Présentation
Distribution
Médée
Opéra comique (tragédie) en trois actes
Créé au Théatre Feydeau de Paris, le 13 mars 1797
LIVRET François-Benoît Hoffman, adaptation Jean-Yves Ruf et Stephen Sazio
MUSIQUE Luigi Cherubini
ORCHESTRE DIJON BOURGOGNE
CHŒUR DE L’OPÉRA DE DIJON
DIRECTION MUSICALE Nicolas Krüger
MISE EN SCÈNE Jean-Yves Ruf
SCÉNOGRAPHIE Laure Pichat
COSTUMES Claudia Jenatsch
LUMIÈRES Christian Dubet
SON Jean-Damien Ratel, en collaboration avec David Jackson, compositeur
MAQUILLAGE | COIFFURES Cécile Kretschmar
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Anaïs de Courson
ASSISTANAT AUX COSTUMES Lucie Hermand
CHEF DE CHANT Bertrand Halary
CHEF DE CHŒUR Anass Ismat
PIANISTE ACCOMPAGNATEUR Maurizio Prosperi
MÉDÉE Tineke van Ingelgem
JASON Avi Klemberg
CRÉON Frédéric Goncalves
DIRCÉ Magali Arnault Stanczak
NÉRIS Yete Queiroz
1ÈRE SUIVANTE DE DIRCÉ Dima Bawab
2ÈME SUIVANTE DE DIRCÉ Léa Desandre
FILS DE JASON & MÉDÉE (en alternance) Erwan & Nils Ruf - Isaac El Hadad & Quentin Mura
RÉALISATION DES DÉCORS Ateliers de l’Opéra de Dijon & de l’Opéra de Rouen Normandie
RÉALISATION DES COSTUMES Ateliers de l’Opéra de Dijon & ateliers Caraco-Canezou
RÉALISATION VIDÉO Rémi Briand - R. Productions
INGÉNIERIE SCÉNOGRAPHIQUE ExMachina
PRODUCTION Opéra de Dijon
COPRODUCTION Opéra de Rouen Normandie
Synopsis
Par amour pour Jason, Médée la magicienne, fille du roi Éétès de Colchide, a trahi les siens. Par ses sortilèges, elle a d’abord aidé Jason à remporter les épreuves imposées par Éétès pour conquérir la Toison d’Or. Puis, pour couvrir leur fuite et retarder leurs poursuivants, elle a assassiné son jeune frère, qu’elle a découpé en morceaux semés derrière elle. De retour à Iolcos, patrie de Jason, elle l’a aidé à venger le meurtre de son père le roi en faisant tuer son usurpateur par les propres filles de ce dernier. Forcés à l’exil, les deux amants et leurs deux enfants trouvent refuge à Corinthe, où règne Créon. Jason la répudie alors et s’apprête à épouser la fille de Créon, Dircé.
ACTE I
Dans le palais de Créon, les préparatifs pour les noces battent leur plein. Dircé exprime cependant sa crainte de voir un jour Jason l’abandonner comme il a abandonné Médée, dont elle redoute la vengeance. Ses suivantes, tout comme son père Créon et Jason, s’efforcent de la rassurer. Alors que la troupe des Argonautes vient de déposer à ses pieds la Toison d’Or, Médée apparaît. Elle demande d’abord à Jason de retourner auprès d’elle, puis menace Créon de sa vengeance s’il bénit un mariage adultère. Créon refuse et Jason la repousse. Médée leur promet alors de terribles représailles.
ACTE II
Médée invoque les Erinnyes, déesses infernales de la vengeance. Sa suivante Néris tente de la convaincre de fuir Corinthe avant que n’éclate la colère de Créon, qui arrive. Médée refuse et attend le Roi avec détermination. Ce dernier lui notifie son bannissement de Corinthe : elle doit quitter la ville sur l’heure. En invoquant sa situation d’épouse abandonnée et de mère bientôt privée à jamais de ses enfants, elle parvient à faire fléchir sa fureur et obtient un jour de délai avant son départ. Un noir dessein semble poindre dans le coeur de Médée, restée seule avec Néris. Jason vient à son tour à sa rencontre et tente de justifier sa conduite en arguant du bien-être et de l’avenir des enfants. Médée s’efforce à nouveau, en vain, de le faire revenir sur sa décision en lui rappelant leur passé commun. Elle obtient cependant que Jason lui laisse leurs enfants jusqu’à son départ en exil. Elle confie alors à ces derniers le soin d’offrir un diadème à Dircé, en gage de paix, tandis que passe au loin le cortège qui rejoint le temple pour la bénédiction des futurs époux.
