Samuel Boden, David Clegg, Gareth Dayus-Jones, Helen-Jane Howells, Raphaela Papadakis, William Townend
PRODUCTION DÉLÉGUÉE : Opéra de Dijon
Entretiens
Entretien avec Lilo Baur
C’est une oeuvre très concentrée, avec un enchaînement de scènes très rapide, on a parfois envie de se poser dans une scène et on passe immédiatement à la suivante. Comment cela a-t-il influencé votre approche de la mise en scène ?
C’est justement le point de difficulté dans cette oeuvre. C’est une tragédie, une grande histoire d’amour dans laquelle deux personnages sont guidés par un destin auquel ils ne peuvent échapper. Il faut passer en très peu de temps du doute à l’amour, puis à la séparation. Et j’avais envie de trouver des moments de respiration, de me sentir proche de ces deux amoureux. C’est un défi : comment trouver le moyen de rester avec eux ? Prenons l’exemple d’un changement de scène : le moment où Enée sait qu’il doit partir pour l’Italie, il y a ce moment dramatique où il dit que mourir lui serait plus facile que de quitter Didon. Et tout de suite, sans coupure, il y a un enchaînement direct avec la scène des marins. J’aurais aimé respirer un instant, mais Jonathan Cohen m’a fait remarquer que c’était impossible : l’oeuvre est écrite sur un principe de rupture. Enée est sous le choc du faux oracle, mais immédiatement après le choeur des marins est joyeux. C’est justement la spécificité de l’oeuvre, au style très contrasté, aux scènes en totale rupture, aux images très différentes. J’ai donc négocié des moments de silence, pour s’arrêter un instant sur le destin des deux personnages, et j’ai choisi de laisser plus de place aux sorcières, car selon moi ce sont elles qui tirent les ficelles du destin, les exécutrices de la volonté des dieux.
Vous avez choisi une scénographie extrêmement sobre et très poétique. Il semble s’y installer une temporalité différente, une impression de rêve éveillé qui vient contrecarrer cet effet de juxtaposition : on n’a pas ce sentiment de rupture totale, au contraire une certaine fluidité s’installe. La façon dont vous faites travailler les choeurs fait que l’on est tout à coup déconnecté d’une logique du réel, pour entrer dans celle du rêve...
La première fois que j’ai lu la partition, j’ai été frappée par ce côté magique, ces sorcières omniprésentes, qui observent, ensorcellent les marins. Dans la partition, à cet instant, ce sont logiquement deux choeurs qui interviennent, celui des sorcières d’abord, puis celui des marins. Ici, ce sont les marins de Troie qui disent « Destruction is our delight » (Détruire est notre plaisir). J’ai en effet pensé que le meilleur choix pour que cette scène fonctionne, c’était que les marins soient sous le sortilège des sorcières. Ces marins sont ainsi dans cette mise en scène toujours sous l’emprise d’un pouvoir (comme dans l’Enéide, où ils errent pendant six ans). Je voulais que ce choeur donne un sens. Et cela me permettait de donner plus de place au côté magique, et aux sorcières qui sont pour moi la représentation même du destin de Didon et Enée.
Dans l’opéra de Purcell, contrairement au texte de Virgile, lorsqu’Enée annonce son départ à Didon, il est touché par son désespoir, il est prêt à désobéir à l’ordre de Jupiter. C’est Didon qui le pousse à partir et à affronter leur destin. Musicalement, Purcell l’illustre en faisant s’alterner leurs voix: « Pars » et « Non, je reste ». Mais il donne cette force à Enée de refuser sa destinée. D’autre part dès l’ouverture de l’opéra, Didon est dans la douleur: « Peace and I are strangers grown » (La paix m’est devenue étrangère). Il faut que le public comprenne que le dilemme ne concerne pas seulement son amour pour Enée. Elle avait déjà fait le choix de ne plus jamais aimer, après la mort de son mari. Selon moi il était important de dire qu’elle aussi est une réfugiée, et d’expliquer ce qui s’était passé plus tôt. C’est pourquoi j’ai choisi d’ouvrir le spectacle sur un prologue.
Dans la scène de la chasse, qui a une tonalité joyeuse, on a pourtant le sentiment que le drame approche, (lorsque l’un des choristes verse du sang dans un récipient par exemple), on sent que le drame se prépare dans toutes les scènes, et qu’une issue fatale trace son chemin, avec la présence des sorcières qui observent... on sent cette continuité.
La scène de la chasse est très primitive, bestiale, elle renvoie évidemment à la quête de la femme. J’ai choisi de montrer le moment festif après la chasse. Il y a effectivement cette présence lancinante du sang, du drame. C’est aussi pour cela que Didon est vêtue de rouge. Il y a toute une symbolique dans la mise en scène, des détails que l’on peut voir ou non, mais leur présence dans la pièce est pour moi primordiale. Pour la scène finale, j’ai dit à la chanteuse que le chant devait venir d’elle, comme un lion qui voudrait sortir du personnage, qui a été trahie.
Dans le cadre de « Tous à l’Opéra », les spectateurs ont pu assister récemment à une répétition publique, et ont pu voir ce travail d’équipe frappant qui a été effectué avec les chanteurs. Vous commencez chaque séance avec un travail d’échauffement, pour pouvoir ensuite leur demander des performances physiques étonnantes. Il y a presque un travail de mime, dans la scène avec les cordes, on sent presque la matière, la résistance de la corde...
Je voyais le choeur des sorcières comme un choeur de corbeaux, toujours dans le côté animal, comme des harpies, mi-oiseau mi-humain (comme les sirènes de l’Iliade). Les chanteurs doivent presque se métamorphoser en corbeaux, ce qui demande un travail physique bien sûr, mais également une grande écoute dans le choeur. C’est pourquoi j’ai choisi des exercices sur l’écoute et l’espace, afin qu’ils se rendent compte où se trouvent les autres. Dès le début je voulais procéder à un travail physique, comme je l’ai appris chez Peter Brook, ou dans le Théâtre Complicité, basé sur l’idée de la transformation comme moyen de raconter une histoire.
Je suis fascinée par l’idée de départ, la mer, les bateaux … Et dans Didon et Enée, il y a cette urgence de quitter le pays, il faut partir, mettre les voiles, courir, se précipiter pour quitter un lieu « Haste, haste to town ». Il y a une peur, que je voulais mettre en avant avec la force de plusieurs personnages. Il est nécessaire que ce soit presque chaotique, que les marins soient tous empressés. On a commencé à chercher ensemble. Je trouve que c’est un privilège de travailler avec un groupe, un choeur, d’autant plus qu’ils ne veulent pas être seulement choristes, mais dans l’action, ils sont prêts à s’engager.
Comment vous est venue l’idée de la scène finale ?
Lors d’un voyage de nuit où je me rendais vers Montpellier, lorsque l’on arrive du nord et que l’on passe devant le Viaduc de Millau. Ce pont fonctionne en fait comme un trompe-l’oeil, on a l’impression de voir l’image de navires qui s’éloignent… Je trouve cela magnifique. L’architecte, Norman Foster, est un génie. Cela faisait longtemps que je rêvais de m’inspirer de cette idée pour un spectacle. Pour moi le départ des navires dans cet opéra est lié à la mort de Didon. Et cela rappelle le rituel indien, qui veut que les morts soient enroulés dans un linceul blanc et brûlés. J’avais envie de mêler la blancheur des voiliers qui partent et la noirceur de la mort, sans savoir comment le faire. Et l’autre rive représente l’autre côté de la mort.
Propos recueillis par Stephen Sazio