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L’Incoronazione di Poppea MONTEVERDI Opéra

Du 1er au 3 mars 2012

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Présentation

Affiche de L’Incoronazione di Poppea

Distribution

L’Incoronazione di Poppea
Le couronnement de Poppée 
Opéra en un prologue et trois actes
Créé au Teatro SS Giovanni e Paolo de Venise, carnaval 1643


MUSIQUE Claudio Monteverdi
LIVRET Francesco Busenello d’après les Annales de Tacite (Livre XIV)

LE CONCERT D’ASTREE

DIRECTEUR MUSICAL Emmanuelle Haïm
METTEUR EN SCÈNE Jean-François Sivadier
ASSISTANT À LA DIRECTION MUSICALE & CHEF DE CHANT Benoît Hartoin
COLLABORATRICE ARTISTIQUE & ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE Véronique Timsit
SCÉNOGRAPHE Alexandre de Dardel
ASSISTANTE SCÉNOGRAPHIE Émilie Jouve
CRÉATRICE COSTUMES Virginie Gervaise
CRÉATEUR LUMIÈRES Philippe Berthomé
ASSISTANTE COSTUMES Tanya Sayer
CRÉATRICE MAQUILLAGES & COIFFURES Cécile Kretschmar
TRAVAIL DU MOUVEMENT Johanne Saunier
RÉPÉTITEUR D’ITALIEN Daniele Guerra

POPPEA Sonya Yoncheva
NERONE Max Emanuel Cencic
OTTAVIA Ann Hallenberg
OTTONE Tim Mead
SENECA Paul Whelan
DRUSILLA Amel Brahim-Djelloul
NUTRICE & FAMIGLIARE DI SENECA Rachid Ben Abdeslam
ARNALTA Emiliano Gonzalez Toro
VIRTÙ & VALLETTO Khatouna Gadelia
MERCURIO & CONSOLE Aimery Lefèvre amore & Damigella Camille Poul
FAMIGLIARE DI SENECA, LITTORE & CONSOLE Patrick Schramm
SOLDATO, LUCANO, FAMIGLIARE DI SENECA & TRIBUNO Mathias Vidal
FORTUNA & PALLADE Anna Wall
SOLDATO, LIBERTO & TRIBUNO Nicholas Mulroy et Rachid Zanouda & Romain Portoland

RÉALISATION DES DÉCORS Espace & Compagnie
RÉALISATION DES COSTUMES Ateliers de l’Opéra de Lille

COPRODUCTION Opéra de Dijon, Opéra de Lille

Dans le ciel

Dans un prologue allégorique, la Fortune et la Vertu se disputent la suprématie sur les hommes. Mais l’Amour intervient et les contraint d’admettre que c’est à lui, l’Amour, que revient cette suprématie.

ACTE I

À l’aube, Othon, amant de Poppée, découvre la présence de soldats de Néron sur le seuil de sa belle. Il comprend alors son infortune : Néron et Poppée sont dans les bras l’un de l’autre. Les soldats de Néron se réveillent. Ils pestent contre l’irresponsabilité de Néron, le pédantisme et la rapacité de Sénèque. Poppée et Néron apparaissent. Néron s’arrache avec difficulté aux bras de sa maîtresse. Poppée affiche sa confiance en l’avenir, en dépit des mises en garde d’Arnalta, sa vieille nourrice. Au palais impérial, Octavie est rongée par l’humiliation et la jalousie. Sa nourrice lui conseille de prendre sa revanche dans les bras d’un amant. Octavie, indignée, repousse cette idée. Sénèque tente de consoler Octavie, en lui faisant valoir que ce qu’elle perd par son infortune, elle le regagne en vertu. Fureur du Page (Valletto), serviteur d’Octavie, qui met le philosophe en demeure de trouver une consolation plus efficace. Apparition de Pallas Athéna. La déesse prédit à Sénèque sa mort prochaine. En temps voulu, Mercure viendra lui annoncer l’heure. Néron s’ouvre à Sénèque de son projet de répudier Octavie et d’épouser Poppée. Sénèque invoque les exigences de la loi, de la raison, de la vertu. Fureur de Néron, qui chasse Sénèque.

