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Kalîla wa Dimna Moneim ADWAN Opéra

Du 11 au 14 mai 2017

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Présentation

Affiche Kalîla wa Dimna

Distribution

Kalîla wa Dimna
Kalîla et Dimna
Opéra parlé en français et chanté en arabe
Créé au Festival d’Aix-en-Provence, le 5 juillet 2016

LIVRET Fady Jomar & Catherine Verlaguet d’après Le Livre de Kalîla et Dimna attribué à Ibn al-Muqalfa’
MUSIQUE Moneim Adwan

DIRECTION MUSICALE Zied Zouari
MISE EN SCÈNE Olivier Letellier
DÉCORS Philippe Casaban & Éric Charbeau
COSTUMES Nathalie Prats
LUMIÈRES Sébastien Revel
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Sacha Todorov

KALÎLA Ranine Chaar
DIMNA Moneim Adwan
LE ROI Mohamed Jebali
LA MÈRE DU ROI Reem Talhami
CHATRABA Jean Chahid

VIOLON Zied Zouari
VILONCELLE Yassir Bousselam
CLARINETTE Selahattin Kabaci
QANÛN Abdulsamet Çelikel
PERCUSSIONS Wassim Halal 

PRODUCTION Festival d’Aix-en-Provence & Académie du Festival d’Aix
COPRODUCTION Opéra de Lille & Opéra de Dijon

AVEC LE SOUTIEN du Festival d’Abu Dhabi
AVEC L’AIDE À l’Écriture d’une œuvre musicale originale du Ministère de la Culture et de la Communication

Kalîla fredonne un air de liberté devenu populaire.

Kalîla propose de raconter la provenance de ce chant, liée à l’histoire de son frère Dimna. Tous deux vivaient une existence modeste au service du Roi. À force de flatteries, Dimna parvient à devenir un proche conseiller du souverain. Il dévoile son ambition à sa soeur : il a senti une peur chez le Roi et va s’engouffrer dans cette brèche, avec l’espoir de trouver ainsi gloire et richesse. Kalîla tente vainement de l’en dissuader.

La Mère du Roi conseille à ce dernier de se méfier de toute voix qui s’élève au sein du peuple. Le monarque parle à Dimna de la rumeur qui cause son inquiétude : un homme nommé Chatraba semble émouvoir les coeurs par ses chants, or les chants contiennent souvent les graines de la sédition. Dimna propose de s’occuper de cette affaire.

Chatraba chante les souffrances du peuple. Dimna vient à sa rencontre et le convainc de rencontrer le Roi : « en te glissant dans le palais, tu seras mieux placé pour faire changer les choses. »

Dimna présente Chatraba au Roi. Une amitié sincère ne tarde pas à se nouer entre eux deux. Chatraba en profite pour ouvrir les yeux du souverain sur les réalités de son royaume. Jaloux de la complicité qui se noue entre le Roi et Chatraba, Dimna jure qu’il sèmera la discorde entre eux.

Kalîla exprime son regret de ne pas être allée trouver Chatraba pour le mettre en garde en lui récitant une fable comme celles que l’on raconte pour l’édification des princes. La Mère du Roi joint alors sa voix à celle de Kalîla pour narrer la fable du loup, du corbeau, du chacal et du chameau.

Dimna attise la colère du Roi en insinuant que des braises dangereuses couvent dans les chants apparemment pacifiques de Chatraba. Le monarque demande à voir le poète afin de le démasquer. Dimna va chercher ce dernier en excitant son ressentiment contre le Roi par des mensonges. Troublé par ces paroles, Chatraba se rend auprès du Roi, qui prend son inquiétude pour une preuve de fourberie. Leur dialogue s’envenime tant et si bien que le Roi ordonne la mise à mort de Chatraba.

Kalîla raconte comment le Roi fait exécuter Chatraba. Révolté, le peuple chante la poésie de ce dernier. La Mère du Roi prend les choses en main : elle promeut Chatraba poète national à titre posthume et, pour prouver au peuple que la justice royale n’est pas tyrannique, met un point d’honneur à ne pas faire exécuter Dimna, qui devra être jugé.

Chatraba se rend au royaume des morts, tandis que Kalîla couvre Dimna de reproches, et que la Mère du Roi dessille les yeux de son fils et accuse Dimna.

Les fables d’Ibn al-Mouqaffa’ ont été écrites par un précepteur, pour un fils d’empereur. Elles racontent la condition humaine dans sa force comme dans sa faiblesse, et le pouvoir politique dans toute sa violence et sa laideur. Dans Le lion et le bœuf, fable extraite du recueil Kalîla wa Dimna, on rencontre la solitude extrême d’un roi qui — de par même sa condition — ne peut faire confiance à personne et à qui personne ne peut faire confiance car sa place, malgré tout, est enviée.

Mais ce que nous raconte surtout cette fable, c’est que l’homme bien éduqué et de commerce agréable, s’il veut annihiler une chose vraie et faire prendre pour vrai une chose fausse, il peut le faire, parce qu’on écoute davantage celui qui est hardi que celui qui est innocent ; et celui qui parle bien que celui qui dit la vérité.

Cette fable est une mise en garde contre la manipulation du langage, et notamment du langage politique.

À l’origine, Ibn al-Mouqaffa’, précepteur, écrit Kalîla wa Dimna sous forme de fables animalières comme autant de leçons à vivre.

Dans la tradition arabe, Dimna et Kalîla sont frères : deux chacals rusés. Pour l’équilibre des voix au sein de l’opéra, nous avons pris le parti de faire de Kalîla la sœur jumelle de Dimna.

Semblables dans leur éducation et dans leur condition, ils se démarquent pourtant de par leurs ambitions et le regard qu’ils portent sur la vie. Si Kalîla sait trouver son bonheur dans ce qu’elle vit, Dimna est rongé par son ambition. 
Parce que dans les fables de Ibn al-Mouqaffa’ les animaux sont très humains, c’est ce que nous avons décidé de faire d’eux. Les personnages gardent néanmoins de leur appellation animalière des traits de caractère, comme la ruse pour les chacals, la puissance pour le Lion, etc.
Nous avons décidé d’appréhender la fable sur la notion de pouvoir, de mettre en exergue la solitude que le pouvoir génère et ses paramètres d’injustices.
En effet, tout puissant excite les envies. S’il n’a pas de mal à être entouré, il a du mal à faire confiance parce qu’il est difficile de savoir qui, autour de lui, est désintéressé ; tout comme il est difficile de faire confiance à un puissant qui si vous le fâchez, peut s’emporter et peut d’un coup d’humeur spontanée, vous mettre en disgrâce.
S’il n’est pas facile à un puissant de faire confiance, il n’est pas non plus facile de faire confiance à un puissant. Le pouvoir est injuste, parce qu’il est humain. Et que l’humain n’est pas seulement guidé par sa raison, mais aussi par ses passions.
Dimna, homme du peuple qui acquiert, au fil de la fable, un peu de ce pouvoir, va en user jusqu’à en abuser. Avec lui se pose la question de l’ambition : si elle est légitime, jusqu’où a-t-on le droit d’aller dans cette quête des étoiles ?

