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Madama Butterfly PUCCINI Opéra

Du 24 septembre au 2 octobre 2010

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Présentation

Affiche Madama Butterfly

Distribution

Madama Butterfly
Madame Butterfly
Tragedia giapponese en trois actes 
Créée au Teatro alla Scala de Milan, le 17 février 1904

LIVRET Luigi Illica et Giuseppe Giacosa
MUSIQUE Giacomo Puccini

ORCHESTRE DIJON-BOURGOGNE
CHŒUR DE L’OPÉRA DE DIJON

DIRECTION MUSICALE Pascal Verrot
MISE EN SCÈNE Jean-François Sivadier

ASSISTANTE À LA MISE EN SCÈNE Anne de Queiroz
COLLABORATRICE ARTISTIQUE Véronique Timsit
CHEF DE CHANT Emmanuel Olivier
CHEF DE CHŒUR Jacques Maresch
DÉCORS ET COSTUMES Virginie Gervaise
LUMIÈRES Philippe Berthomé
MAQUILLAGES ET PERRUQUES Cécile Kretschmar

CIO-CIO SAN Tatiana Monogarova
PINKERTON Giancarlo Monsalve
SUZUKI Liliana Mattei
SHARPLESS Armando Noguera
GORO François Piolino
YAMADORI, LE COMMISSAIRE IMPÉRIAL Simon Jaunin 
LE BONZE Jean-Marc Salzmann
LE SERVITEUR Rachid Zanouda
KATE Antonine Bon
L’ONCLE Zakaria El Bahri
L’OFFICIER D’ÉTAT CIVIL Éric Pezon
LA MÈRE Michèle Dumont
LA COUSINE Corinne Bigeard
LA ZIA Véronique Rouge

PRODUCTION DÉLÉGUÉE : Opéra de Lille
COPRODUCTION : Opéra de Lille, Opéra National de Lorraine, Angers-Nantes Opéra

ACTE I

Pinkerton, officier de marine américain en escale à Nagasaki, repoussant les avertissements du consul Sharpless, épouse Cio-Cio-San, dite Butterfly (papillon), une geisha de quinze ans, que son oncle, le Bonze, renie. Les deux nouveaux « époux » s’abandonnent à leur amour.

ACTE II

Trois ans ont passé, et Cio-Cio-San attend vainement le retour de celui qu’elle croit être son mari, rêvant de l’arrivée de son navire. Elle repousse les avances du prince Yamadori, car elle a eu un enfant de Pinkerton, qu’elle n’a pu avertir. Sharpless, sachant que Pinkerton s’est entre-temps marié aux États-Unis, tente de la raisonner, mais Butterfly préférerait la mort à toute autre solution. Le canon de la rade annonce l’arrivée du navire. Cio-Cio-San et sa servante Suzuki ornent la demeure. Elles attendent en vain, la nuit durant.

ACTE III

À l’aube, Cio-Cio-San se retire. Pinkerton se présente, ému de revoir le nid de ses amours fugitives. Il réclame à Suzuki son enfant, que sa femme américaine est prête à élever. A Sharpless, Cio-Cio-San répond qu’elle ne remettra l’enfant à son père qu’elle-même. Elle dit adieu à son fils et se fait hara-kiri avant le retour de Pinkerton.

Jean-François Sivadier, metteur en scène

Ma première rencontre avec Puccini a été l’écoute (subjuguée) de l’intermezzo qui précède l’acte trois de Manon Lescaut. Puis de l’opéra en entier puis de tous les opéras. Ce qui m’a fasciné est ce qui alimente le plus les critiques de ses détracteurs : cette quête obsessionnelle de l’émotion. Avec un sens inouï du théâtre (l’acte deux de Tosca, la lecture de la lettre dans Butterfly sont des modèles de tension dramatique), Puccini invente pour chaque oeuvre un scénario construit sur un suspense grandissant, où l’action ne se repose jamais, où rien ne vient distraire les personnages du chemin qui les mène à leur perte, mais surtout où l’on est sûr de bien souffrir.