Poppée retrouve Néron. Enflammé d’amour, il lui promet le mariage et le trône. Poppée lui objecte la résistance probable de Sénèque. Ses insinuations ravivent la colère de Néron qui envoie porter à Sénèque l’ordre de mourir. Aux plaintes et aux reproches d’Othon, Poppée oppose la fatalité de l’amour. Poppée partie, Arnalta s’apitoie sur Othon. Othon désespéré envisage de tuer Poppée. La jeune Drusilla, depuis longtemps amoureuse d’Othon, le rejoint pour constater que Poppée règne toujours sur son coeur. Othon l’assure qu’il n’en est rien. Drusilla peut compter sur son amour et sur son dévouement.

 

ACTE II

Sénèque médite sur la solitude. Mercure lui apparaît et lui annonce sa mort prochaine. Effectivement Libertus, l’envoyé de Néron, transmet à Sénèque l’ordre de se donner la mort. Sénèque annonce à ses amis qu’il va se suicider : aux yeux du sage stoïcien, la mort n’est qu’un passage, une délivrance pour l’âme. Mais ses amis lui opposent le bonheur épicurien d’être vivant.

Le Page (Valletto) et la Demoiselle s’avouent leur amour. Débarrassé de Sénèque, Néron, en compagnie du poète Lucain, s’abandonne à la joie. Rappelant à Othon ce qu’il lui doit, Octavie lui enjoint de tuer Poppée. Devant sa résistance, elle le menace de le dénoncer à Néron pour avoir tenté de la violer. Il devra approcher Poppée déguisé en femme. Drusilla est heureuse d’avoir reconquis Othon. Othon confie à Drusilla qu’il se prépare à tuer Poppée. Elle accepte de lui prêter ses vêtements.

Assistée par Arnalta, Poppée s’apprête au sommeil. Apparition de l’Amour, qui veille sur Poppée. Déguisé en Drusilla, Othon s’approche de Poppée pour la tuer. Mais au moment où il va frapper, l’Amour l’en empêche. Othon s’enfuit, mais Poppée et Arnalta ont cru reconnaître Drusilla. L’Amour promet que Poppée sera impératrice.

Acte III

Drusilla affirme sa confiance : un jour elle sera heureuse avec Othon. Accusée d’avoir voulu tuer Poppée, Drusilla est arrêtée. Néron interroge Drusilla, qui garde le silence pour protéger Othon. Furieux, Néron la condamne à une mort lente sous la torture. Othon survient et révèle qu’il agit sur l’ordre d’Octavie. Pour le sauver, Drusilla persiste à soutenir que c’est elle la coupable. Néron lève la sentence de mort. Tous deux partiront pour l’exil. Néron tient enfin un prétexte officiel pour répudier Octavie. Poppée et Néron s’abandonnent à leur joie. Octavie fait ses adieux à Rome. Arnalta exulte. Née esclave, elle va devenir une grande dame. Devant les consuls et les tribuns, Néron proclame Poppée son épouse et la couronne impératrice.

Entretiens

La question des sources est primordiale dans L’Incoronazione avec les deux seuls manuscrits, de Venise et de Naples, qui nous sont parvenus, et d’autre part ces éditions du livret seul qui contiennent des scènes manquantes dans les partitions… Quels ont été vos choix pour cette production ?