Les fables d’Ibn al-Mouqaffa’ ne sont jamais passées de mode. Hier comme aujourd’hui, elles nous parlent de nous-mêmes, de notre rapport au monde, aux uns aux autres, au pouvoir, à la vengeance, etc. Elles nous parlent tout simplement de ce qu’est la condition humaine.
Très connues dans les pays arabes, ces fables sont assez méconnues en Occident. D’où l’envie de les faire découvrir — du moins en partie — en Occident, et de travailler à une véritable rencontre artistique entre les deux cultures. En effet, artistes des deux bords de la Méditerranée se rencontrent au sein de ce projet.
Entre héritage, questionnement, remise en question, souci de modernité, l’adaptation s’est faite de compromis en évidences, et surtout d’envie de se rencontrer pour raconter ensemble, à travers l’œuvre ancestrale et toujours d’actualité d’Ibn al-Mouqaffa’, l’histoire commune de notre humanité.

 

Entretiens

Vous êtes né à Rafah dans la bande de Gaza. Parlez-nous de votre enfance...

J’ai grandi en Palestine au sein d’une famille nombreuse. J’ai huit sœurs et huit frères. Bien que tous apprécient la musique, aucun d’entre eux ne chante ou ne joue d’un instrument. À la maison, on écoutait beaucoup la radio, on regardait la télé ensemble. C’est ainsi que l’on partageait et cultivait en famille nos goûts musicaux...

 Dans quelles circonstances avez-vous découvert la musique ? 

Mon père aimait beaucoup la musique soufie. Parfois, il m’arrivait de l’accompagner dans les zaouïas, ces confréries musulmanes où l’on peut entendre les hadras (chants rituels soufis). Les hommes dansaient, chantaient, parlaient et jouaient sur des tablas sans jamais s’arrêter… Ça pouvait durer toute la nuit. Moi, je restais là, assis. Il n’y avait pas beaucoup d’enfants — deux ou trois tout au plus. Je me contentais d’observer, je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait, cela me fascinait et m’effrayait à la fois… Cette musique n’avait rien à voir avec ce que je pouvais entendre à la radio ou à la télé. C’était du live ! En réalité, c’était la seule manière pour moi d’entendre de la musique en direct car, chez nous, il n’y avait pas de salle de concert. On n’avait guère accès qu’à la musique de mariage ou de rue.

Cette vocation de musicien, comment s’est-elle révélée chez vous ?

À cette même occasion, lors de ce rituel soufi, je me posais beaucoup de questions : que font-ils ? Que cherchent-ils ? Quel effet la musique a-t-elle sur eux ? Les hommes sortaient progressivement d’eux-mêmes, ils étaient méconnaissables. Quand j’étais petit, je pensais que les anges ou d’autres forces surnaturelles y étaient pour quelque chose ! Maintenant, je suis convaincu que c’est la musique qui a le pouvoir de transformer les gens, au même titre que le soleil peut faire fondre la glace. La musique est puissante, plus qu’on ne peut l’imaginer. Cette conviction a grandi en moi et je me suis dit que c’était ce chemin que je voulais suivre jusqu’au bout.

Quand est-ce que vous avez commencé la pratique instrumentale ?

J’ai appris à jouer du ’ûd très tard. Quand j’étais enfant, je me contentais de jouer des percussions ou d’en faire avec la bouche. Ma famille ne pouvait pas se permettre d’acheter un instrument. Il y avait dix-sept bouches à nourrir chez moi ! Un ’ûd coûte autour de 300 dollars : l’équivalent d’un mois de repas. Je chantais beaucoup : c’est ce qu’il y a de plus économique ! Tout le monde à la maison m’écoutait religieusement. Mes frères et sœurs me disaient que j’avais une belle voix, qu’il fallait que j’en fasse quelque chose…

Si je ne me trompe pas, vous ne pouvez pas retourner facilement dans votre pays…

À l’heure actuelle, rentrer chez moi est très compliqué voire impossible. Je dois passer de nombreux check points et il n’y a pas d’aéroport à Gaza. En plus, le problème n’est pas tant d’aller à Gaza, mais de pouvoir en sortir ! Il me faudrait peut-être attendre un mois, deux mois, voire un an avant de quitter Gaza. Je risque de rester prisonnier. La situation actuelle est bien trop délicate.

Avez-vous l’impression d’être un exilé ? Comment définissez-vous votre situation et comment celle-ci peut-elle enrichir votre univers artistique ?

Même si je suis très heureux d’être devenu un citoyen français, je reste un exilé, sans l’ombre d’un doute ! Mes frères, mes sœurs et ma mère sont là-bas… loin de moi. Si un jour ma mère a besoin de moi, je ne peux pas la rejoindre. Écrire, composer, chanter sont mes seules thérapies ! J’utilise en quelque sorte cette souffrance pour m’exprimer artistiquement. Je suis comme la mer : jamais complètement calme, souvent agité... Beaucoup de sentiments contradictoires m’envahissent… La colère prend parfois le dessus. Il est clair que j’ai un combat à mener.

Vous avez donné en 2013 une série de concerts en hommage au Printemps arabe en Jordanie, en Syrie et en Egypte. Dans quel état d’esprit aviez-vous préparé ces concerts ? Que reste-t-il selon vous de ce processus révolutionnaire que vous célébriez alors ? 

Au début, j’avais l’espoir que le Printemps changerait les pays arabes, qu’il donnerait une nouvelle chance à chacun, qu’il apporterait un vent de liberté pour tout le peuple arabe. J’y croyais vraiment, tout le monde y croyait d’ailleurs. Or, l’armée a volé la révolution du peuple. Elle s’est emparée de tous ses rêves, de tous ses espoirs…

Quelle conclusion tirez-vous de cette expérience ?

Aujourd’hui, j’ai envie de dire : méfiance ! L’armée ne résout rien, bien au contraire… Moi, je n’ai qu’une arme : c’est la musique.

Vous vivez en Europe depuis plusieurs années et avez absorbé beaucoup de musique occidentale… Qu’est-ce qui vous touche le plus ? Qu’est-ce qui nourrit votre langage musical ?

Après avoir quitté Gaza en 2007, j’ai commencé par voyager avant de m’installer en France. Ce que j’apprécie le plus par rapport à la Palestine, c’est la diversité des musiques. Gaza n’était pas tellement ouverte sur ce point. Je m’intéresse à toutes les musiques, les bonnes comme les mauvaises. Je considère chaque musique comme une couleur. Autant se constituer la plus large palette possible !

La langue arabe est-elle une langue musicale ?

La langue arabe est très riche car très variée. Il n’existe pas une langue arabe mais une multitude de langues. Chaque pays, chaque région, chaque village utilise un vocabulaire et des accents différents.

Qu’est-ce-qui la distingue de la langue française ? En quoi ces deux langues sont-elles complémentaires ?

Quand j’essaie de mélanger les deux langues, j’ai l’impression d’être un magicien qui tire du chapeau une troisième langue se situant à mi-chemin entre le français et l’arabe. Dans Kalîla wa Dimna, je compose de la musique orientale sur de la langue française et inversement. En réalité, ce n’est pas la première fois que j’adopte cette démarche. Il y a 10 ans, j’ai composé à Gaza une chanson pour enfants en 4 langues (arabe, anglais, français et hébreu).

Pensez-vous que le public soit disposé à entendre ce genre de métissage ?

La France est un pays ouvert à toutes les musiques. Il y en a vraiment pour tous les goûts. Le futur de la musique française passe par le métissage, j’en suis convaincu ! Le personnage de Kalîla chante en français sur de la musique orientale. Il m’arrive souvent d’entonner ses airs face à des amis français, aucun d’entre eux ne trouve ça bizarre. C’est bien la preuve que les Français sont habitués aux mélanges, que leurs oreilles sont prêtes !