Mettre en scène Puccini serait d’abord accepter cela. Cette obsession d’émouvoir. De jouer avec les nerfs du spectateur, de le toucher au coeur. Accepter cela sans complaisance mais sans mépris. Découvrir la réelle puissance que peut offrir au théâtre, la « science de l’émotion » que la partition est en train d’inventer et dont l’outil essentiel est toujours la voix de la chanteuse. Car Puccini ne raconte pas des histoires mais des femmes. Toutes les mêmes avec variantes. L’agonie de Mimi résonne dans celle de Manon et le suicide de Tosca dans celui de Butterfly. La fable plus ou moins réaliste (la jeune geisha effarouchée, qui pour avoir été séduite puis abandonnée par un méchant américain cynique se plante une lame dans le ventre sous les yeux de son fils), est une fois de plus un prétexte à mettre en musique l’amour absolu, l’angoisse de la mort et le sens du sacrifice.

Comme toutes les héroïnes de Puccini, Butterfly n’est pas un personnage ordinaire elle est la raison même d’écrire du compositeur. Et c’est très lourd à porter. Le chant la libère et l’épuise dans le même temps. Plus elle souffre plus il écrit. Et le public est là pour pleurer avec elle. Tout le monde sait que Butterfly va mourir. Tout le monde voit le mur vers lequel elle fonce avec une foi irrationnelle, au-delà de toute motivation psychologique. Il n’y a que Pinkerton qui ne sait pas. Pinkerton n’est pas un vieux cynique mais un jeune Dom Juan inconscient qui vient planter le drapeau américain dans le coeur d’une geisha quelconque, en jouir et s’en débarrasser. Il se croit dans une comédie, il se retrouve dans une tragédie grecque devant la petite soeur d’Electre et de Médée et Puccini l’éloigne le plus tôt possible pour avoir le temps d’écrire les plus belles pages de la partition sur le thème majeur de l’opéra, le comble de la tension dramatique : l’attente de Butterfly.

L’opéra commence véritablement lorsqu’il n’y a plus rien d’autre à faire qu’attendre.

Butterfly attend et, dans un inquiétant mouvement masochiste, elle écarte d’elle tout ce qui pourrait mettre fin à cette attente. Elle se tuera quand elle n’attendra plus. Puccini épure son récit au maximum pour le rendre intemporel.

Autant que le lieu où il se déroule : perdu dans les hauteurs, extérieur et intérieur, ouvert et clos, un lieu où rien n’est repérable et où Pinkerton ne laissera aucune trace, une île, un radeau dérivant où Butterfly continuerait tant bien que mal à se construire des illusions fragiles comme les voiles d’un bateau ou les toiles peintes d’un théâtre, l’autel du sacrifice, le tombeau idéal. Notre espace pourra subir les transformations induites par les coups de théâtre qui ponctuent la fable et qui en détruisent la linéarité : la malédiction du Bonze, l’apparition de l’enfant, la destruction du jardin...

Comme Rome pour Tosca ou Paris pour La Bohème, la couleur japonaise dans Madame Butterfly n’est pas une fin en soi mais un masque et un révélateur. Il n’y a pas de choc des cultures. Il y a seulement deux façons d’aimer : Pinkerton désire et Butterfly est possédée. Ce n’est pas les lois du japon qu’il découvre mais la loi de l’amour selon Puccini : les hommes sont amoureux mais les femmes se consument sur place.

Butterfly n’est pas naïve mais mystérieusement déterminée. Personne ne peut vraiment croire à son aveuglement. Le vrai sujet de l’oeuvre réside dans le mystère de cette détermination à refuser le monde, à renier sa famille et sa religion, à détruire tout ce qui n’est pas l’homme qu’elle aime, à être sourde aux avertissements, à faire des victimes autour d’elle, à abandonner son enfant, à jouir de tout ce qui fait mal.

Notre premier travail sera donc d’oublier ce que l’on croit savoir. Nous tenterons d’observer Butterfly comme on observe un phénomène. Nous tenterons de profiter du cadeau que le compositeur offre à la comédienne, du défi qu’il lance à la chanteuse et de mettre à l’épreuve, avec bienveillance, l’obstination de Puccini à fendre le coeur de celui qui l’écoute.

Entretiens

Commençons par régler la question du Japon : on a dit de cette mise en scène que c’était une Butterfly sans Japon, même si le Japon y est malgré tout présent, de façon sous-jacente, à travers les costumes notamment. Pourquoi avoir évacué tout cet aspect folklorique dans votre mise en scène ?