ACTE III
Seule, Médée rumine son destin et ses crimes passés. Néris lui amène ses enfants pour un dernier adieu. De funestes pensées agitent Médée, prise entre son désir de faire souffrir Jason et son amour maternel. Néris revient et annonce que le diadème offert à Dircé, ensorcelé, est en train de causer sa mort. Ivre de savourer sa vengeance réussie, Médée supplie Néris d’éloigner d’elle ses enfants. Néris les cache dans le temple. Médée prie à nouveau les Erinnyes de lui donner la force d’aller jusqu’au bout de sa vengeance contre Jason. Au milieu du tumulte causé par la découverte du corps de Dircé, elle se glisse dans le temple armée d’un poignard. Jason paraît, à la recherche du seul bien qui lui reste, ses enfants. Médée surgit hors du temple, accompagnée des Erinnyes, et lui annonce son dernier forfait : les enfants ne sont plus, tués de sa main. Les Erinnyes la saisissent et l’entraînent dans les profondeurs où son ombre attendra celle de Jason, tandis qu’un violent cataclysme détruit le temple et ce qui l’entoure.
Note d’intention
Jean-Yves Ruf, metteur en scène
Cherubini écrit Médée en 1797 sur un livret français de François-Benoit Hoffman, qui alterne parties musicales et scènes parlées. Cet opéra dramatique trouvera en 1909 une seconde vie dans une version italienne avec récitatifs accompagnés sous le titre de Medea. Nous avons choisi la version française d’origine, qui nous semble plus épurée, plus tendue, et plus étonnante. L’alternance des scènes chantées et des scènes parlées crée des espaces inhabituels à l’Opéra, des trouées dans le tissu musical, des possibilités de mise en écho entre deux plans différents. En ce qui concerne les scènes parlées, nous avons choisi de ne pas garder les alexandrins d’Hoffman, mais de les réécrire en prose, dans un langage plus direct, afin de trouver un contrepoint plus fort entre les deux plans. J’ai demandé à un créateur son d’imaginer des atmosphères en partant de la musique de Cherubini, comme si l’on utilisait la résonance de la musique et qu’on la faisait perdurer sous une autre forme, en creux.
Le mythe de Médée a été visité par nombre d’écrivains, Euripide, Sénèque, Corneille, Anouilh, Müller, Rouquette, Wolf, Quignard, Loher, difficile de dresser une liste exhaustive tant ce mythe intrigue, fascine et interroge. Une série de fuites ponctuées d’une série de meurtres. L’opéra est centré autour du meurtre des enfants, mais ce n’est pas le premier. Une amante éperdue tue son frère pour protéger la fuite de son aimé. Puis tue l’oncle de son amant pour le punir de sa trahison. La même devenue mère et se voyant abandonnée tue ses deux enfants par vengeance et désespoir. Si Médée est la petite-fille du Soleil, redoutable magicienne dont on craint les pouvoirs, si elle est une mère aimante qui n’imagine pas partir en exil sans ses enfants, elle est d’abord une grande amoureuse, capable de quitter son pays, de trahir son père et de tuer son propre frère. Elle aime à corps perdu, sans compromis, sans limite. Comment ne pas l’admirer au-delà ou en-deçà de toute morale commune ? Comment ne pas la craindre, et dans le même temps comment ne pas la plaindre ? Oui cette figure est complexe, impossible de la penser d’un bloc, de la réduire à une certitude rassurante. Plus j’entre dans les lignes de l’oeuvre plus je sens à quel point elle s’adresse et touche nos régions les plus profondes et secrètes.