Comment avez-vous connu le Festival d’Aix-en-Provence ou comment le Festival d’Aix-en-Provence vous a-t-il connu ?

Je suis arrivé en 2008. Bernard Foccroulle, directeur du Festival, m’a contacté après m’avoir entendu à La Monnaie de Bruxelles aux côtés de Françoise Atlan. Il m’a proposé de fonder le chœur d’amateurs Ibn Zaydoun dans le cadre de l’opéra Zaïde mis en scène par Peter Sellars. Zaïde est certainement une première étape sur ce chemin me conduisant vers Kalîla wa Dimna.

Comment avez-vous rencontré Olivier Letellier, le metteur en scène de Kalîla wa Dimna ?

Je l’ai rencontré à l’occasion de la création, dans le cadre d’Aix en Juin 2014, de La Colombe, le Héron… et j’oubliais… le Renard… C’est peut-être parce que j’incarnais moi-même le rôle du Renard, que je l’oublie aujourd’hui ! Quoi qu’il en soit, cette première tentative m’a donné le courage de me lancer dans un projet de plus grande envergure tel que Kalîla wa Dimna.

Comment se passe votre collaboration avec Olivier Letellier ?

Avec Olivier Letellier, on est en dialogue permanent. À nous deux, on forme un seul et même corps : lui, c’est le visage ; moi, je suis la langue !

Pourquoi Kalîla wa Dimna ?

Tout commence avec la question : à qui parle-t-on ? À qui s’adresse-t-on ? Ce projet part du désir de toucher le plus de monde possible. Il y a trop de gens qui vivent sans que personne ne s’intéresse à eux, trop de quartiers dans lesquels le soleil n’entre pas. Comment ouvrir les yeux de ces personnes ? Comment parler aux gens les yeux dans les yeux ? Comment leur dire qu’on est là pour eux ?

Parlez-nous de ces fables animalières dont s’inspire l’opéra Kalîla wa Dimna

Kalîla wa Dimna était au départ une œuvre réservée aux élites. Avant d’être diffusée dans les pays arabes, elle était jalousement gardée en Inde dans la bibliothèque privée d’un brahmane. Seuls ses enfants étaient censés avoir accès à ce livre contenant la sagesse des rois.

Comment cette histoire est-elle arrivée jusqu’à nous ?

Un diplomate travaillant au service d’un royaume iranien fut envoyé en Inde pendant 10 ans pour se rapprocher du gardien de la bibliothèque et obtenir la permission d’écrire chaque jour une page de ce livre défendu. À son retour, le livre fut traduit en plusieurs langues par Ibn al-Muqqafa’ et devint populaire.

La vie de l’auteur du livret de Kalîla est plus tumultueuse qu’un récit épique, pouvez-vous nous raconter brièvement son parcours ?

Demander à Fady Jomar d’écrire le livret était pour moi une évidence ! Cet écrivain syrien a en effet vécu la même expérience que le personnage Chatraba dans l’opéra. Il a beaucoup souffert sous le régime de Bachar Al-Assad. Il a notamment été prisonnier en Syrie pendant 6 mois, sans soleil, sans pouvoir regarder le ciel, les yeux rivés sur les chaussures des prisonniers… Je me suis dit que personne ne pouvait adapter cette histoire mieux que lui. Qui peut poser des mots sur ces sentiments ? Enfermé pour avoir eu le courage de dire non. Fady Jomar est le seul capable de dire la vérité à propos de Kalîla wa Dimna. Avec lui, Kalîla n’est plus seulement un conte, c’est une histoire vraie et contemporaine.

Votre opéra aborde la question du pouvoir… En quoi fait-il écho avec l’actualité ? Que dénonce-t-il de la société dans laquelle il s’inscrit ?

Avant, le danger semblait venir de l’extérieur, maintenant le danger naît ici. Aussi faut-il faire quelque chose. Les questions politiques, ce n’est pas à l’extérieur qu’il faut les traiter, c’est ici et maintenant ! Au lieu de fournir des armes pour attaquer le système, il faut donner un livre, il faut chanter une chanson, il faut tendre une main pour entraîner l’autre dans la danse…

Vous sentez-vous porteur d’un message ?

Je suis moi-même le fruit du métissage à la française. Je vis en France et me sens concerné par tout ce qui s’y passe. Si l’on fait du mal à un citoyen français, c’est moi que l’on touche. On est tous dans la même barque. J’espère que mes enfants seront meilleurs que moi, qu’ils seront plus libres, plus ouverts, qu’ils regarderont l’immensité du monde avec leurs propres yeux et non pas à travers les miens. Kalîla wa Dimna est un opéra qui s’adresse à la jeunesse, à la France de demain !

Concrètement, comment composez-vous ? À la table ? Avec un instrument ? En chantant ?

Je sais lire et écrire la musique mais cela m’est très long et laborieux. Aussi, je confie mes compositions musicales à Zied Zouari, violoniste et directeur musical, qui se charge de les retranscrire. On se contacte souvent par Skype. Je lui chante des passages, j’en joue d’autres et il couche les idées musicales sur le papier. On travaille ensuite l’harmonie ensemble.
La musique savante arabe est essentiellement fondée sur le système modal des maqâms

Pourriez-vous nous expliquer ce procédé qui conditionne votre partition ?

Un maqâm renvoie généralement à une gamme pouvant être constituée de 3 ou 4 notes.  Chaque maqâm a une mission différente. Certains comme Ajam ont pour vocation de procurer du plaisir, d’autres comme Saba sont très tristes, d’autres encore comme Sika se révèlent plus nerveux et colériques. Ces trois maqâms-là sont très clairs et explicites, d’autres peuvent être plus subtils et nuancés. J’utilise donc, telles des couleurs, une large palette de modes existants. Puisque cet opéra regorge d’émotions (le plaisir, la rage, l’espoir, la tristesse, le désespoir…), j’essaie de traduire musicalement chacune d’entre elles et fais recours à tel ou tel maqâm en fonction du livret.

Comment avez-vous appliqué ces maqâms à la mise en scène ? Êtes-vous parti du livret ?

Dans le passé, le compositeur pouvait composer un opéra sans jamais rencontrer le librettiste. Aujourd’hui, il est essentiel que le compositeur partage ses idées avec le metteur en scène. Il m’arrive de contacter Olivier Letellier pour lui demander ce qu’il pense de telle phrase ou comment il visualise telle scène…

Dans votre composition, l’instrument du qanûn côtoie la clarinette, le violoncelle, le violon et les percussions…

La racine du mot qanûn veut dire « justice » ! Cet instrument occupe un rôle central dans l’ensemble instrumental, car c’est lui qui donne la note pour tout le monde.

On sait que la musique orientale laisse souvent libre cours à l’improvisation. Or dans un travail aussi minuté et structuré que le montage d’un opéra, la part d’improvisation est quasi inexistante. N’est-ce pas frustrant ?