En réalité, le travail ne s’avère pas très compliqué, puisqu’il n’y a que deux sources, et que bien évidemment, concernant les livrets, on ne va pas choisir des scènes qui ne sont pas mises en musique ! Les deux manuscrits ne sont pas si différents que cela, et en tous cas ils ne sont pas contradictoires. Ce sont surtout les ouvertures d’une part et de l’autre les ritournelles instrumentales qui sont différentes, puisqu’à Naples elles sont en quatre parties et à Venise en trois (deux parties de dessus et une de dessous). Beaucoup d’autres divergences concernent des distorsions d’un mot pour un autre, des altérations, des inflexions mélodiques dont on peut considérer qu’elles soulignent mieux ou non un mot, ou encore que l’on peut préférer par goût personnel, mais qui ne sont pas diamétralement opposées. Le travail consiste essentiellement à faire une lecture croisée des deux manuscrits, afin de les compléter l’un par l’autre lorsque cela est nécessaire. La différence la plus importante concerne seulement trois scènes, qui sont beaucoup plus développées à Naples qu’à Venise. La scène du Valetto, par exemple, est réduite à Venise, ainsi que le final.

Avez-vous fait le choix d’une version en particulier ?

Ces deux manuscrits, qui ne sont pas autographes, ne sont rien d’autres que des « carnets de notes » établis pour un usage limité, celui des musiciens qui jouaient, lors des représentations de Naples ou de Venise, voire même lors d’une seule de ces représentations dans chaque ville : la première, la deuxième ou une autre… Il ne s’agit donc pas de deux versions possibles mais de la trace des choix qui ont été faits lors de ces représentations. Aucune n’a une valeur d’original ou de source définitive ! On y trouve des ratures qui témoignent des coupes qui ont été opérées, des indications du genre « une tierce plus bas » ou « un ton plus haut », on n’y note pas les mots dont les répétitions sont évidentes… Dans l’une, on ne trouve pas les parties du dessous, dans l’autre pas les parties du dessus, ou bien on ne trouve que la basse d’une ritournelle qu’il faut alors compléter. Il s’agit simplement d’un matériel à usage unique ! Cela nous renseigne par contre de manière très intéressante sur les pratiques de l’époque, sur la marge de manœuvre, la liberté dont on usait à l’époque. Liberté que nous avons dès lors prise !

Ce sont des choix musicaux qui impliquent des choix de mise en scène. Comment avez-vous travaillé avec Jean-François Sivadier ?

Nous avons fait tout ce travail à deux. Par exemple, les deux scènes qui précèdent le final ne sont pas dans le même ordre : le monologue d’Arnalta précède celui d’Octavie à Venise et le suit à Naples, certains enchaînements de scènes posent donc question. Le final lui-même est extrêmement coupé à Venise. Nous avons, avec nos collaborateurs respectifs, relu le livret, puis la partition, mis en question l’enchaînement des scènes, c’est-à-dire aussi des décors et des lieux où doit se situer l’action, étudié le texte même des scènes : telle redite est-elle nécessaire ou inutile dramatiquement, etc. ? Nous avons questionné le rapport des chanteurs avec le continuo, qui ne se dirige pas et est presque improvisé : comment est-ce que tel ou tel mot doit être souligné ou non ? Nous avons ensuite fait des choix, reprenant telle ou telle coupure d’un des manuscrits, ou bien en choisissant une autre encore différente, pour trouver un enjeu dramaturgique à chacune des scènes. L’étude des livrets édités nous a également servi de manière très intéressante, soit pour compléter certaines lacunes des manuscrits sur tel ou tel mot, soit pour s’interroger sur les scènes que Monteverdi n’a pas mises en musique, et dès lors sur ses intentions dramatiques.