Médée revient à Corinthe demander justice, au nom des Dieux justes. Elle a suivi Jason et fondé une famille, tous deux ont trouvé asile chez le Roi Créon. Elle pouvait espérer trouver enfin un endroit où poser sa tête. Mais Jason s’est laissé tenter par les sirènes du pouvoir, il veut un destin, une place dans le monde, pour lui et ses enfants. Et ce sera sans Médée, trop étrange, trop étrangère, trop compromise. Il faudrait qu’elle comprenne les raisons de Jason, qu’elle accepte une conciliation. Impossible pour l’amoureuse qu’elle est et restera. Étymologiquement Médée signifie celle qui médite. Acculée, exilée, chassée, elle quittera la pensée apollinienne qu’elle appelait de ses voeux pour descendre dans des méditations chtoniennes, de celles, sourdes et obscures, qui ne trouvent plus de frontières, qui osent transgresser les limites du pensable. Et c’est bien ce qui nous fascine chez elle, la fidélité inébranlable à un monde unique, sans issue possible, où Jason est avec Médée. En tuant la nouvelle épouse de Jason, en tuant les enfants de Jason – qui sont les siens - elle recrée un monde où tous deux sont de nouveau dans le même monde, celui des errants, des esseulés, des condamnés.
Va cacher les remords de ton âme éperdue.
(…)
Et sur les bords du Styx mon ombre va t’attendre.
Entretiens
Entretien avec Nicolas Krüger
La création de Médée se fait au sein d’une période charnière de la musique occidentale, à la jonction des esthétiques classique et romantique. Comment se situe Cherubini au sein de cette époque de transition ?
Cherubini se situe véritablement, et en particulier avec Médée, à la croisée des chemins européens. Il est un compositeur formé en Italie et installé en France, où le modèle gluckiste est encore prédominant, qui compose un opéra en français, dans une forme, l’opéra-comique, qui n’existe pas du tout en Italie. Il y a bien sûr dans sa musique cette tension et cette nervosité qu’on trouve dans la musique italienne, mais ce n’est pas de la musique italienne. Elle regarde tout autant vers le nord de l’Europe, elle est teintée des brumes nordiques. C’est un savant mêlé, et c’est pourquoi revenir à cette première version de 1797 me semble essentiel : le français est le lieu même de cette rencontre entre les deux pôles musicaux du continent.
On sent en effet dans Médée une influence de principes de Gluck, cette manière d’aller à l’essentiel du drame en l’épurant des actions adventices et des scènes de genre obligées. Il y a cependant chez Gluck une sorte de mise à distance stylisée des passions qui ne prennent jamais le pas sur la forme. Dans Médée, on a le sentiment qu’au fur et à mesure du drame, le déchaînement passionnel contamine de plus en plus la forme jusqu’à la faire éclater.
Il y a dans Médée un phénomène fascinant, et c’est sans doute pour cela que cet opéra reste le plus mémorable de Cherubini : le fond y rejoint la forme d’une façon tout à fait extraordinaire. Ce qui se passe avec le personnage de Médée, qui intervient dans le monde de Créon et en défait toutes les lois, qui en détruit, met à mal et tord toutes les règles, a lieu parallèlement dans la musique de la même façon. La musique sort progressivement des cadres formels rigides du classicisme pour se torde et se déconstruire. Quand on entre dans le premier acte, on est dans un monde hérité directement du classicisme. L’irruption de Médée au bout d’une vingtaine de minute va peu à peu nous faire entrer de plein pied dans l’expression romantique et dans tout ce que les Romantiques ont opposé à l’esthétique classique : le rejet d’une forme préconçue, la fantaisie, l’irruption de l’improvisation, l’ouverture sur le diabolique et le fantasmagorique. Tout ce qui en fait constitue le personnage de Médée et la rend effrayante à ceux qui l’entourent !
Il est remarquable en effet que dès le final de l’acte II, Cherubini exploite une forme qui sera prisée des Romantiques : celle du mélodrame, de la superposition de texte parlé et de musique.
C’est d’autant plus remarquable qu’il le fait dès la première version de 1797. Il se ravisera par la suite sans doute sous la pression de ses amis, mais son idée première est celle-là, quelques vingt ans avant la scène de la Gorge au Loup du Freischütz de Weber. Mais énormément d’inventions venant de cette Médée seront reprises par les compositeurs suivants : Fidelio ne serait sans doute pas tel qu’on le connaît sans que Beethoven ait entendu Médée. L’audace de tenir un accord de mi bémol majeur sur cent trente sept mesures au début de L’Or du Rhin serait-il venu à l’idée de Wagner sans ce qu’ose Cherubini au début du troisième acte, où un accord se déploie et se développe sur plusieurs minutes et nous fait totalement sortir de la réthorique classique ? Nous nous trouvons précisément à la charnière historique entre « la musique qui parle et la musique qui peint » dont parlait Harnoncourt dans Le Discours musical. Cherubini est exactement à cheval entre les deux, il parle et peint à la fois.