Qui contrôle la musique ? Qui donne le cadre ? C’est la mise en scène. Il est vrai que je me sens parfois un peu à l’étroit, mais j’ai toujours l’espoir d’arriver à la prochaine scène pour me libérer…

Parlez-moi de ces chanteurs que vous avez recrutés…

Trouver des chanteurs orientaux capables de chanter et de jouer la comédie est une mission quasiment impossible ! On a voyagé à Beyrouth et en Turquie pour faire des auditions. J’ai également repéré quelques chanteurs sur Youtube. C’est là que j’ai notamment trouvé Ranine Chaar, la chanteuse de Beyrouth qui interprète Kalîla, personnage qui raconte l’histoire en français 

Ces chanteurs sont de véritables stars dans leur pays, si je ne m’abuse…

Ils sont tous très connus dans leurs pays respectifs et ont immédiatement accepté de relever le défi de faire un opéra. Tous ont réagi en disant : « Dans notre carrière, au cours de laquelle on a fait tout et son contraire, jamais un opéra ne nous a été proposé !».

Tant d’artistes — comme le personnage de Dimna — servent le pouvoir pour gravir l’échelle sociale et satisfaire leurs ambitions…

Des gens comme Dimna, on en trouve partout ! Au sujet de ceux qui n’hésitent pas à vendre leur âme au diable pour réussir, on dit en arabe : « Mange mon cœur mais pas mon pain !».

Tant d’artistes aujourd’hui — comme le personnage de Chatraba — sont muselés et condamnés à mort par le pouvoir en place… Quel message cet opéra veut-il donner à ces artistes ?

Ce que je ne parviens pas à faire de manière directe, je le fais de manière indirecte, par le biais de la musique. Les rois ont peur de perdre leur place… Les artistes peuvent avoir plus de pouvoir que les armes…


Propos recueillis par Aurélie Barbuscia, entretien extrait du programme du Festival d’Aix-en-Provence

Au moment de cet entretien, vous en êtes au deuxième jour de répétition de l’opéra Kalîla wa Dimna. Pourriez-vous nous donner vos premières impressions ?

Kalîla wa Dimna donne lieu à un processus créatif complexe qui suppose un travail de mise en scène dicté par l’intuition. Je n’ai aucune idée arrêtée à imposer aux autres. À ce stade de la création, le travail au plateau vient questionner le texte et la musique pour se tisser au plus près de ce que nous voulons raconter ensemble.

Avant de quitter l’Inde et de devenir populaire, l’ouvrage Kalîla wa Dimna était réservé à un petit cercle d’initiés. Le genre de l’opéra souffre parfois de la même réputation. Quel éclairage Kalîla wa Dimna porte-t-il sur le genre de l’opéra, et inversement ? En quoi contribue-t-il à le rendre populaire ?

L’aspect populaire que revêt le projet de Kalîla wa Dimna est essentiel à mes yeux. Raconter une fable donnant un éclairage sur le monde d’aujourd’hui : voilà ce qui nous intéresse ! Je viens du théâtre étiqueté « jeune public » ce qui signifie que j’ai pour habitude de réfléchir au public auquel je vais m’adresser. C’est un théâtre populaire par excellence puisqu’il est prioritairement destiné aux enfants, quelles que soient leurs catégories sociales. Aussi, lorsque des représentations ont lieu sur le temps scolaire, elles sont amenées à toucher, dans une même classe, des fils d’ouvriers, de commerçants, d’ingénieurs, d’enseignants, des enfants de cultures et d’origines très variées… Or la notion même de « jeune spectateur » ne renvoie pas uniquement aux enfants, mais considère les spectateurs qui n’ont pas d’expérience, les néophytes qui n’ont simplement pas les références souvent pré-requises.

Vous avez choisi de faire ce métier parce vous aimez raconter des histoires. Or, à l’origine, l’histoire de Kalîla wa Dimna part d’un ordre royal : « Raconte-moi l’histoire de… ». Cette prémisse a-t-elle conditionné le choix du narrateur ?

Absolument pas ! Kalîla wa Dimna contient de multiples fables aux dimensions variées et le « Raconte-moi l’histoire de... » n’est autre qu’un prétexte pour rassembler tous les éléments du corpus, un peu à la manière des Mille et une nuits où Shéhérazade s’engage toutes les nuits à raconter une nouvelle histoire au sultan. Avec Catherine Verlaguet, co-auteure et dramaturge, nous avons fait le choix de confier le rôle de narrateur à une femme en partant du principe que le personnage de Kalîla, dont la vie a été complètement bouleversée par l’ambition dévastatrice de son frère jumeau, éprouve le besoin de raconter son histoire. Ensemble depuis leur conception et unis par un lien gémellaire, tout porte à croire que Kalîla et Dimna puissent avoir le même destin. Or l’un choisit de s’approcher du pouvoir et de développer sa cupidité et sa jalousie tandis que l’autre opte pour la voie / voix de la sagesse. Si dans la version d’origine, il s’agit de deux frères, c’est à une femme, forte et non soumise à son frère, que nous avons souhaité donner la parole. Ce choix est loin d’être anodin...

Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Pour le dire simplement : je me sens responsable du spectacle que nous fabriquons et j’ai conscience que l’image que l’on va donner de la femme va être largement partagée de par le monde. Kalîla ne cesse de me rappeler combien « raconter une histoire » est un acte engagé.

L’histoire de Kalîla wa Dimna est notamment celle d’un grand voyage, d’une chaîne de traductions… Votre distribution composée d’artistes des deux bords de la Méditerranée en est le reflet. Comment définiriez-vous la dimension ambulante de cet opéra ?

Le fait que des interprètes solistes, ayant bâti une carrière individuelle dans leurs pays d’origine, se rassemblent pour monter un projet collectif — et pas n’importe lequel : un premier opéra en arabe au Festival d’Aix-en-Provence — s’avère très excitant ! En soutenant ce projet, le Festival témoigne d’une grande ouverture doublée d’une forte volonté de marquer le paysage de la création contemporaine. Le Festival ne se comporte pas en commanditaire qui attendrait un produit fini. Son équipe s’est toujours montrée présente, elle porte réellement le projet et ce, depuis le début. J’ai le sentiment que Kalîla wa Dimna est une œuvre partagée voire participative.

Rien de mieux qu’un conte pour défendre un projet d’une telle envergure, n’est-ce-pas ?

Absolument, la présence du conteur est ici essentielle. Contes et voyages ne font qu’un ! Les contes parcourent le monde de long en large, nul ne sait vraiment où ils sont nés et là n’est pas la question. Chaque culture vient nourrir le tissu narratif en y ajoutant des éléments propres à sa couleur locale.

Pouvez-vous évoquer un passage de Kalîla wa Dimna où la dimension du conte est particulièrement mise en exergue ?

Il s’agit du moment où les deux femmes de l’œuvre (la Mère du Roi et Kalîla) racontent une fable. À l’origine, quand l’ouvrage est arrivé en Europe, il est passé par la cour d’Espagne et a permis d’éviter que les trois garçons du roi sombrent dans l’ignorance. Ces derniers refusaient d’étudier jusqu’au jour où un homme s’est présenté à leur père en disant : « Si tes enfants sont capables d’écouter des histoires, je vais leur conter tout ce dont ils ont besoin pour devenir de bons gouvernants. » C’est ainsi qu’il leur a raconté l’histoire de Kalîla wa Dimna. Dans notre opéra, on revisite cet épisode en imaginant que la Mère du Roi lui racontait des histoires quand il était enfant. 

Qu’est-ce qui reste immuable par rapport à l’œuvre originale ?

