Présentation
Distribution
Il Barbiere di Siviglia
Le Barbier de Séville
Commedia en deux actes
Créée au Teatro Argentina de Rome, le 20 février 1816
LIVRET Cesare Sterbini, d’après la pièce de Beaumarchais
MUSIQUE Gioachino Rossini
ORCHESTRE DIJON BOURGOGNE
CHŒUR DE L’OPÉRA DE DIJON
DIRECTION MUSICALE Antonino Fogliani
MISE EN SCÈNE Jean-François Sivadier
SCÉNOGRAPHIE Alexandre de Dardel
COSTUMES Virginie Gervaise
LUMIÈRES Philippe Berthomé
TRAVAIL DU MOUVEMENT Johanne Saunier
CRÉATION MAQUILLAGE Cécile Kretschmar
COLLABORATION ARTISTIQUE | ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Véronique Timsit
ASSISTANAT À LA SCÉNOGRAPHIE Charles Vitez
CHEF DE CHŒUR | PIANOFORTE Emmanuel Olivier
CHEF DE CHANT Maurizio Prosperi
COACH DE LANGUE Marco Canepa
LE COMTE ALMAVIVA Taylor Stayton
ROSINA Eduarda Melo
LE DOCTEUR BARTOLO Tiziano Bracci
FIGARO Armando Noguera
BASILIO Deyan Vatchkov
FIORELLO Philippe Spiegel
BERTA Jennifer Rhys-Davies
UN OFFICIER Zakaria El Bahri
UN NOTAIRE Richard Golian
AMBROGIO Luc-Emmanuel Betton
RÉALISATION DES DÉCORS Espace et Cie
RÉALISATION DES COSTUMES Opéra de Lille
COPRODUCTION Opéra de Lille, Opéra de Dijon, Théâtre de Caen, Opéra-Théâtre de Limoges, Opéra de Reims
PRODUCTION DÉLÉGUÉE Opéra de Lille
Synopsis
ACTE I
Recruté par Fiorello, un petit groupe d’hommes a rendez-vous avec le Comte Almaviva. Ils doivent l’accompagner dans la sérénade qu’il veut donner à la jeune Rosine, pupille du docteur Bartolo. Le Comte Almaviva paraît mais Rosine ne se montre pas. Les hommes partent, non sans avoir extorqué encore plus d’argent au Comte. Survient alors Figaro, ancien domestique du Comte, présentement barbier chez Bartolo. Apparaissant soudain au balcon, Rosine laisse adroitement tomber un billet dans lequel elle invite le Comte à se présenter. Ce qu’il fait en improvisant les paroles d’une nouvelle sérénade dans laquelle il dit s’appeler Lindor, être pauvre, et très amoureux. Bartolo sort alors de la maison annonçant son intention d’épouser sa pupille. Le Comte demande à Figaro le moyen d’approcher Rosine. Rendu imaginatif par la promesse d’une bourse bien remplie, Figaro conseille au Comte de se déguiser en officier et de se présenter avec un billet de logement à la porte de la maison du docteur. Pour mieux égarer le méfiant Bartolo, Figaro suggère au Comte d’avoir l’air complètement saoul. Dans sa maison, Rosine dicte à la gouvernante Berta une lettre où éclatent son amour pour Lindor et sa volonté de se libérer de la tutelle de Bartolo. Figaro les rejoint, mais à l’arrivée du docteur, il se cache et assiste à sa conversation avec Basile, maître de musique de Rosine. Basile avertit Bartolo de la présence en ville du séduisant Comte Almaviva et du danger que représente un tel rival. Il propose de calomnier le Comte afin de le discréditer aux yeux de tous. Mais Bartolo préfère hâter son mariage avec Rosine. Figaro s’empresse de la prévenir tout en la rassurant sur la sincérité des sentiments de Lindor. Rosine remet à Figaro la lettre qu’elle lui destinait. Bartolo s’enquiert de ce que voulait Figaro, en vain. Exaspéré par les mensonges de Rosine, il décide de ne plus la laisser sortir de la maison. On frappe à la porte d’entrée. Almaviva, déguisé en soldat, fait une entrée fracassante dans la maison. Il réclame un logement mais Bartolo brandit le document qui le dispense de ce devoir et provoque la colère du faux soldat aviné. S’ensuit une pagaille au cours de laquelle Almaviva réussit à donner un billet à Rosine. Alerté par les cris, Figaro survient, bientôt suivi par la Garde qui veut mettre le soldat fauteur de troubles aux arrêts. Mais le Comte dévoile discrètement son identité à l’officier en chef. L’arrestation n’a pas lieu. Tout le monde est frappé de stupeur.