Lorsqu’on aborde un opéra comme celui-là, avec un univers stéréotypé qui lui colle à la peau, c’est d’abord une façon d’enlever les clichés qui le rendent à force totalement illisible et surtout étouffent la musique. On s’aperçoit très vite que dans sa partition, Puccini ne fait pas de la musique japonaise, mais joue au contraire en permanence avec elle. Ce sont des japonais et des américains qui chantent en italien, sur une musique qui est complètement italienne ! Cette distance qu’introduit la musique est extrêmement intéressante théâtralement si on accepte de jouer ce jeu, c’est-à-dire de s’approcher ou de s’éloigner de ces éléments « japonais ». Jouer avec tous les éléments qui sont à notre disposition, avant même d’avoir une «lecture» de l’oeuvre, c’est déjà faire du théâtre.

Ne conserver du Japon que l’essence de sa culture, à travers la coupe de certains costumes qui évoquent l’intériorité, la sobriété et l’aspect extrêmement codifié de la culture japonaise, m’a semblé complètement réaliser ce « choc des mondes », cet exotisme, au sens étymologique, qui est à la base de la tragédie de Butterfly (et qui est aussi celui de toute passion), sans pour autant les situer précisément dans un temps et un espace donnés. De même tous ces gestes que Butterfly et les « japonais » apprennent à Pinkerton et Sharpless…

Et qui sont tous inventés ! Tout est faux ! Reconstituer le Japon, ou l’Amérique, sur une scène de théâtre n’a aucun sens : on peut faire une image sublime qui s’épuisera au bout de quelques minutes. En revanche, on peut imaginer deux façons pour Butterfly et Pinkerton d’envisager leur présence sur le plateau, leur « prise de pouvoir » sur l’espace scénique. Et ça, c’est écrit dans la musique. Si on compare l’entrée de Pinkerton et celle de Butterfly, il y a un contraste énorme dans la musique même. Elle arrive musicalement d’une autre manière que lui, la mise en scène ne fait que traduire cela sur le plateau, je n’invente rien. Mais au départ, il est important d’enlever tout ce qui empêcherait d’entendre cette musique comme pour la première fois. Lorsque Puccini écrit dans les didascalies : « La baie de Nagasaki », il sait très bien que c’est totalement irréalisable sur un plateau de théâtre. Faire un tableau ou une carte postale n’apportera aucune énergie sur le plateau, et les spectateurs, qui peuvent être d’abord impressionnés, s’ennuieront très vite… Dans ce type de décors très réalistes, et totalement artificiels car entièrement recomposés, les corps n’ont aucune chance d’exister… et encore moins la musique. Et on s’ennuie ! De là vient cette idée dans l’imaginaire collectif qu’à l’opéra, on s’ennuie raisonnablement entre deux grands moments d’émotion. Un grand décorateur comme Peduzzi par exemple a toujours cherché à recréer du vide sur le plateau, c’est-à-dire à remettre les chanteurs au centre, pour qu’ils puissent réinventer les choses. Les spectateurs doivent sentir que les chanteurs jouent sur le plateau comme des enfants dans un grenier ou une cour de récré : ils font des trucs faux, mais parce qu’ils le font très bien, c’est beaucoup plus fort que le réel. Les spectateurs viennent d’abord jouer à Butterfly avec les comédiens et les chanteurs, dès qu’ils ne jouent plus, ils s’ennuient, comme nous.

Justement : comment abordez-vous le travail avec les chanteurs ? Est-ce plus difficile qu’avec des comédiens ?

Non. Parce que les chanteurs font autre chose ! Les comédiens, comme je le suis moi-même, passent des mois à se construire des barrières faites de questions inutiles, qu’ils vont ensuite s’efforcer de faire tomber pendant les répétitions. Les chanteurs n’ont pas ces questions-là, lorsqu’ils arrivent, ils savent l’oeuvre comme il vont la faire le jour de la première. Les questions qu’ils se posent sont toutes autres : à quelle sauce ils vont être mangés par le metteur en scène, qu’est-ce qui dans la mise en scène peut les empêcher de chanter comme ils veulent, qu’est-ce qui va les mettre en valeur, est-ce qu’ils vont être heureux ou pas, etc. Les chanteurs, par leur chant même, peuvent être des comédiens exceptionnels, de la même façon que les danseurs, en dansant, peuvent être de bien meilleurs comédiens que lorsqu’on leur demande de jouer, de dire un texte par exemple. Moins ils se posent des questions de comédiens, meilleurs ils sont. C’est le chant qui les fait jouer. C’est eux, leur personne, qui intéresse le metteur en scène, plus que leur personnage. Parce qu’ils chantent réellement, ils peuvent plus facilement donner l’impression que tout ce qu’ils font, ils le font réellement. Ils oublient alors qu’ils jouent, et jouent d’autant mieux. Au début de Butterfly, par exemple, dans la scène entre Pinkerton et Sharpless, ce qui compte c’est les deux points de vue différents des deux personnes, qui sont pourtant réunies par la même musique et prennent plaisir à chanter ensemble : la scène est déjà là. C’est l’essentiel du théâtre. Quelqu’un qui entre et qui raconte une histoire. Je m’aperçois peu à peu que tous mes spectacles commencent sur l’avant-scène et que les personnages pénètrent progressivement dans la profondeur du plateau. Comme quand on entre dans un livre : on est d’abord sur le seuil, puis on entre petit à petit jusqu’à oublier à un moment donné qu’on est entré et par où. Vitez disait que la première situation au théâtre, c’est quelqu’un qui entre devant un public.

