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La Traviata VERDI Opéra

Du 29 décembre 2011 au 10 janvier 2012

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Présentation

Affiche La Traviata

Distribution

La Traviata 
La dévoyée 
Opéra en quatre parties 
Créé au Teatro La Fenice de Venise, le 6 mars 1853

LIVRET Francesco Maria Piave, d’après la pièce La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils.
MUSIQUE Giuseppe Verdi 

ORCHESTRE DIJON BOURGOGNE
CHOEUR DE L’OPÉRA DE DIJON
ESTONIAN PHILHARMONIC CHAMBER CHOIR

DIRECTEUR MUSICAL Roberto Rizzi Brignoli
METTEUR EN SCÈNE Jean-François Sivadier
COLLABORATRICE À LA MISE EN SCÈNE Véronique Timsit
SCÉNOGRAPHE Alexandre de Dardel
CRÉATRICE COSTUMES Virginie Gervaise
CRÉATEUR LUMIÈRES Philippe Berthomé
ASSISTANT LUMIÈRES Grégoire de Lafond
CRÉATRICE MAQUILLAGE & COIFFURE Cécile Kretschmar
CHEF DE CHŒUR Salvo Sgrò
CHEF DE CHANT Nathalie Steinberg
PIANISTE ACCOMPAGNATEUR Maurizio Prosperi

VIOLETTA VALÉRY Irina Lungu
ALFREDO GERMONT Jesús León
GIORGIO GERMONT Dimitris Tiliakos
FLORA BERVOIX Silvia De La Muela
ANNINA Anne Mason
GASTONE, VISCONTE DE LÉTORIÈRES Manuel Nuñez Camelino
BARONE DOUPHOL Laurent Alvaro
MARCHESE D’ORBIGNY Jean-Gabriel Saint-Martin
DOTTOR GRENVIL Maurizio Lo Piccolo
SERVO Rachid Zanouda
GIUSEPPE, SERVO DI VIOLETTA Yu Chen
COMMISSIONARIO Zakaria Elbahri
DOMESTICO DI FLORA Rainer Vilu

COPRODUCTION Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, Wiener Staatsoper et Opéra de Dijon
COPRODUCTION ASSOCIÉE Théâtre de Caen

PARIS ET SES ENVIRONS, VERS 1850.
Le premier acte a lieu en août, le deuxième en janvier, le troisième en février.

ACTE I

Dans son salon parisien, la courtisane Violetta Valery reçoit ses invités. Parmi eux, un jeune admirateur provincial nomme Alfredo Germont porte un toast à la séduisante hôtesse. Puis, restant seul auprès de Violetta qui a eu un malaise, il lui déclare son amour. Violetta lui résiste car elle ne croit qu’au plaisir éphémère. Les invites partis, elle se demande pourtant si Alfredo n’est pas l’homme qu’elle attend depuis toujours... Mais elle se ravise et clame son seul credo : le plaisir et la jouissance.

ACTE II

Premier tableau

Violetta s’est laissée conquérir par l’amour vrai d’Alfredo. Elle a quitté le demi-monde et vit heureuse avec lui à la campagne. Mais Alfredo apprend d’Annina, la servante de Violetta, que cette dernière est obligée de vendre ses biens pour faire face à leurs dépenses. Furieux, il part pour Paris afin de régler la situation. En son absence, Violetta reçoit la visite du père d’Alfredo qui l’accuse de porter atteinte à la réputation de sa famille et d’entraver ainsi le mariage de la soeur du jeune homme. Comprenant que Violetta aime son fils d’un amour sincère, Germont lui demande pourtant de se sacrifier, ce qu’elle finit par accepter. Elle rompra avec Alfredo sans explication, mais elle prie Germont de lui révéler la vérité après sa mort. Puis elle écrit une lettre de rupture et s’enfuit. À la lecture du message, Alfredo est effondré. Alors que son père tente de le ramener à la raison, il découvre une lettre d’invitation à un bal pour le soi-même, chez Flora Bervoix. Persuade que Violetta a repris sa vie scandaleuse, il s’y précipite.