ACTE II
Figaro et le Comte Almaviva trouvent un nouveau moyen de s’introduire dans la maison de Bartolo. Le Comte se fait passer pour Alonso, élève de Basile remplaçant son maître souffrant pour la leçon de musique de Rosine. Bartolo reste méfiant. Pour gagner la confiance du docteur, Almaviva montre le billet qu’il a reçu de Rosine en prétendant l’avoir obtenu par hasard et suggère de s’en servir pour calomnier Lindor auprès de la jeune femme. Bartolo, reconnaissant les procédés de Basile, fait bon accueil à l’imposteur. Bartolo va chercher Rosine et décide d’assister à la leçon. La musique l’endort, les amoureux en profitent pour se déclarer leur amour. Entre Figaro venu raser le docteur. Il réussit à subtiliser à Bartolo la clé de la porte du balcon afin de revenir enlever Rosine dans la nuit. À la grande surprise de Bartolo, Basile se présente aussi pour donner sa leçon. Mais Almaviva et Figaro unissent leurs efforts et chassent l’importun : la promesse discrète d’une bourse bien remplie convainc Basile qu’il est très malade et doit partir au plus vite. Alors qu’il est en train de se faire raser par Figaro, Bartolo surprend le dialogue des deux amoureux. Il entre dans une rage folle, chasse tout le monde et fait revenir Basile. Il l’envoie chercher le notaire afin de conclure les noces au plus vite. Grâce au billet remis par Alonso, Bartolo convainc Rosine de la duplicité de Figaro et de Lindor. Effondrée, celle-ci consent à épouser son tuteur sur le champ et lui révèle le plan d’enlèvement. Le docteur part chercher la Garde pour se prémunir du mauvais coup. Le Comte et Figaro s’introduisent dans la maison. Rosine repousse Lindor, mais l’amoureux dévoile enfin son identité et déjoue le malentendu. Surviennent alors Basile et le notaire avec un contrat de mariage que s’empressent de signer Rosine et Almaviva. Quand Bartolo arrive avec la Garde pour faire arrêter le Comte, il ne peut que constater l’inutilité de ses précautions.
Note d’intention
Jean-François Sivadier, metteur en scène
Dans chacune des ouvertures des opéras de Rossini, quelque chose semble trépigner d’impatience, entre la retenue et l’éclat, le suspense et l’urgence, l’apnée et la tempête. Quelque chose d’irrésistible qui convoque immédiatement chez les artistes et les spectateurs une excitation particulière, où l’on entend, derrière chaque note, jubiler un compositeur qui fait, à chaque fois, de sa musique l’instrument d’un enchantement immédiat et de la scène, le lieu d’un festin composé pour le seul plaisir de la dégustation, et dont tout le monde sortira ivre et rassasié.
Il n’est pas étonnant que ce rêve d’un art qui placerait le plaisir au-dessus de tout, ait reconnu, dans la figure emblématique du théâtre de Beaumarchais, l’ambassadeur idéal. Quand Figaro, autoportrait à peine masqué du compositeur entre en scène avec un air d’anthologie qui résonne comme un manifeste, on dirait que c’est Rossini lui-même qui jubile à la face du monde : « Ha che bella vita ! Che vita ! Oh che mestiere ! Orsu presto a bottega... » (Ha quelle belle vie ! Quelle vie ! Oh quel métier ! Allons vite au travail...)
Une nuit, à Séville, une bande de types, plus ou moins louches, accompagnent le Comte Almaviva, jeune Dom Juan légèrement illuminé, qui vient chanter une sérénade sous le balcon d’une jeune fille séquestrée dans une prison dorée, par un vieux docteur qui veut en faire sa femme. Il est interrompu par l’explosion de joie anarchique et quasi furieuse d’une espèce d’énergumène, d’une vitalité hors normes, attaché à rien d’autre que sa liberté. Figaro, rien dans les mains, rien dans les poches, annonce la couleur d’un message sans équivoque : « Énormément et encore plus et au-delà du trop, il y a encore de la marge ». Figaro c’est l’assurance que nous allons sortir du cadre, voire l’exploser complètement. Le comte a de l’argent mais pas d’imagination, Figaro a les poches vides mais la tête pleine. Le coup de main du valet au maître ressemble à un défi : pour avoir cette femme, il ne suffit pas de chantonner dans un clair de lune romantique. Il faut changer de costume, s’inventer un personnage, prendre le risque du ridicule et mouiller sa chemise, bref, apprendre à jouer la comédie. L’épreuve qui attend Almaviva c’est celle du théâtre même. Et quand c’est Figaro qui fait la mise en scène, le plus court chemin d’un point à un autre n’est jamais la ligne droite.
À l’instar du factotum della città, qui brûle d’être indispensable au monde entier, tout, dans Le Barbier de Séville est affaire de fantasmes et d’aspiration. Le Comte désire Rosine parce qu’elle est interdite, Rosine désire son bel inconnu parce qu’il est libre, Bartolo prend ses désirs d’être aimé pour des réalités. Et dans ce climat électrique, tous ces désirs contraires sont la porte ouverte aux courts-circuits.