Seule la fonction reste vraiment la même. Dans Kalîla wa Dimna, les personnages renvoient à des fonctions. Le Roi est le représentant du pouvoir. Or, je me sers de la fonction qu’il occupe pour interroger la notion d’héritage ou de transmission de père en fils. Je m’intéresse particulièrement à la relation qu’il entretient avec sa mère. Prématurément placé sur le trône, ce roi a grandi enfermé dans sa tour d’ivoire et c’est de là qu’il gouverne. Il a toujours été régenté par une mère qui lui a imposé sa propre vision du monde…

C’est là qu’intervient le poète…

Oui, le poète Chatraba vient lui raconter le monde. Avec ses mots, il lui parle de la vie, de l’amour, des voyages, des paysages, des plaisirs, des hommes et des femmes… Le Roi commence alors à ouvrir les yeux et à comprendre ce que son peuple vit au quotidien. Il est tellement touché par les mots du poète qu’il est prêt à changer les choses… Or, au moment même où, grâce à la poésie, il pourrait se passer quelque chose de formidable pour ce pays, l’ambition d’un seul homme, dévoré par la jalousie, vient s’intercaler et faire tout voler en éclat. On sent que, dans l’ombre, la Mère du Roi tire les ficelles car elle voit d’un très mauvais œil que son fils fréquente un poète.

À l’origine, Kalîla wa Dimna se présente sous forme de fables animalières ; comment allez-vous restituer cet élément sur scène ? La dimension animale est-elle encore présente dans votre mise en scène ? Sous quelles formes ?

Pourquoi des animaux étaient-ils représentés à la place des hommes ? Comme pour les Fables de La Fontaine, il n’était pas possible de dénoncer le pouvoir de manière frontale, d’où le recours à la métaphore. Aujourd’hui, ce sont des hommes et des femmes qui racontent cette histoire sans détour… Il reste cependant des références à l’animalité tant dans le livret que dans les costumes, notamment au niveau des matériaux et des couleurs employées. La perruque du Roi fait par exemple allusion à un lion déchu.

Comment avez-vous rencontré Moneim Adwan, le compositeur de Kalîla wa Dimna ?

La première fois que je suis allé à Marseille pour faire la connaissance de Moneim, je l’ai surpris lors d’une séance de travail avec le chœur Ibn Zaydoun. C’est ainsi que j’ai pu entendre les prémisses de La Colombe, le Renard et le Héron. Cette musique ne m’a plus jamais quitté ! Elle est restée gravée en moi jusqu’à mon retour à Paris et au-delà... On peut vraiment dire que ce jour-là, j’ai rencontré non seulement l’homme mais sa musique.

En quoi le projet La Colombe, le Renard et le Héron vous permet-il d’aborder aujourd’hui Kalîla wa Dimna ?

Ce projet nous a permis de nous rencontrer, de nous comprendre et de nous faire confiance. J’ai appris à connaître ce compositeur et à saisir sa manière de fonctionner et réciproquement. J’avoue qu’au départ, l’idée de travailler sur des fables animalières ne m’enchantait guère. Or, lorsque j’ai compris ce que Moneim entendait faire de Kalîla wa Dimna et à quel point cela lui tenait à cœur au regard de son vécu, de ses origines et du contexte politique, je me suis engagé pleinement avec lui.

La musique savante arabe est essentiellement fondée sur le système modal des maqâms qui donne à chaque émotion une couleur musicale. Comment intégrez-vous ce procédé au travail de mise en scène ?

À la différence d’un metteur en scène interprétant un opéra classique, j’ai la chance de pouvoir travailler avec le compositeur. Or, cela n’est pas une raison nécessaire pour aller systématiquement dans le même sens que lui. Certes, la musique me procure des envies et crée en moi des images. C’est cependant au texte que j’accorde le plus d’attention tandis que la musique produit des émotions parallèles, parfois contradictoires. Ces discontinuités donnent sans aucun doute plus de relief ainsi qu’une plus grande densité à ce travail. Il en va de même pour les chanteurs qui me confient parfois qu’ils ne sont pas en train de faire ce qu’ils disent. Cela les perturbe car ils endosseraient plus spontanément une posture « illustrative ». Je tâche de leur faire prendre conscience qu’au-delà du texte, il y a ce qui se joue entre les lignes, ce qui se fabrique sur le vif. Là se situe la complexité de leurs personnages.

Parlez-nous de votre rencontre avec l’auteur du livret, Fady Jomar…

Pour rencontrer Fady Jomar, nous avons dû nous rendre en Turquie car il n’avait pas de visa pour nous rejoindre en France. Moneim Adwan a décidé de travailler avec lui alors qu’il ne le connaissait qu’à travers les ondes. Fady transmettait une émission de radio syrienne à travers laquelle il présentait ses poèmes dénonçant ce qui se passait dans son pays. C’est ainsi qu’il a été emprisonné dans les geôles du régime syrien et contraint de fuir son pays pour s’installer en Turquie. Son engagement est très différent du mien car nous ne vivons pas dans le même contexte, les enjeux diffèrent, le combat aussi.

Comment décririez-vous son écriture ?

Lors de notre rencontre en Turquie, Fady nous a raconté par quels moyens il essayait de ne pas sombrer dans la folie lors de son emprisonnement. Il ne lui était pas permis d’écrire, si bien qu’on ne lui autorisait ni papier, ni stylo. Il n’avait pas d’autre choix que d’écrire avec son doigt sur les murs tous les mots qu’il avait besoin de sortir… Je ne parle pas l’arabe, mais ceux qui ont affaire au texte de Fady — que l’on essaie désespérément de traduire sans trahir — évoquent des images textuelles d’une force et d’une intensité uniques. La traduction de l’arabe au français se révèle plus complexe que ce que nous imaginions, Catherine Verlaguet et moi. En arabe, le sens d’une phrase peut être bouleversé par le retrait d’un seul mot et la densité de l’écriture de Fady Jomar n’est pas sans complexifier et enrichir le processus.

Parlez-nous de votre collaboration avec Catherine Verlaguet, co-auteure et dramaturge…

J’ai travaillé sur de nombreux projets aux côtés de Catherine Verlaguet. Au fil des collaborations, une forte complicité s’est installée. Pour Kalîla wa Dimna, je lui dois une grande maîtrise de la structure dramaturgique, une lecture de la fable à travers le prisme du pouvoir de la parole, l’attribution du rôle de narrateur à une femme et le fait d’avoir donné une profondeur aux personnages.

L’opéra parle entre autres de la manipulation du langage par le pouvoir… Pourquoi ce sujet vous tient-il à cœur ?

Prenons le côté positif du langage, c’est ce qui nous permet de nous parler, de nous écouter, de nous rencontrer et donc de nous comprendre. Les conflits apparaissent dès lors que la communication est rompue. Or, avec des mots, on peut faire à la fois le bien et le mal. On peut, comme Kalîla, choisir de raconter et de partager une histoire pour mettre en garde. On peut, comme le fait Dimna, utiliser les mots à des fins personnelles. La première rencontre entre le Roi et Chatraba est très belle parce qu’ils se découvrent et se rencontrent humainement. Or, dès l’intervention de Dimna, leur relation est faussée. Quelqu’un a mis un ver dans la pomme. Dimna a attisé la peur et alimenté la méfiance chez eux, si bien qu’ils ne sont plus en mesure de s’écouter l’un l’autre. Dans la fable, le chacal dit au lion : « Si tu vois le bœuf sur ses pattes arrières, c’est le signe qu’il s’apprête à attaquer. » En réalité, il ne s’agit que d’une posture de méfiance. Le Roi a été manipulé par Dimna et décide de mettre à mort Chatraba, le poète. Ce dernier a cependant la profonde conviction que son corps ne sera plus mais que ses mots et ses œuvres perdureront. Cela peut sembler un peu naïf, mais c’est une chose à laquelle je crois. 