Il y a aussi la question des effectifs : on assiste, depuis plusieurs décennies maintenant, à deux tendances, un orchestre extrêmement réduit, parfois au seul continuo, ou au contraire très fourni, comme la partition de L’Orfeo en donne l’exemple. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Je n’ai pas choisi l’orchestration de L’Orfeo car les trombones me semblent une coloration particulière, à l’époque, du monde infernal, de ses habitants et de ses dieux, ce qui est absent de L’Incoronazione. Nous nous sommes vraiment basés sur les pratiques vénitiennes d’un continuo très développé. Nous savons qu’il y avait à l’époque une grande richesse du continuo : clavecins, orgues, luths, harpe double, chitaronne, violes, lironne, violoncelle, violone, qui donnent tout un éventail de possibilités de colorations très différentes. Pour les instruments de dessus, j’ai pris les instruments les plus habituels "par un" : violon, cornet, dulciane pour les personnages comiques et pour les vents un effectif de flûtes "par trois" pour les ritournelles que nous faisons à quatre parties, de manière à avoir les trois parties pour flûtes et la dulciane ou la flûte basse pour la quatrième. Cela me permet d’avoir une variété de couleurs importante tout en restant dans un effectif presque chambriste. J’ai également souhaité une percussion, qui n’est pas notée dans la partition mais est omniprésente dans l’iconographie que l’on peut trouver et qui donne une coloration très méditerranéenne.

Ce n’est pas la première fois que vous abordez cette œuvre. Avez-vous fait des choix différents cette fois-ci ?

J’ai bien sûr fait des choix différents en ce qui concerne les coupures et tout ce travail en commun avec Jean-François, puisqu’il s’agit à chaque fois d’un travail dramaturgique particulier. J’avais également aussi envie de changer, tout simplement, d’expérimenter encore : j’avais choisi l’ouverture de Naples, ici j’ai choisi celle de Venise, j’avais fait la version napolitaine, plus longue et plus coquine de la scène du Valetto, je fais aujourd’hui la version vénitienne plus courte et plus élégiaque, qui est comme une sorte de réplique en petit du duo final « Pur ti miro ». En ayant pratiqué lui-même des coupures, Monteverdi nous laisse comme une œuvre à géométrie variable, et nous incite à expérimenter et à chercher, à aborder l’œuvre avec liberté.

On considère souvent que l’œuvre serait un travail d’atelier plus ou moins dirigé par Monteverdi. Le dernier et sublime duo, l’un des plus beaux du répertoire, serait même un ajout plus tardif dont la paternité est problématique, Cavalli, Ferrari, Sacrati… Vous qui avez de nombreuses fois abordé Monteverdi, qui avez expérimenté ces partitions dans tous les genres, quel est votre sentiment ?

L’œuvre est en tout cas très marquée stylistiquement par son époque. Ce qui me semble clair, c’est qu’il y a dans cette partition des choses qui sont incontestablement de Monteverdi et d’autres qui incontestablement ne sont pas de lui ! La scène finale, effectivement, est à mon avis d’un langage trop différent pour être de lui. Mais elle est quoi qu’il en soit géniale ! Pour le reste de l’œuvre, il me semble qu’il y a une unité extrêmement importante. Il est possible que certaines des ritournelles n’aient pas été intégralement composées par lui, pour d’autres, il marque la basse et laissait aux musiciens le soin de la compléter, ce qui était très courant à l’époque. Nous avons d’ailleurs procédé de la même manière en utilisant par exemple les percussions pour ponctuer des moments extrêmement dramatiques, comme lorsque Ottavia reçoit comme un électrochoc l’attitude de Nerone et qu’elle détruit tout le décor, ou bien en utilisant des ritournelles d’auteurs de son époque comme Cavalli, ou bien encore en sollicitant plus souvent, avec dès lors un travail d’écriture, les instruments de dessus, qui étrangement interviennent peu dans la partition contrairement aux usages de l’époque qui « rentabilisent » les effectifs. C’est donc très vraisemblablement un travail d’atelier, mais avec une très grande unité, et incontestablement la « patte » du maître.

Propos recueillis par Stephen Sazio

Le Couronnement de Poppée est un opéra très différent de ceux que vous avez montés jusque-là, un mélange de tragique et de comique. Est-ce nouveau pour vous ?