Vous parliez de Wagner, y-a-t-il dans Médée un travail motivique qui structure de manière théâtrale le déroulement de la musique ?
On ne peut pas à proprement parler d’un travail de type Leitmotiv. Mais lorsqu’on se plonge dans la partition, on constate quantité d’échos motiviques, de mouvements mélodiques qui reviennent, se rapprochent ou sont d’atmosphères voisines, qui sont de véritables clés pour la compréhension intime de l’œuvre. Le motif qui ouvre l’aria de Jason au début premier acte se retrouve par exemple repris et développé dans l’introduction du troisième acte, comme une sorte d’errance désespérée, qui pour moi n’est pas seulement celle de Médée à ce moment du drame, mais annonce déjà celle qui sera le destin de Jason après la conclusion de l’ouvrage. De même ce motif de chute qui entame l’ouverture et annonce celle de Médée en enfer à la fin. Cherubini se montre ici un formidable architecte et un immense dramaturge ; Wagner le reconnaîtra lui-même plus tard. On a parfois dénié à Cherubini ce supplément d’inspiration qui fait les grands génies de l’histoire de la musique, mais lorsqu’on prend conscience de ce qu’il écrit ici dès 1794 — c’est à cette date qu’il commence le travail de composition — soit à peine trois ans après la mort de Mozart, il s’agit tout de même d’un sacré visionnaire !
Il y a quelque chose d’étonnant dans cette forme de l’opéra-comique à sujet tragique, qui dépossède le compositeur de moments essentiels de l’action, à haut pouvoir dramatique. Je pense notamment à l’entrée de Médée qui se fait sur un passage parlé.
C’est sans doute ce qui a provoqué le plus de réticences à la création de l’œuvre, ces passages que Cherubini n’a pas maîtrisés. A l’époque, on a généralement loué la musique et déploré le livret, en particulier à cause de ces alexandrins qui, il faut bien le dire, ne sont pas du Racine ou du Corneille… Le choix que nous avons fait ici de les réécrire n’a du reste rien de nouveau, on a toujours tenté, dès la traduction italienne, de contourner d’une façon ou d’une autre ce problème. Quant à cette apparition de Médée, j’y vois pour ma part des prémices à sa disparition, dans la dernière scène, quand une fois les infanticides commis, la musique se décante, disparaît pratiquement, et qu’on se retrouve avec un récitatif quasiment secco soutenu d’accords très neutres, cadencés et froid, comme si Médée s’était totalement défaite de son fardeau en accomplissant son horreur. En quelque sorte, le drame se construit à partir du silence musical de l’arrivée de Médée jusqu’à l’apogée du crime, et une fois qu’il est commis, la musique se défait de la même manière.
On a le sentiment que Médée, qui arrive physiquement relativement tard dans l’action, fait progressivement le vide autour d’elle. A l’issue du deuxième acte, Créon disparaît totalement, et Jason n’interviendra plus que pour constater l’étendu de son malheur.
L’action devient en effet la prérogative de Médée, qui agit sur tous les fils, et sur la musique aussi du reste, comme on l’a vu. J’irai presque à dire que ce personnage est tellement visionnaire, qu’il a emmené Cherubini tellement loin, qu’il l’entraîne au delà même de la musique romantique, jusqu’au abords de l’expressionnisme. La musique se tord tellement qu’on dépasse les cadres, le cauchemar emporte tout.
Ce rôle de Médée est devenu mythique pour les chanteuses. Comment se caractérise-t-il musicalement ?