C’est ce qui m’a frappé : ce moment, par exemple, où Pinkerton et Sharpless, sur l’hymne américain, interpellent par geste le chef. C’est quelque chose qui suscite une distance ironique, qui révèle en les cassant les codes de la représentation théâtrale (les personnages ne sont pas censés voir le chef !) et pourtant qui permet justement d’entrer dans l’histoire et d’oublier ensuite qu’il y a représentation. Comme si vous veniez chercher le spectateur dans la salle pour l’entraîner dans l’histoire.

Oui. Je mets toujours les chanteurs au centre, en situation de risque, à découvert. Si on voit quelqu’un qui prend un risque, si on crée du manque sur un plateau, on appelle le spectateur à intervenir, à venir le combler, à ne pas être seulement dans la réception mais à s’engager émotionnellement. Puccini réussit à créer de la surprise tout au long de Butterfly, il faut aussi créer cette surprise en permanence, pour pousser le spectateur à intervenir, à s’investir. Des chanteurs, un plateau et un espace vide, c’est énormément de richesse. Il faut produire du réel sur le plateau, et c’est le contraire du réalisme. Il faut créer du vivant : si les spectateurs sont vivants, et ils le sont, alors il faut que ce qui se passe sur le plateau soit vivant : la manière dont Pinkerton, dans cette mise en scène, arrive sur scène par la salle, l’observe, la découvre, est la manière que nous pourrions tous avoir. Et c’est important que l’on voit Giancarlo, et non Pinkerton, plus on voit Giancarlo, plus on verra Pinkerton. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un rapport avec Pinkerton. C’est avec Giancarlo que j’ai un rapport.

En fait vous ne construisez pas de personnages ?

Mais non, mais c’est impossible de construire un personnage ! Pinkerton, on ne sait pas qui c’est, ça peut être n’importe qui d’entre nous.

Cela veut dire que toute votre mise en scène sort des chanteurs ?

Oui, mais je la prévois énormément. J’arrive avec quelque chose de très construit, je sais qu’à un moment donné, il fera tel geste, j’y pense longtemps à l’avance, c’est comme un peintre avec son tableau, il sait qu’il y aura une ligne bleue, mais lorsqu’il trace la première ligne, tout peut arriver, tout peut changer, la ligne bleue peut changer de sens. Une des premières images que j’ai eu en écoutant la musique, c’est toutes ces femmes allongées sur le plateau pendant la nuit.

Vous parlez de la musique, et j’ai envie de vous poser la question insoluble : pourquoi de la musique à l’opéra ? Qu’est-ce qu’elle apporte ?

Tout ! Par exemple dans Les Noces de Figaro, à mon avis, Mozart touche par moment plus à l’essence de ce que Beaumarchais a voulu dire que Beaumarchais lui-même. Dans la scène où le Comte demande pardon, par exemple, il touche avec deux notes à un endroit dont tu ne te remets jamais. Il y a des choses dans la musique de Butterfly qui touchent bien plus que l’histoire elle-même, à une profondeur inaccessible à la parole, qui font appel à des choses trop intimes.

On a l’impression, je pense au trio du troisième acte ou à l’air de Pinkerton, que vous acceptez une certaine convention de l’opéra, avec les chanteurs face au public, n’agissant pas, debout comme pour un récital, comme si on changeait de dimension.

Ce sont les moments les plus forts de l’opéra. C’est tellement évident que c’est au-delà de toute espèce de situation… Lorsque Pinkerton chante son air, il pourrait très bien être un whisky à la main en train de penser. Or, sur le plateau, tu ne penses à rien. Si tu veux créer de la pensée, il ne faut pas que tu aies d’arrière-pensée. C’est pour cela qu’il est en avant-scène, totalement en risque, et en risque réel pour un chanteur dans l’air que tout le monde attend. C’est là où l’humain se révèle, chez les chanteurs et chez les spectateurs.