Dans la maison du docteur, transformée par Figaro en hôpital à force de lancettes, de sternutatoires et d’opium, entre les vocalises exaltées de Rosine, le cabotinage du Comte pris par l’ivresse du jeu, les crescendos volcaniques de Basile qui se prend pour Méphisto, l’apathie du serviteur qui ne s’exprime qu’en baillant, la jalousie de Bartolo exacerbée par sa paranoïa, l’alcool, le tabac, l’argent, les lettres, les quiproquos, la folie est contagieuse et contamine tout le monde dans une joyeuse hystérie collective, jusqu’à la transe hallucinée de la fin du premier acte.
Mais au-delà du trop, il y a encore de la marge : Almaviva change de costume et tout recommence, au deuxième acte, comme au début, avec variantes, jusqu’à ce que le ciel leur tombe sur la tête dans un orage qui dessoûle tout le monde comme une douche froide. Comme toujours, la vérité sort de la bouche des serviteurs. Le verdict de la gouvernante est sans appel : « C ’est une maison de fous, ils sont tous fous à lier et la cause de ce délire c’est l’amour ! »
Au terme de ce petit voyage initiatique au pays des fous, Almaviva révèlera enfin son identité et Bartolo comprendra que son coeur, entraîné vers Rosine, ne se trompait que de motif et qu’il désirait moins le corps de cette femme que son bonheur. Peu importe qu’elle se trouve dans les bras d’un autre (surtout si c’est lui qui paie la dot et qu’elle devient Comtesse).
Dans Le Barbier, la règle du jeu se résume à « plus c’est énorme, mieux ça passe et pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! ». Surtout quand chaque complication est le motif d’une excitation supplémentaire. Il faut marier les deux amants mais pas trop tôt ni trop vite. Il s’agit moins de réussir que de tirer de l’expérience le maximum de plaisir, quitte à ce que ça prenne deux fois plus de temps. Et mieux vaut toujours agir avant de réfléchir. La raison est inutile là où la folie est la norme.
Car, dans ses comédies, l’endroit où veut nous amener Rossini se trouve toujours au-delà de la raison. Là où il peut mettre en scène et en musique le visage et la voix de celui qui ne s’appartient plus. Là où les personnages, en boucle sur le thème « qu’est-ce qui m’arrive ? Je ne comprends plus rien », ne reconnaissent plus le monde qui les entoure, proprement hallucinés par la folie qui les fait chanter comme ça, pour rien et jusqu’à l’épuisement.
C’est cela Rossini : pour rien, pour le plaisir, mais jusqu’à l’épuisement. On chante et puis on chante plus vite et puis, dans le même nombre de mesures, on essaie de placer deux fois plus de mots pour construire, jusqu’à l’extase, des airs et des ensembles comme des échafaudages qui monteraient toujours plus haut.
Comme un défi aux lois de la pesanteur et au corps du chanteur, entre le sursaut et l’accélération, l’envol et le suspens, le hoquet, les cris, les vocalises, les onomatopées, Rossini s’acharne à épuiser son monde, jusqu’à ce que la tête explose et le corps dérape. Comme si la vraie nature de chaque personnage ne se révélait que dans sa capacité à dépasser les bornes, et la grâce des chanteurs dans l’état de ravissement où les plonge l’ivresse du chant.
Comme la naissance même de la comédie musicale, avec aucun autre message que celui d’une injonction à la joie de se sentir vivant, entre Feydeau et les Marx Brothers, Chaplin et Fred Astaire, comme une suite de numéros de cirque ou de cabaret élargie à la dimension d’un opéra, l’univers du Barbier trouve son centre de gravité dans l’apesanteur. Une force qui fait décoller du sol, un tourbillon ascendant qui offre aux chanteurs, dans un terrain de jeu sans limites, l’aventure d’une gigantesque improvisation dans laquelle ils trouveront, à chaque instant, l’occasion de larguer les amarres et la joie d’incarner la bêtise magnifique d’une bande de clowns poétiques, toujours un peu dépassés et merveilleusement accordés pour emballer la machine.
L’opéra bouffe selon Rossini semble porter en lui le rêve secret et fou d’un théâtre un peu effrayant : celui de la jouissance pure. Du divertissement pur. Comme on dirait un diamant pur. Délivré de tout référent et de toute nécessité mais immédiatement éblouissant dans sa forme et qui ferait de l’espace de la représentation, le lieu possible d’une extase partagée. Faire rire c’est, sans le toucher, atteindre le corps de l’autre et lui redonner une seconde son enfance. C’est tout cela qui résonne, à chaque fois, dans le seul nom de Rossini, le « cygne de Pesaro ». La promesse d’un monde où, chaque seconde, tout chante et tout s’enchante. La promesse d’une fête délirante, à la fois vaine et essentielle, l’obstination salutaire à l’insouciance et à la joie d’un compositeur que l’on dirait, dans sa musique, obsédé, jusqu’à la panique, par l’urgence de vivre.