Pour la mise en scène de Oh Boy ! d’après le roman de Marie-Aude Murail, vous avez connu des épisodes de censure de la part de certaines municipalités. Quelles réponses l’opéra Kalîla wa Dimna peut-il apporter à ce climat d’intolérance ?

C’est par des histoires que je réponds à la censure… Pour Oh Boy ! ma réponse a été de monter non pas un, mais quatre spectacles sur l’engagement et de mettre en scène un opéra qui parle de censure et de liberté d’expression ! Dans Kalîla wa Dimna, la parole du poète Chatraba est de plus en plus écoutée, ce qui inquiète les détenteurs du pouvoir. C’est parce que le Roi ne peut acheter Chatraba qu’il le tue. De même que Dimna, pour assouvir un intérêt personnel, empêche le bonheur et l’épanouissement d’une société entière, une personne peut-elle déprogrammer un spectacle qui a été joué plus de 700 fois et empêcher ainsi des milliers d’enfants et d’adultes de se laisser toucher par une histoire ?
 

Propos recueillis par Aurélie Barbuscia, entretien extrait du programme du Festival d’Aix-en-Provence

À propos de l’œuvre

Alain Féron, compositeur & musicologue

« Tout droit de reproduction interdit sans autorisation »

Du livre de « Kalîla wa Dimna »

À l’origine il était une épopée indienne écrite au IIIe siècle avant J.C. (en sanskrit), et qui, sous le nom de Pañcatantra, comportait une introduction et cinq livres ayant pour but d’enseigner la sagesse aux princes gouvernants. Bien plus tard, un brahmane du nom de Visnusarma en tira un recueil de soixante-dix fables tout en se présentant comme le narrateur et l’auteur de ces contes animaliers, souvent drôles, toujours instructifs dans leur dénonciation des travers humains. Le prologue de ces histoires en était le suivant : un roi (du nom d’Amarasakti), cultivé et intelligent, a le malheur d’avoir trois fils qui ne le sont point. Il consulte donc ses ministres en leur exposant les raisons de sa douleur et l’un d’entre eux propose alors que Visnusarma transmette aux trois princes l’incomparable savoir dont sa réputation est auréolée. Pour ce faire, le sage écrira à leur intention le Pañcatantra. Au bout de six mois seulement, grâce à la lecture de cet ouvrage, les trois princes seront ramenés à leur père, parfaitement instruits… 

Des siècles plus tard, et plus précisément au VIe siècle après J.C., un médecin persan (nommé Barzoui, Burzoe ou Barzouyèh) fut envoyé en Inde par le roi sassanide de Perse Khusraw Anushirwan (531-579). Ce, afin de rapporter cet ouvrage en ses bagages. Revenu auprès de son roi, il en tira un recueil auquel on donna le nom de Kalîla wa Dimna (car c’était le nom que portaient les deux héros principaux, frères chacals de leur état). Ainsi Karataka devînt-il Kalîla, et Damanaka prît-il le nom de Dimna. Traduit en pehlevi[1] par ledit médecin, l’ouvrage fut, sous ce nouveau titre, agrémenté par lui d’apologues venant d’autres sources indiennes.

Des traductions en diverses langues suivirent, au fur et à mesure que le livre devenait célèbre. Mais la plus importante vînt, deux siècles plus tard (vers 750), de l’adaptation[2] qu’en fit (en langue arabe) Ibn al-Muqaffa’[3] (724-756). Ce haut dignitaire de l’administration persane établira quant à lui sa propre mouture d’après celle du médecin perse susnommé. Hélas, le texte de ce dernier en ayant été perdu, nous sommes dans l’impossibilité de connaître le nombre ou le type des interpolations et des changements potentiels commis possiblement par des copistes ou des lettrés soucieux de l’embellir. En outre, Ibn al-Muqaffa’, lui-même préoccupé par les problématiques liées à l’éthique du pouvoir, a sans nul doute apporté des modifications au matériau primitif dont il se servit comme support. L’objectif de ces fables n’en resta pas moins identique : l’éducation morale et politique des gouvernants… Ibn al-Muqaffa’ nous en rappelle d’ailleurs la dimension pédagogique, à l’occasion de sa préface : « Lorsqu’on connaîtra l’ouvrage, on sera assez enrichi pour se passer de tout autre. Si on ne le connaît point, on ne pourra en tirer profit et l’on sera comme cet homme de la fable qui, une nuit, jeta dans le noir une pierre, sans savoir où elle tombait, ni pourquoi il avait fait ainsi ».

L’Histoire était désormais en marche car, à travers les différentes traductions de la version qu’inspira le Kalîla wa Dimna d’Ibn al-Maqaffa’ (grecque : signée vers 1080 par le médecin d’Antioche, Siméon Seth ; hébraïques : au début du XIIe siècle ; castillane : établie vers 1251 pour l’infant Alphonse le Sage ; latines : exécutées par Jean de Capoue en 1263 puis par Jean de Béziers pour la reine Jeanne de Navarre en 1313), ce texte parvint en effet à s’inscrire durablement dans la culture de notre civilisation occidentale. Ainsi inspira-t-il « notre » Roman de Renard, mais aussi les frères Grimm. D’autre part, une version française — réalisée à partir d’une nouvelle traduction persane du texte d’Ibn al-Muqaffa’ — fut publiée en 1644… et un certain La Fontaine empruntera aux histoires de Kalîla et Dimna les éléments ou la trame de quelques-unes de ses Fables : Le Chat, la Belette et le Petit Lapin, Le Chat et le Rat, Les Deux Pigeons, La Laitière et le Pot au lait. Et ce recueil d’aller encore jusqu’à influencer le Reinecke Fuchs de Goethe ! Aujourd’hui, il a été utilisé par des scénaristes de dessins animés et est devenu, en ce qui nous concerne, un livret d’opéra.

Synopsis de l’histoire contée

1. Les scènes chantées (en arabe) 

Le jeune Dimna voudrait attirer l’attention bienveillante du roi ainsi que ses bonnes grâces. Le roi est quant à lui très isolé en son palais par la volonté même de sa mère. Au dehors, un poète nommé Chatraba, par ses chansons inspirées des souffrances et des joies du peuple, acquiert une renommée qui inquiète le roi. Dimna se propose d’amener Chatraba au roi pour que ce dernier puisse juger en connaissance de cause du danger que représente le poète. Ce qu’il fait, mais, contrairement à ses attentes, le roi deviendra l’ami du poète et découvrira ainsi qu’on lui cachait la réalité sur son peuple. Dimna, jaloux de cette préférence affichée, décide d’y mettre fin. Il fait alors croire au roi que Chatraba complote contre sa couronne et n’a qu’un désir : le renverser !