Deuxième tableau

Au bal de Flora, les invites se divertissent en jouant aux gitanes et aux toréadors. Alfredo parait, bientôt suivi de Violetta au bras de son ancien amant, le baron Douphol. Alfredo provoque le baron au jeu, mettant Violetta au supplice. Mais l’annonce du diner entraine les invités dans une autre pièce. Violetta a fait remettre un billet à Alfredo pour qu’il la rejoigne. Elle aimerait le mettre en garde, mais Alfredo ne veut rien entendre. Appelant les invités, il humilie la jeune femme en lui jetant de l’argent au visage afin, dit-il, de payer ses dettes. Tous blâment Alfredo, y compris le père Germont qui a suivi son fils.

ACTE III

Tandis que Paris fête le carnaval, Violetta reçoit la visite du docteur Grenvil. Ce dernier annonce à Annina que sa maitresse, rongée par la phtisie, n’a plus que quelques heures à vivre. Violetta relit une lettre de Germont qui lui annonce avoir révélé la vérité à Alfredo et lui promet sa visite. Mais la courtisane déchue pense que tout est fini. Soudain, Alfredo parait. Transportée de joie, Violetta veut partir avec lui, mais elle s’effondre. Germont arrive alors avec Grenvil et lui demande pardon. Avant d’expirer, Violetta remet son portrait en médaillon à Alfredo et le prie de l’offrir à la jeune fille qu’il épousera un jour.

À propos de l’œuvre

Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

« Tout droit de reproduction interdit sans autorisation »

Derniers des opéras de la « trilogie populaire » de Verdi après Rigoletto (1851) et Il Trovatore (1853), La Traviata ne reprend pourtant pas la formule qui avait fait le succès des deux précédents. Du reste, dans cette trilogie populaire, le succès de Traviata ne fut pas immédiat. La création le 6 mars 1853 au Teatro La Fenice de Venise fut même un cuisant échec, et si le rôle joue dans ce fiasco par l’interprète principale Fanny Salvini-Donatelli, sur laquelle repose pour ainsi dire toute l’oeuvre et dont Verdi ne voulait pas, est assuré, il est fort probable que la nouveauté du sujet, qui mêle intimement amour et mort (le titre original prévu par Verdi) dans un contexte qui n’a rien d’héroïque, n’y était pas non plus étranger. C’est seulement un an plus tard, toujours à Venise mais cette fois au Teatro San Benedetto, dans une reprise arrachée de haute lutte par son éditeur Ricordi à un Verdi déçu et avec cinq numéros de la partition fortement remanies par le compositeur, que l’oeuvre prenait rendez-vous avec un succès qui ne devait plus se démentir par la suite.

Le livret prend en effet nettement le contre-pied des ouvrages précédents. Rigoletto, inspire du Roi s’amuse de Victor Hugo mais dont est évacué à la demande de la censure presque tout ce que l’original contenait d’explosif, assurait sa réussite par une dramaturgie musicale entièrement nouvelle qui rompait radicalement avec la structure rossinienne encore en vogue à l’époque dans l’opéra italien. Il Trovatore compensait les aberrations d’un livret historicisant cousu de fil blanc par une inventivité musicale à couper le souffle, qui faisait se succéder avec une désinvolture ahurissante des morceaux de bravoures dont le seul enchainement ininterrompu fait encore tourner la tête. Avec La Traviata, Verdi et son librettiste mettent sous les yeux de leur public ce qu’il n’avait jamais vu : le mélodrame contemporain, en lui tendant à travers le destin tragique d’une courtisane un miroir impitoyable sur ces propres hypocrisies. La censure — ou plus exactement l’auto-censure de la direction de la Fenice — ne s’y trompa d’ailleurs pas, qui exigea que l’action soit transposée à l’époque de Richelieu, au grand dam de Verdi qui souhaitait expressément présenter à son public une histoire qui lui soit contemporaine. La force de la caractérisation dramatique et musicale du personnage de Violetta est cependant telle, que les spectateurs de la première, s’ils firent plutôt bon accueil au premier acte, allèrent jusqu’à rire — universelle échappatoire à la fierté blessée — au deuxième, lorsque la dévoyée fait montre de la grandeur morale que la société lui dénie face au bon père de famille qui lui présente, au nom de la même morale, son inhumaine exigence de sacrifice. Il fallait une conviction peu commune en effet pour montrer aux bourgeois satisfaits qui entretenaient leur cocotte d’une main et défendait la morale de l’autre, l’hypocrisie fondamentale de leur comportement, qui plus est dans le lieu même — l’opéra — qui les pourvoyait généralement en demie-mondaines et autres relations vouées à leur seul plaisir.