La chose la plus nouvelle pour moi, ce n’est pas le mélange des genres tragique et comique, mais le statut particulier de l’oeuvre elle-même ! Entre les deux versions de Naples et de Venise, les différents manuscrits et leurs reconstitutions, les différentes options des interprètes, chefs et chanteurs, on sait qu’on n’aura jamais une version « définitive », et qu’aucune version, au fond, n’est plus légitime qu’une autre… C’est une oeuvre qui est toujours relative à sa représentation ici et maintenant, qui doit être réinventée à chaque fois… Il n’y a pas « un » Couronnement de Poppée, mais c’est à chaque fois une proposition différente… On ne sait pas ce que sera le spectacle avant de s’être accordé avec le chef et les chanteurs. Raymond Leppard disait : « Dans l’idéal, il faudrait réunir les chanteurs, un groupe d’instrumentistes et les joueurs de continuo et au cours du travail de mise en scène laisser croître l’opéra dramatiquement et musicalement à partir des partitions qui ont été transmises ». On voit ici plus qu’ailleurs que l’opéra est un art vivant, qu’il est relatif à sa représentation et à la manière dont on va le réinventer sur le plateau… L’art de Monteverdi, et particulièrement dans Le couronnement de Poppée, trouve son authenticité dans l’épreuve du plateau et dans l’expérience en direct que font les chanteurs et les musiciens, comme si le moteur de toute l’oeuvre était l’idée d’un spectacle et d’une musique qui se construisent sous nos yeux… Si Monteverdi est véritablement l’inventeur du théâtre à l’opéra, ce n’est pas tant par les livrets que par sa relation avec le temps présent de la représentation… Il y a notamment une liberté extraordinaire dans l’utilisation du silence, on a l’impression qu’après chaque réplique il y a toujours un retour possible au silence : c’est très excitant pour un metteur en scène de théâtre.

Quelle est pour vous la caractéristique dramatique principale du Couronnement par rapport à ses autres oeuvres ?

Dans le Retour d’Ulysse, le prologue met en scène une allégorie de La Fragilité humaine : c’est cette fragilité humaine qui semble être, dans le fond comme dans la forme, la grande question du théâtre de Monteverdi. Dans le Couronnement, pour la première fois il abandonne le mythe, il ne parle plus d’Orphée ou d’Ulysse, mais des hommes, à travers des figures historiques bien sûr, mais il s’intéresse avant tout aux rapports des hommes entre eux. Et par cette musique qui semble parfois ne faire qu’entourer les voix et se déposer autour d’elle, il met la voix et le corps des chanteurs au centre de son théâtre. Il y a un rapport très étroit entre cet aspect de sa musique et son propos essentiel : montrer cette fragilité humaine. C’est ce que j’essaie toujours de faire dans mon travail, en partant du corps et de la présence immédiate du chanteur et pas d’une conception préétablie du personnage. Monteverdi, pour ausculter ces personnages, ne les entoure jamais d’une musique qui les dépasse, mais reste à leur dimension, s’efface, les met à nu, les rend fragiles. Et c’est ce qui fait de sa musique le vecteur d’un érotisme, d’une sensualité incroyable.

Il y a comme une sorte d’adéquation miraculeuse entre cette œuvre, qui est certainement issue d’un travail d’atelier, et la nature de votre travail qui se rapproche d’un atelier de théâtre en perpétuelle invention à partir du corps…

Atelier : c’est le premier mot qui nous est venu à l’esprit quand nous avons commencé à travailler. Imaginer un atelier de musique et de théâtre. Je me suis dit très vite que dans Poppée, qui est une oeuvre véritablement chorale, où il y a une telle interaction, une telle liberté entre l’orchestre et les chanteurs, il fallait avant tout mettre en scène le collectif, en réunissant par exemple tous les interprètes sur le plateau avant que tout commence dans une sorte d’improvisation.

Comment allez-vous traiter l’allégorie entre Amour, Fortune et Vertu qui forme le prologue de l’œuvre ?