Le roi, se laissant convaincre, décide d’arrêter Chatraba et le condamne à mort. Le peuple, apprenant cela, gronde de colère. La mère du roi, afin de couper court à une révolte qui sourd, décide alors de faire de Chatraba un poète national (car c’est le seul moyen d’éviter qu’il ne devienne le porte-parole d’une révolte : « si vous tuez un poète, il renaîtra en mille chansons ! » nous explique le livret ). Et, pour asseoir l’autorité de son roi de fils, elle montre du doigt le véritable coupable et fait emprisonner Dimna. Bien entendu, elle se gardera de le mettre à mort pour montrer la magnanimité du pouvoir. Kalîla mourra de chagrin… Et tout rentrera dans l’ordre des choses (?).

2. Les interventions parlées (en français) … où sont ménagées des interventions chantées par la narratrice (en français et en arabe).

Kalîla, la sœur jumelle de Dimna, nous narre l’histoire qui mènera son frère en prison. Elle sera celle par qui la morale s’exprime. Grâce à ses interventions qui s’intercalent entre les scènes chantées, le public pourra bénéficier d’une compréhension directe de ce qui se passe (théâtralement et musicalement parlant) devant lui. À Kalîla donc, la part de fable qui nous sera contée. 

À propos du livret de Catherine Verlaguet & Fady Jomar
 

Adapter le livre de Kalîla wa Dimna était bien entendu inenvisageable « en-soi » ! C’est pourquoi — sur la trame de la fable Le Lion et le Bœuf illustrant l’amitié entre un lion et un bœuf mise à mal par les mensonges d’un chacal[4] — Catherine Verlaguet a choisi de raconter l’histoire d’un homme rongé par la jalousie et l’ambition, qui sèmera le malheur autour de lui sans être pour autant capable de profiter de ses mauvaises actions. En écrivant cette parabole sur le pouvoir des mots et l’inconstance des puissants, la librettiste a pris l’option de préserver les fonctions humaines auxquelles renvoie la symbolique animalière à qui elle emprunte, ce, tout en gardant certaines des figures dramaturgiques des personnages que comportait l’ouvrage primitif et cette fable en particulier ( le lion devient donc le roi, le bœuf se fait poète et prend le nom de Chatraba, et le chacal sera bien entendu Dimna ). Par là-même, donner de l’épaisseur et de la profondeur à ces personnages (ainsi qu’à ceux qui s’y ajoutent : la mère du roi et Kalîla) sera l’une des priorités de Catherine Verlaguet en tant qu’auteure de théâtre (car la fable ou le conte répondent à des nécessités qui diffèrent de celles d’un livret, plus proche quant à lui des contraintes théâtrales). 

Catherine Verlaguet n’en gardera pas moins la substance dramatique de la fable en usant de la narration qui en est son essence même. Confiés à Kalîla, ces moments dynamiques où l’accent est mis sur l’action en train de se passer, ou sur celle qui va se produire, ou encore qui entraînent une réflexion sur ce qu’il vient d’advenir, sont, pour la plupart parlés en français. Ils permettent ainsi aux spectateurs de suivre le déroulement du drame qui se joue devant eux tout en intégrant le regard critique que la narratrice porte sur l’action elle-même.

Quant à la seule autre fable que contient le livret, ce sera celle du loup, du corbeau, du chacal et du chameau que nous conteront Kalîla et la mère du roi (cette scène se place au moment où Kalîla exprime son regret de ne pas être allée au-devant du poète Chatraba pour le mettre en garde contre les agissements de son propre frère auprès du roi).

De plus, au lieu de préserver la fratrie masculine originelle, Catherine Verlaguet a choisi d’introduire ici un personnage féminin. Kalîla devient donc la jumelle de Dimna, autrement dit, la face lumineuse (féminine) qui s’opposera au côté obscur (masculin). Une dualité que nous portons tous en nous (féminin-masculin / bien-mal) mais qui devient d’autant plus fortement symbolique lorsqu’un frère et une sœur nous sont présentés comme des jumeaux, et qui résonne encore différemment (d’une façon toute particulière) lorsque ledit personnage féminin (arabe justement, et de surcroît s’affirmant comme non soumise à son frère) se voit propulsé narratrice d’une histoire qui nous parle (à travers ses convictions, ses ressentis, ses critiques et ses émotions de femme) de la réalité de ce monde spécifique auquel elle appartient sans pour autant s’y reconnaître tout à fait.

Dernière entorse pratiquée par la librettiste envers le livre originel : les animaux feront place à des êtres humains. Cet abandon de la métaphore, en nous éloignant de la fable, nous rapproche d’autant de notre propre contemporanéité. Celle-ci s’avère, hélas, intemporelle (preuve que l’homme n’apprend guère du passé !). Et ce n’est pas un hasard si les mots du poète syrien Fady Jomar se sont joints à ceux de Catherine Verlaguet pour l’écriture de ce livret. En effet, Fady Jomar fut emprisonné dans les geôles de Bachar el Assad durant six mois, pour avoir lu à la radio certains de ses poèmes qui dénonçaient ce qui se passait en son pays. Raison pour laquelle il s’exilera ensuite en Turquie avant que de rejoindre l’Allemagne où il vit aujourd’hui. Le texte en arabe lui est dû.

Quelques mots sur la musique arabe
 

La musique arabe est ancrée à la fois dans la vocalité et dans la mélodie. Cette dernière est, la plupart du temps, traitée de manière homophonique et construite sur un système extrêmement riche de modes (appelés maqâms). Ces derniers sont inspirés de l’échelle des sons et des intervalles de la musique grecque ancienne, que la musique arabe adapta. Les maqâms reposent ainsi sur des intervalles de tierces, de quartes ou de quintes et reflètent par ailleurs la diversité des cultures rencontrées durant l’expansion de l’Islam. La musique arabe n’use cependant point (comme la musique occidentale) de la gamme tempérée. Elle lui préfère la gamme naturelle qui permet une interprétation toute différente, à la fois de l’échelle des sons à l’intérieur d’une octave et des rapports intervalliques que ces sons entretiennent entre eux. En conséquence de quoi les intervalles de ces modes sont souvent inférieurs au demi-ton occidental. Soulignons de plus que, si, dans la musique moderne, le monde arabe a souvent adopté le mode de notation occidentale, le terme de gamme n’en est pas moins inapproprié puisque la musique arabe se construit toujours sur des échelles modales inférieures à l’octave.

Comme dans la musique indienne, les maqâms possèdent un ethos. Un mode est ainsi associé à un sentiment ou une émotion, ou possède une fonctionnalité particulière au sein de la vie socio-culturelle de la communauté. D’où la complexité de leur emploi et la richesse de leur signifiance.

Une autre particularité de cette musique réside dans la sophistication mélodique de son art vocal (trilles, glissandi et autre variations rythmiques et mélodiques constituent en effet une ornementation continue d’une grande complexité) ainsi que dans ses motifs rythmiques profondément liés à la riche métrique de cette langue. La musicalité du langage poétique y est en effet déterminée par les intonations et les articulations des mots en fonction de leurs accents toniques et faibles. Le vocable de la langue arabe évoque ainsi toujours la racine à laquelle il se rattache et, chaque mot, en sus de sa résonance propre, éveille les secrètes harmoniques des mots apparentés[5]. Par-delà les limites de son sens direct, les mots font donc passer dans les profondeurs de l’âme tout un cortège de sentiments et d’images… En outre, le chant est toujours le messager du poème dont le contenu sémantique concret est sublimé pat l’abstraction musicale et la mélodie vocale. Aussi, lorsque les mots et la pensée du poète s’unissent à la voix du chanteur, ce dernier a-t-il pour devoir d’en transmettre avec précision et le sens et la sensibilité (afin de provoquer, in fine, l’émotion de l’auditeur).