Cependant, en resserrant l’action de la pièce de Dumas fils selon le schème redoutablement efficace exposition-péripétie- catastrophe, en caractérisant musicalement chaque acte de manière différente, en jouant subtilement avec la convention opératique, en opérant la coïncidence entre la vérité dramatique et sa représentation musicale, en tissant à travers le contraste entre la fête du premier acte et le dépouillement du dernier la double trajectoire — déchéance sociale et élévation morale — de son héroïne, Verdi sait habilement s’éloigner de la critique sociale propre au contexte historique pour atteindre la grandeur du mythe et de l’universellement humain. Violetta, la fille perdue et phtisique est ainsi la première des grandes figures, Isolde, Brunnhilde, Carmen, Tosca, Melisande ou Lulu, de cette histoire de la féminité réelle ou fantasmée qu’est l’opéra des XIXe et XXe siècles.

Georges Zaragoza, professeur de littérature comparée

« Tout droit de reproduction interdit sans autorisation »

Chacun le sait, c’est à Alexandre Dumas fils que Verdi doit le sujet de sa Traviata. Le maestro séjourne à Paris avec son épouse, la cantatrice Giuseppina Strepponi, de décembre 1851 à mai 1852 et le couple assiste à une représentation de La Dame aux camélias de Dumas fils, créée le 2 février 1852 au Théâtre du Vaudeville. S’il faut en croire ce que rapportait la fille adoptive du compositeur, il aurait immédiatement commencé à composer son futur opéra, alors qu’il ne disposait pas encore d’un livret. Il semble qu’il ait été très intéressé par la modernité du sujet. « Je monte La Dame aux camélias qui s’appellera peut-être La Traviata. C’est un sujet de notre temps. Quelqu’un d’autre n’en aurait peut-être pas voulu à cause des costumes, de l’époque et de mille autres objections bizarres, mais moi, je le fais avec un immense plaisir » écrit-il en janvier 1853 à Cesare de Sanctis. Et en effet, ce nouvel opéra sera le seul de la glorieuse carrière du maitre de l’opéra italien à se fonder sur un sujet contemporain.

Le projet de Dumas était également de composer un drame qui lui offrirait l’occasion de peindre un milieu, celui d’une bourgeoisie d’argent engoncée dans ses contradictions morales et tout particulièrement en matière de relations sexuelles. Mieux encore, le dramaturge avouait sans réticence aucune que son personnage était très directement inspire d’une personne très contemporaine :

« La personne qui m’a servi de modèle pour l’héroïne du roman et du drame La Dame aux Camélias se nommait Alphonsine Plessis, dont elle avait composé le nom plus euphonique et plus relevé de Marie Duplessis. Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d’email comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde ; on eut dit une figurine de saxe,[1] »

en même temps qu’il développait assez longuement ses intentions satiriques et moralistes :

« Le jour où la société déclarera que l’honneur d’une femme et la vie d’un enfant sont des valeurs comme une douzaine de couverts ou un rouleau d’or, les hommes les regarderont à travers les vitres sans oser les prendre, et l’idée leur viendra de les acquérir et non de les voler[2]. »