Ce trio, j’ai l’impression que c’est à la fois le coeur de l’oeuvre et l’expression la plus intime des « personnages », tout geste serait superflu, il n’y a qu’à laisser les choses advenir et se tenir dans l’ouvert sans retrait.

Oui. La musique parle souvent d’elle-même. Lorsque Suzuki chante « Come una mosca prigioniera », on entend un élan dans la musique, c’est pour ça que je lui fais descendre le plateau, mais c’est un déplacement purement musical, elle pourrait rester sur place, il n’y a là aucune « intention psychologique du personnage ». Les corps sont pris par quelque chose qui les dépasse, qui est la musique. Je mets en scène la musique, comme une chorégraphie. Si on pense à la fable plus qu’à la musique, la situation devient trop intellectuelle.

Il y a aussi tout ce monde sur scène qui regarde les autres.

C’est très important : il y a le public qui regarde les chanteurs, mais il y a aussi dans chaque scène quelqu’un qui regarde les autres, comme un deuxième public qui double l’axe du théâtre : les chanteurs se regardent entre eux en train de faire ce qu’ils font, ce qui renforce la position du spectateur, qui est obligé d’agir encore plus. De voir quelqu’un sur le plateau qui a une position de spectateur, qui réagit à ce qui se passe, est en désaccord, fait qu’on a le choix ou pas de rentrer dans le spectacle. Si on n’avait pas Leporello dans Don Giovanni, on n’écouterai pas Don Juan, ce serait insupportable. Il faut toujours laisser le choix au spectateur de penser le contraire de ce que tu fais.

Est-ce que vous vous mettez à la place des « personnages », vous posez la question de pourquoi ils agissent et pourquoi de cette façon ?

Toujours. Et surtout, je me pose la question : à qui s’adressent-ils ? Pour Carmen, je me suis beaucoup posé cette question. A qui Carmen dit-elle la Habanera ? A qui peut-elle s’adresser ? Et comment faire pour qu’on découvre cette musique comme si on ne l’avait jamais entendue ? Et un jour je me suis dit : elle va le raconter à un petit garçon… Ça changeait tout, parce que forcément, ce petit garçon n’avait réellement jamais entendu cette musique ! Et de le voir l’entendre, c’était l’entendre par lui, avec la même découverte. J’essaie toujours de m’adresser, comme quand je suis allé à l’opéra pour la première fois, à des gens qui n’ont jamais mis les pieds à l’opéra, et qui vont y entrer progressivement, et devant qui on va essayer de ne pas avoir un métro d’avance : « Nous, Carmen, on sait ce que c’est et on va être original ». Je n’essaie jamais d’être original.
On a vraiment l’impression avec cette mise en scène d’avoir été pris et emmené quelque part. On ressort, et on sent qu’on est plus tout à fait identique à ce que l’on était en entrant. C’est comme le voyage d’Ulysse, une vie d’être humain. Tu reviens chez toi, mais tu as vécu quelque chose. On peut toujours penser, croire ou espérer, que certains auront un choc qu’ils vont garder toute leur vie. C’est pour cela que je cherche l’universalité et l’intemporalité, qu’on ne puisse pas dire : ça se passe là, à telle époque.

On a l’impression que pour vous, faire une mise en scène, c’est avant tout un travail d’écoute : de l’oeuvre, des chanteurs, des spectateurs, comme si vous étiez une grande oreille qui réunit tout ça et construit concrètement et physiquement quelque chose, et que la première chose est d’abord de s’effacer et de recevoir, ce qui bien sûr est déjà agir. Comme disait le philosophe de la Renaissance Giordano Bruno, « On ne peut contempler sans agir ni agir sans contempler. »

Oui, mais cette chose-là demande énormément de travail. Si je pense que le spectacle doit exister très fort dans l’esprit du spectateur, il faut sur le plateau lui proposer des actes sur lesquels il va pouvoir réagir. J’essaie de dire que les questions de Butterfly, je ne les résous pas, qu’elles vont durer au-delà de la représentation. C’est comme une hypothèse, toutes les grandes oeuvres sont des hypothèses sur l’homme. La mise en scène de Butterfly, c’est une hypothèse sur Butterfly.

Propos recueillis par Stephen Sazio

Médias

Photos du spectacle

Crédit photos : ©Gilles Abegg - Opéra de Dijon