De la musique de Moneim Adwan

Une narratrice, cinq chanteurs et… cinq instruments : dont trois relèvent de la lutherie occidentale (un violon, un violoncelle et une clarinette) et deux de la tradition orientale ( un qanûn et des percussions ), telle est la nomenclature de cette œuvre. Pointons d’autre part que la racine du mot qanûn signifie « justice » et qu’il n’est dès lors rien d’étonnant à ce que cet instrument occupe un rôle central au sein de cet ensemble instrumental puisque le compositeur lui a donné la fonction d’assumer la « directionnalité » musicale de l’orchestre.

Or donc, la musique de Moneim Adwan s’inscrit en cette partition dans la descendance du chant classique et populaire de la tradition propre à la musique arabe (avec sa vocalité et ses mélismes singuliers qu’accompagnent l’art délicat des maqâms). Soulignons à ce propos que Moneim Adwan use avec brio de ces derniers afin de traduire la large variété des émotions véhiculées par la dramaturgie théâtrale. Et précisons que, même s’il ne néglige point de traiter son matériau musical dans sa dimension savante, bien des interventions vocales et instrumentales y relèvent avant tout du genre de la chanson. La part laissée à l’improvisation se trouve cependant circonscrite à cause des contraintes dramaturgiques mêmes, propres aux différentes scènes dont la musique (s’appuyant sur la symbolique des modes utilisés) suit au plus près les changements émotionnels et dramatiques. C’est donc à la quadrature du cercle que le compositeur s’est vu confronté de par l’essence même des règles musicales qui contraignent sa pratique. Car un maqâm demande à se développer dans le temps, or celui, théâtral, qu’impose la structure dramatique, suit d’autres exigences. Faire coexister ces deux temps, en les respectant suffisamment pour que chacun d’eux puisse préserver sa prérogative propre était assurément la gageure même de cette œuvre. Avec une fine intelligence musicale et une réelle sensibilité dramaturgique, Moneim Adwan est assurément parvenu à établir un équilibre entre ces exigences contraires sans que le spectateur ne ressente la moindre frustration. La réussite est, à ce niveau, complète.

Kalîla wa Dimna étant avant tout attaché à ses origines musicales arabes, l’on n’y trouvera donc que peu d’emprunts à la culture occidentale. Celui qui s’avère le plus prononcé s’incarne, me semble-t-il, dans la tentative du compositeur d’incorporer à son tissu vocal des duos ou des ensembles, comme dans l’opéra traditionnel d’occident. C’est ainsi que la conduite mélodique s’infléchit, de temps à autre, vers des courbes plus « européennes » où les rapports intervalliques, en perdant une partie de leur articulation ornementée typiquement orientale, se colorent alors d’une rythmique rendant la voix plus proche de la parole. Ceci étant, la musique reste le plus souvent homophone, les voix se tuilant chacune à leur tour plutôt que de se confronter à une réelle polyphonie. L’ensemble final lui aussi affirme la prégnance de l’homorythmie, les voix étant alors traitées tel un chœur d’où se dégagent des parties solistes. L’imprégnation occidentale reste donc peu sensible en cette partition, en dehors du choix d’insérer des scènes parlées en français. Il n’en reste pas moins que nous sommes face à une œuvre hybride dont la structure et le traitement ne relèvent ni complètement de la tradition de la musique arabe, ni de la tradition opératique occidentale : une OVNI ( Œuvre Vocale Non Identifiée).

L’immense mérite de cette œuvre se trouve bien plutôt dans le fait de poser la véritable question de l’opéra d’aujourd’hui. À savoir : la question du chant… et donc de la mélodie (dans l’acception la plus large de ce concept). Car l’opéra contemporain se doit de parvenir à articuler, dans le temps, une courbe mélodique qui se tienne en elle-même, pour elle- même, et qui soit « composée » en tenant compte à la fois des contingences du matériau musical choisi et des impératifs vocaux.


[1] Le pehlevi est la forme ancienne de la langue persane.
[2] La langue arabe n’utilise pas le terme « traduire » mais celui de « transférer » (naqala). De fait, l’oeuvre majeure d’Ibn al-Muqqafa’ est plus proche d’une adaptation ou même d’une re-création que d’une simple traduction du persan. Précisons en outre que, jusqu’à l’écriture de Kalîla wa Dimna, la prose arabe était réservée à l’écriture coranique et que seule la poésie permettait de faire de la littérature. Aussi, quand Ibn al-Muqaffa’ écrit Kalîla wa Dimna, il fonde, par cet acte, une tradition littéraire : la prose sera désormais l’égale de la poésie et se devra de porter témoignage du monde.
[3] « Originaire de la noblesse persane, Ibn al-Muqqafa’ se convertit à l’Islam à l’âge adulte et passa son existence à fréquenter des cercles de lettrés et à écrire. Il écrivait par goût, mais aussi par profession puisqu’il était kâtib, c’est-à-dire scribe de l’administration, fonctionnaire des services officiels à Bagdad. C’est aussi par cette fonction qu’advinrent des différends entre lui et certains grands personnages de l’État et, notamment avec le calife, à la suite de quoi il fut assassiné, démembré et les parties de son corps ainsi mutilées, jetées au feu (pour raisons religieuses en partie, mais aussi parce qu’il revendiquait par son œuvre une autre façon de représenter la société). Les écrits d’Ibn al-Muqqafa’ touchent à l’éthique politique et à « l’adab », un terme qui aujourd’hui désigne « les belles lettres » ou la littérature, mais qui à l’époque abbasside se rapportait également à un art de vivre, et dont Kalîla wa Dimna est l’une des œuvres fondatrices. »
[4] Dans ce conte (Le Lion et le Bœuf) qui sert de trame au livret de Catherine Verlaguet et Fady Jomar, plusieurs autres fables sont enchâssés (quatre histoires simultanées s’y emboîtent en effet les unes dans les autres) que les librettistes laisseront de côté. En outre, Catherine Verlaguet a ré-actualisé la forme « littéraire » de la fable en s’en servant comme d’un élément de distanciation théâtrale.
[5] « La langue arabe est comme un jeu arithmétique où le mot est d’abord constitué d’une racine de trois consonnes fondamentales (très rarement quatre), auxquelles peuvent être ajoutées d’autres consonnes qui permettent un élément morphologique (féminin, pluriel, duel…) ou un sens dérivé (par déclinaison). Cette racine inerte est dotée de signes diacritiques dits harakat (mouvements), animant de ce fait le vocable pour en fixer le sens et la prononciation. Un mouvement qui lui donne ainsi sa dimension rythmique et mélodique. Grâce à ces harakat (considérées improprement comme des voyelles), la langue arabe s’enrichit d’un nombre considérable de mots consonants (même si les consonnes diffèrent d’un mot à l’autre). Ces harakat, au nombre de sept au total, obéissent à des règles précises et interviennent pour marquer le sens tout en créant le mouvement et la rime. De là surgit la musicalité de cette langue rythmée et rimée qui incite à jouer des mots et des sons. » Amina Alaoui, Poésie et musique arabo-andalouse : un chemin initiatique, in La pensée de midi 2009/2 (n°28)

Médias

Photos du spectacle

Crédit photos : ©Patrick Berger/ Artcomart