Les objectifs sont donc clairement affirmés : peindre la vie d’une courtisane en mettant en évidence qu’elle est la victime d’un système social et moral. Si l’on ajoute à cela que ladite courtisane, que Dumas appelle Marguerite Gautier, est phtisique et en meurt, comme d’ailleurs était morte Marie Duplessis, tous les éléments étaient réunis pour une oeuvre à scandale et (donc) à succès. Cette thématique n’était cependant pas nouvelle : Balzac avait écrit Splendeurs et misères des courtisanes, publié de 1838 à 1847, et Zola publiera Nana en 1880. Le sujet est donc dans l’air du temps, mais la publication d’un roman n’a pas la même force, la même virulence qu’une représentation théâtrale qui se tend comme un miroir invitant le spectateur à s’y voir sans aucune complaisance. Voyons donc ce que le librettiste de Verdi, mais Verdi également, puisqu’on sait qu’il suivait de très près l’écriture des textes sur lesquels il composait, ont fait de cette dénonciation.

La pièce de Dumas comportait cinq actes, l’opéra en comprend trois, mais avec deux tableaux pour le deuxième ; il serait donc plus pertinent de parler de quatre actes, si l’on considère qu’un changement d’espace, qui généralement nécessite une interruption du spectacle et de la musique, est la marque d’un changement d’acte. C’est le deuxième acte du drame que l’opéra ne retiendra pas.

Le premier du drame se déroule dans le « [b]oudoir de Marguerite. Paris » et celui de l’opéra dans « [u] n salon dans la maison de Violetta » : on admettra que les deux espaces sont fort proches, pour ne pas dire identiques. Dans les deux cas, il s’agit de montrer l’héroïne dans l’entourage qui est le sien et de la mettre en relation avec Armand/Alfredo qui lui déclarera sa passion.

Le troisième du drame et le deuxième de l’opéra se situent à la campagne : « Auteuil. Salon de campagne. Cheminée et glace sans tain. Porte de chaque côté de la cheminée. Vue sur le jardin » précise l’oeuvre de Dumas ; « Une maison de campagne près de Paris. Un salon au rez-de-chaussée. Au fond, face aux spectateurs, se trouve une cheminée, surmontée d’un miroir et d’une pendule, entre deux portes vitrées fermées, qui donnent sur le jardin. Au premier étage, deux autres portes, l’une en face de l’autre. Sièges, guéridons, quelques livres et le nécessaire pour écrire » pour le livret. Là encore nous devons constater que la similitude est remarquable. C’est dans l’un et l’autre cas, le moment capital de l’entrevue entre le père du héros et l’héroïne.

L’acte quatre du drame propose : « Un salon très élégant chez Olympe ; - Bruit d’orchestre ; danse ; mouvements, lumières. » et le deuxième tableau du deuxième acte de l’opéra : « Une galerie richement meublée et illuminée, dans l’hôtel de Flora. Au fond, une porte, et deux autres sur les côtés. À droite, plus loin, une table à jeu avec tout ce qu’il faut pour jouer ; à gauche, une belle table fleurie où sont posés des rafraichissements ; des sièges et un divan. » Même atmosphère de fête chez une amie de l’héroïne, pour ces deux actes, ou, de part et d’autre, les deux amants se retrouvent et ou le jeune homme insulte publiquement la jeune femme.

Dans l’acte final, nous avons pour le drame : « Chambre à coucher de Marguerite. – Lit au fond : rideaux à moitié fermés. – Cheminée à droite ; devant la cheminée un canapé sur lequel est étendu Gaston. – Pas d’autre lumière qu’une veilleuse » et pour l’opéra : « Chambre à coucher de Violetta. Au fond, un lit dont les rideaux sont à demi tirés ; une fenêtre fermée par des volets intérieurs ; près du lit, un escabeau sur lequel se trouvent une carafe d’eau, un verre en cristal, divers médicaments. Au milieu de la scène, une coiffeuse, à côté un canapé ; plus loin un meuble où brule une veilleuse. La porte est sur la gauche ; en face, se trouve une cheminée où brûle un feu. ».