On essaie souvent de les mettre en costumes toutes les trois et de les affronter, avec Amour qui va faire une démonstration pendant tout l’opéra pour prouver son pouvoir et sa prééminence, comme si tout était joué d’avance. En réalité, la Fortune et la Vertu agissent énormément, ces trois composantes font partie de l’Homme et en sont inséparables… Je voudrais que tout démarre petit à petit : des musiciens « improvisent », une chanteuse est là et commence à chanter : elle est à ce moment la Fortune, la machine est lancée. Une fois de plus, dans le Couronnement, par rapport à Orphée ou Ulysse, les Dieux sont souvent dépassés… Les hommes ne sont plus manipulés par rien d’autre que par eux-mêmes, avec leurs faillites et leurs contradictions. Ils doivent se gouverner eux-mêmes, comme ils peuvent. La cour de Néron est un théâtre où tous les coups sont permis, un huis clos coupé du monde où règnent la terreur et la paranoïa, un univers d’Atrides où tout le monde est au courant de tout et essaie malgré tout de cacher ses propres manipulations, ses propres désirs… Un gigantesque jeu de dupes dont personne n’est dupe, et dont tous les participants sont d’une même « famille », et tous ambigus (le désir de Poppée pour Néron n’a d’égal que son ambition, Sénèque aime autant l’argent et le pouvoir que la philosophie…). Je voudrais qu’on sente en permanence cette interdépendance de chacun : chaque événement fait basculer le cours de l’histoire dans une nouvelle direction, il y a là comme un ensemble de corps chimiques qui réagissent instantanément à la moindre variation. Et dans la musique aussi tout est instable, ce qui précède n’annonce jamais l’invention et la variété de ce qui suit, tout peut changer à tout moment. Toute l’oeuvre ressemble à une série de questions posées de manière fragmentaire au public. Le compositeur ne juge pas ses personnages, il montre qu’ils sont aussi complexes et ambigus que l’être humain qui est en train de les regarder. Si Monteverdi fait une révolution, c’est celle qui consiste à mettre l’humain au coeur de la dramaturgie musicale et du théâtre, en cherchant le vivant plutôt que l’exemplaire, la dissonance plutôt que l’harmonie.

Il y a cette dernière scène, ce sublime duo entre Néron et Poppée, qui me fait toujours penser à la Mort d’Isolde : une coda qui ne résout pas l’oeuvre, ne la referme pas, mais fait l’effet d’une incroyable aspiration vers le haut : une ascension qui reste en suspension dans le vide…

Et qui paraît-il n’est pas de Monteverdi, alors qu’elle me semble emblématique de toute son oeuvre ! Après la scène du couronnement, qui est une apothéose ambiguë (Poppée est parachutée sur le trône, on ne sait pas ce que va devenir l’Empire romain, Sénèque est mort, Octavie est répudiée, on est loin du happy end), le duo final, où Néron et Poppée, presque intimidés, semblent se reconnaître enfin pour la première fois et pour toujours, fait se rejoindre l’intimité la plus secrète et l’univers entier. Ce n’est pas une fin, c’est une ouverture, un début, celui de l’histoire de Néron et Poppée, et celui aussi de l’histoire de l’opéra. Il y a là comme une leçon testamentaire et un manifeste esthétique. Ce n’est pas un dieu qui vient refermer l’oeuvre, mais le purement humain qui l’ouvre et la lègue à la postérité. Comme si Monteverdi, au terme de sa vie dans l’art et à l’aube d’une nouvelle histoire, nous disait : « il n’y aura pas d’art qui ne trouve son essence et sa vérité dans l’insondable complexité du coeur humain ».

Propos recueillis par Stephen Sazio

Médias

Le Couronnement de Poppée : Max Emanuel Cencic (Nerone), Sonya Yoncheva (Poppea), Le Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm

Photos du spectacle

©Frédéric Iovino - Opéra de Lille