Cette juxtaposition des préludes didascaliques des différents tableaux des deux oeuvres nous conduit à constater l’extraordinaire fidélité du livret par rapport à sa source ; cela n’est pas un fait isolé dans la production de Verdi et de ses librettistes parmi lesquels Piave fut un des plus fidèles et des plus efficaces. Dans l’histoire du genre, le librettiste n’était qu’un collaborateur technique, avec Piave, il « devient une sorte d’accoucheur » (G. De Van) ; on peut constater que le bon librettiste est celui qui donne du génie à son musicien comme dans le cas de Mozart et Da Ponte. Aussi l’apport de Verdi à la rédaction du livret est très ponctuel, et il a besoin d’une aide qui lui permette de passer de la perspective théâtrale à la perspective lyrique. Le librettiste était souvent un écrivain mineur qui, ne pouvant vivre que de sa plume, s’attachait à un théâtre qui lui passait commande pour un livret à partir d’une oeuvre. Il occupait également très souvent d’autres charges : ainsi Francesco Marie Piave est directeur de scène au théâtre de la Fenice de Venise. Verdi apprécie singulièrement ses dons de versificateur, mais se plaint régulièrement de sa prolixité. La collaboration des deux hommes correspond à l’intérêt de Verdi pour les destins individuels marques par la passion, le sacrifice et la mort : on peut y voir une influence de Piave. Verdi a toujours traité son librettiste sans aucun ménagement, mais il avait confiance en lui : on peut ajouter que le ton des lettres de Verdi est la plupart du temps (pas seulement pour Piave) particulièrement rude et sans égards particuliers.

Verdi s’intéresse particulièrement au théâtre et à l’action dramatique ; pour lui, un bon livret n’est pas une simple occasion, un simple prétexte à composer et juxtaposer des « numéros », air, duos, ensembles, ballets, il faut que l’action soit forte, efficace et qu’elle progresse de façon dynamique ; c’est évidemment ces qualités qu’il trouvait chez Dumas qui connaissait parfaitement les exigences de la dramaturgie et avait su les exploiter dans sa Dame aux camélias. Pourquoi, en ce cas, avoir sacrifie en sa totalité le deuxième acte dumasien ?

Si l’on observe l’articulation entre le premier acte et le deuxième de La Traviata, on en conclura que Piave procède à une ellipse temporelle assez importante ; en effet, à la fin du premier, Violetta invite Alfredo, dont elle vient de faire la connaissance, à lui rapporter la fleur qu’elle lui donne lorsqu’elle sera fanée, c’est-à-dire le lendemain. Et au début du deuxième acte, nous découvrons les deux jeunes gens installés dans une maison de campagne depuis trois mois (« Volaron già tre lune »). Cette ellipse correspond donc au temps pendant lequel Violetta et Alfredo sont devenus amants et ont pris la décision de passer l’été à la campagne, c’est-à-dire à une phase de leur histoire qui n’est pas dépourvue d’intérêt. C’est donc à cette étape que Dumas consacre son deuxième acte.

L’acte se déroule dans le cabinet de toilette de Marguerite, huit jours après la première rencontre à laquelle le premier acte nous a fait assister. Marguerite projette l’achat d’une maison à la campagne et en parle à Armand ; celui-ci la met en garde en citant Manon Lescaut, il ne jouera pas le rôle de Des Grieux, il refuse donc catégoriquement que Marguerite monnaie ses charmes pour pourvoir à l’achat de la maison : la jeune femme le rassure et le congédie. Elle reçoit alors le Comte de Giray à qui elle avait donné rendez-vous, pour lui emprunter quinze mille francs, sans contrepartie. À ce moment, elle reçoit une lettre d’Armand qui rompt avec elle de façon brutale, après avoir croisé le Comte arrivant chez elle : «pardonnez-moi le seul tort que j’aie, celui de ne pas être millionnaire, et oublions tous deux que nous nous sommes connus, et qu’un instant nous avons cru nous aimer.» (p. 105).

Peu après Armand revient, découvre sa méprise et demande pardon. L’acte s’achève sur la réconciliation des deux amants.

On comprend pourquoi Piave et Verdi ont sacrifié cet acte-là ; la situation n’a pas vraiment évolué : le couple est uni au début de l’acte, il l’est à nouveau à la fin. Et pourtant, cet acte deux n’est pas sans intérêt. En effet, l’argent est au centre de tous les échanges ; pas seulement l’emprunt qui permettrait l’acquisition de la maison de campagne. Dès la première scène, Prudence – la bien mal nommée – vient emprunter « trois ou quatre cents francs » que Marguerite lui donne, puis, il est question de Saint-Gaudens, un joyeux fêtard de la société que fréquentait Marguerite qui, selon le Comte, » perdait vingt-cinq louis [et] criait pour mille écus », et Armand rompt avec Marguerite car, il n’est pas « millionnaire », dit-il. Autrement dit, Dumas insiste, et cela est vrai de l’ensemble du drame, sur l’omniprésence de l’argent, sur le fait qu’il préside à toutes relations humaines ; dans ce contexte, l’amour des deux jeunes gens parait d’un autre âge, il se heurte déjà à une puissance vénale dont on pressent qu’elle triomphera in fine. Marguerite a d’ailleurs une claire conscience de ce qui l’attend : alors qu’elle apprend qu’Armand cherche à la voir après lui avoir signifié leur rupture par un billet, elle dit ceci : « Ce garçon-là me rendra malheureuse. » (p. 110). La question que Dumas pose en filigrane est la suivante : « peut-on croire à un amour vrai et désintéresse dans une société dont la seule valeur est pécuniaire ? » Pour le reste de l’opéra, disions-nous, le librettiste reste très fidèle à l’oeuvre théâtrale. Bien entendu, il faut réduire le texte, c’est un impératif absolu : on prend beaucoup plus de temps à chanter un texte qu’on ne prendrait à le dire. Il faut aussi que Verdi et son librettiste se conforment autant que faire se peut aux traditions et codes de l’opéra de son temps.

Ainsi, tout opéra au XIXe siècle et en particulier ceux que l’on appelle grands opéras à la française (ce que La Traviata n’est pas, mais on peut supposer que Verdi voulait ménager par avance le gout du public français) comporte une séquence de ballet ; si l’introduction de cet intermède danse est relativement facile à insérer dans un grand opéra historique ou féerique, il est beaucoup plus délicat de le faire dans une trame dramatique fort proche de l’univers contemporain. Comment imaginer que des personnages qui trouvent leurs modèles dans les spectateurs eux-mêmes, se mettent soudain à danser, sans que la vraisemblance soit trop violemment chahutée ? La seule solution est d’imaginer que la danse trouve sa place au nom d’un divertissement que peut s’autoriser une réunion mondaine, c’est ce que fait Verdi au deuxième acte de son opéra. Nous sommes chez Flora, qui, dès le lever du rideau, prévient que « [n]ous aurons une nuit égayée par des masques », ce qui autorise Verdi à faire entrer en scène quelques minutes plus tard un choeur de gitanes puis « d’autres amis en Matadors et en Picadors espagnols ». Il faut bien avouer que cette intrusion, qui se veut pittoresque, est peu convaincante ; le musicien lui-même, ne semble pas très inspire en composant une musique bien plus convenue qua d’autres moments de l’acte. Les metteurs en scène, par conséquent, se trouvent eux aussi fort embarrasses par ce moment et l’artifice qu’il suppose ; bien souvent, ils estompent la part « folklorique » du ballet pour mieux l’intégrer au groupe social concerne par le drame, c’est le cas de la mise en scène de Jean-François Sivadier.

Une autre convention veut que librettiste et compositeur veillent à l’équilibre des interventions des solistes qui sont les personnages principaux de l’opéra. Le schéma, en la matière, et Verdi s’y conforme encore dans la plupart de ses compositions, consiste à organiser la partition autour de quatre rôles principaux : un soprano qui est la jeune première, un ténor qui est le jeune premier, un mezzo-soprano qui est une femme plus âgée ou une rivale du soprano, un baryton qui est un père ou un rival du ténor. Les deux voix les plus basses, mezzo et baryton, ayant la plupart du temps le rôle d’opposants à l’union des deux voix les plus aigües (la soprano et le ténor). Pour La Traviata, les rôles des deux amants sont dans la tessiture attendue: Alfredo est un ténor et Violetta un soprano. Chacun des deux personnages aura des airs et si le drame originel n’en prévoit pas, sous forme de monologues, il faudra en ajouter : ainsi le fameux et très attendu final du premier acte de l’opéra, grand air de Violetta avec quelques interventions d’Alfredo en coulisses (« È strano ! È strano ! ») n’existe pas dans le drame de Dumas. De même la scène et air qui ouvre le deuxième acte (« Lunge de lei »), et qui sont confiés à Alfredo n’ont aucun équivalent au début du troisième acte de La Dame aux camélias. Il s’agit pour Verdi d’écrire un air brillant pour son ténor qui n’en a pas eu encore – que des duos dans le premier acte – et en même temps de proposer ce que l’on appelle, en termes de théâtre, une contre-exposition, c’est-à-dire une scène qui donne les informations nécessaires à la compréhension du passage d’un acte a un autre et dont nous avons déjà parlé.

En ce qui concerne les rôles féminins, le choix de Verdi sera plus original ; il sacrifie le rôle traditionnel du mezzo-soprano. Certes la tessiture de Flora, l’amie de Violetta est bien celle-là, mais Flora n’a pas d’air, ni de duos : rien de comparable avec les autres rôles de mezzos des autres opéras de Verdi comme la Princesse d’Eboli dans Don Carlos, Azucena dans Le Trouvère ou plus tard le si beau rôle d’Amneris dans Aïda. La conséquence immédiate est que le rôle de Violetta est écrasant. Elle est présente dans la totalité des premier et troisième actes, et quasi l’intégralité des deux tableaux du deuxième. Ajoutons à cela que Verdi exige de sa cantatrice d’avoir « plusieurs voix », à la fois « rossignol et […] tragédienne » comme l’écrit André Tubeuf, c’est-à-dire capable des vocalises périlleuses du soprano colorature à l’acte premier et capable des accents profonds du grand soprano dramatique au dernier, une voix introuvable diront certains, ce qui fait que rares sont les cantatrices à être pleinement dans le personnage d’un bout à l’autre de l’ouvrage. En opérant ce choix sélectif, Verdi reste encore fidèle à Dumas qui n’entoure sa Marguerite que de faire-valoir féminins, ses amies Nichette ou Prudence.

Pour ce qui est du personnage de Germont père, le passage du drame au livret d’opéra puis à l’opéra lui-même est fort intéressant à observer. C’est pour Verdi l’occasion parfaite de composer un grand rôle de baryton, tâche dont il s’acquitte avec brio généralement, à tel point que les rôles écrits par lui pour cette tessiture ont pris le nom de baryton - Verdi, en raison des qualités particulières dont il faut disposer pour les interpréter, en particulier une voix de couleur assez sombre mais capable d’aigus faciles. Le rôle de Germont est de ceux-là. Mais le drame de Dumas ne concédait qu’une scène unique au père du héros, Georges Duval, scène 4 de l’acte III, scène longue et capitale, celle où ledit père demande à Marguerite de renoncer à Armand pour faire le bonheur de sa fille. Il était difficile pour Verdi de ne confier à un chanteur de renommée – il en fallait un – qu’un rôle strictement ponctuel. Il fallait donc étoffer la présence du personnage. Ainsi la fin du premier tableau de l’acte II de l’opéra se trouve prolongée par rapport à la fin de l’acte III du drame et on peut le regretter sur un plan dramatique. En effet, chez Dumas, Armand reçoit la lettre de Marguerite qui lui dit, - on le saura plus tard – « Armand oubliez-moi, je suis la maitresse d’un autre » et n’a que le temps de crier sa douleur en sanglotant dans les bras de son père qui revient à ce moment : « Ah ! mon père ! mon père ! » (p. 146) et le rideau tombe. L’effet est brutal, mais extrêmement frappant et dramatique ; Dumas avait raison, tout était dit et tout prolongement risquait d’affadir le moment. Et cependant, c’est le choix dangereux que fait Verdi : il compose un air pour Germont (« Di Provenza il mar, il suol »), cheval de bataille de tous les grands barytons verdiens dont la noblesse et la beauté sont incontestables, mais dont la valeur dramatique, elle, l’est beaucoup moins. L’air ralentit l’action, introduit une pause qui embarrasse tous les metteurs en scène : comment imaginer qu’Alfredo, au comble de sa souffrance, se taise si longtemps, ne parte pas, n’interrompe pas ce qui doit lui être insupportable ? Certes, l’opéra est un art de conventions, mais elles ont aussi leurs limites. Non content d’écrire cet air, Verdi ajoute un échange, un bref duo entre père et fils strictement inutile. Au-delà même de ce final de premier tableau du deuxième acte, Verdi fera revenir, contre toute vraisemblance, Germont dans la fête de Flora pour prendre la défense de Violetta offensée par son fils et encore aux tous derniers moments de l’opéra pour déplorer avec son fils la mort de Violetta. En conséquence de quoi, le rôle de Germont est dans l’opéra un rôle de tout premier plan, toujours tenu par des chanteurs de grand talent et qui généralement remportent de beaux succès. Notons encore que ce n’est peut-être pas seulement le besoin de donner plus de musique au baryton qui pousse Verdi à allonger le rôle, mais aussi le besoin, non plus seulement musical, de mettre en relief, de fouiller un personnage de père ; en effet, ce type de personnage inspire tout particulièrement le compositeur italien (Rigoletto, Philippe II, etc.).

En revanche, on est frappé par la fidélité extrême, quasi mot à mot, du livret par rapport au drame, à d’autres moments. L’exemple le plus frappant est celui de la grande scène entre Duval père/Germont père et Marguerite/Violetta. Il serait possible de mener une étude, en plaçant côte à côte les deux textes : cette confrontation conduirait à constater à quel point tout est scrupuleusement repris. Le plan des deux scènes est rigoureusement le même, les arguments identiques, les jeux de scène totalement repris. Ceci prouve à quel point le sens théâtral de Verdi et de Piave était sur : ils savaient prendre le risque d’une scène fort longue entre deux personnages dans un opéra relativement court, sachant à quel point elle était riche de sens et d’émotions. Paradoxalement, cette longue scène ne comporte aucune longueur ; au contraire, tout est nécessaire, la moindre parole, le moindre silence, la moindre inflexion de voix. Et bien entendu, c’est dans ces moments-là que Verdi est le mieux inspire musicalement, moments ou la musique « sculpte » vraiment l’émotion comme il en formait le souhait.

En s’inspirant de La Dame aux camélias, Verdi allait composer un de ses opéras parmi les plus réussis. Le drame de Dumas, nous l’avons dit, mettait l’accent sur un problème d’époque : la relation entre l’amour et l’argent. Il s’agissait d’un drame qui se voulait réaliste. À partir de la même intrigue, Verdi estompe cette obsession de l’argent pour développer une idée qui lui est chère, celle de la rédemption par l’amour et ce faisant, écrit un grand opéra romantique. Piave et Verdi, avec La Traviata, font la preuve, comme pour l’ensemble de leur collaboration, que l’opéra est avant tout du théâtre. En 1893, lors d’une représentation de Falstaff à Rome, une commission de musiciens vient rendre hommage « au plus grand musicien de leur pays », Verdi les interrompt et rectifie : « Non, non laissez tomber le grand musicien. Je suis homme de théâtre. »


[1] Alexandre Dumas fils, « A propos de la Dame aux camelias » in Theatre complet, tome 1, Calmann‐Levy, sans date, p.9-10.
[2] Ibidem, p.50.

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