Ce rôle est un concentré de difficultés ! D’abord par cette présence continue à partir de la vingtième minute et jusqu’à la fin, et surtout par la tension permanente du personnage, qui se retrouve dans la musique et la tessiture. On commence par un premier air qui n’est pas encore un air violent, mais un air de supplication et de désespérance, et qui se trouve en permanence sur le « passage » de la voix, cette partie de la tessiture du haut médium, la plus difficile. Cet air nous dit d’ailleurs déjà tout du personnage, qui est à la fois fragile et tendu. La chanteuse ne commence donc pas dans une zone confortable, et Cherubini fera d’ailleurs en sorte qu’elle n’y soit jamais, puisque c’est un personnage déstabilisé et déstabilisant qui par définition amène chez tous autour de lui inconfort et instabilité ! Contrairement à beaucoup d’autres rôles, on n’a pas un ou deux superbes aigus qui viennent couronner un air ou donner tout son prestige à une diva. Ici, ils interviennent de manière réitérée et répétée, et viennent tendre en permanence la ligne vocale. La réitération est du reste un des éléments clés de cette œuvre : la musique vient sans cesse buter contre une sorte de mur, inlassablement, et ce mouvement devient un ressort de l’action, qui se cogne à la réalité, qui se cogne contre les lois qui régissent la sociabilité humaine. Médée se heurte en permanence à ceux qui deviennent ses adversaires, et le rôle fait de même, la voix retourne en permanence à ses aigus, à l’extrême d’elle-même. C’est donc un rôle très dur, à tous points de vue.
La gloire de Cherubini, à la fin de la première moitié du XIXe siècle, est associée à la Restauration, avec ses grandes messes qui célèbrent les fastes de la monarchie et des Bourbons et pleurent la mémoire de Louis XVI. Médée apparaît pourtant à vous entendre comme véritablement révolutionnaire !
Oui, absolument ! C’est pour cela du reste qu’elle mettra tant de temps à revenir sur les scènes, et à travers des avatars multiples. Connue et appréciée des compositeurs, l’œuvre a été ignoré des institutions, sans doute car sa musique et les thèmes qu’elle abordait semblaient trop risqués et agressifs. Mais plus profondément, je crois que le personnage de Médée lui-même était un problème pour le XIXe siècle bourgeois. Toutes les héroïnes d’opéra mourraient, se sacrifiaient, étaient victimes de leur passions, elles ne faisaient pas mourir. Ce personnage puissant de Médée, qui fait le vide autour d’elle et balaye de son pouvoir de nuisance tout son entourage, était à mon avis un énorme problème pour la bourgeoisie qui ne pouvait concevoir qu’une femme ait cette puissance d’action. Même Carmen, qui est une femme libre, n’a pas ce pouvoir d’agir, de se débarrasser de ce qui la met en danger. Médée, elle, se fait justice, règle ses comptes. C’est une figure féminine absolument moderne, et de ce point de vue, totalement dérangeante.
Etrangement, Carmen est un personnage issu lui aussi du genre de l’opéra-comique…
Exactement ! Nous parlions il y a quelques jours avec Jean-Yves Ruf de ce poème de Garcia Lorca sur le duende, ce sentiment intimement lié à la mort, qui donne cette inspiration tellurique qui peut habiter les grands chanteurs de flamenco et que Lorca attribue plus largement à de grands créateurs comme Nietzsche ou Beethoven. Ce duende appartient sans conteste à des personnages comme Carmen ou Médée, qui sont habités par la mort, par un instinct animal extraordinairement puissant, qui déstabilise et terrorise autour d’elles parce que, comme le disait Jean-Yves, ce sont de grandes improvisatrices, chose tout à fait détestable dans des sociétés cadrées, surtout venant d’une femme.
Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon
Entretien avec Jean-Yves Ruf
Pour ces représentations à Dijon, vous avez choisi de réécrire les textes parlés, originellement en alexandrins. Quelle a été la raison de cette démarche ?
On s’aperçoit à l’écoute du peu d’enregistrements disponibles de cette version originale de Médée que ces textes parlés « ronflent » assez facilement, c’est-à-dire sont prononcés sur ce ton monotone et déclamatoire qu’on met souvent dans l’alexandrin. Pour des comédiens aguerris, il est déjà compliqué de rendre l’alexandrin naturel, et cela demande un temps de répétition que nous n’avons pas à l’opéra, où les chanteurs sont d’abord requis à la musique et au chant. Bien sûr, l’alexandrin est quelque chose de très beau, mais pour atteindre des intensités contemporaines dans une langue aussi complexe, du point de vue de la grammaire comme du vocabulaire, il faut pouvoir s’y consacrer à plein temps. Cela me semblait donc particulièrement risqué, et de nature à menacer le reste du travail. C’est donc avant tout pour des questions pratiques. Nous n’avons pas tenté une vulgarisation ou une simplification du texte, nous avons cherché à faire un récit qui se tient et reprend l’essentiel du contenu du texte d’origine. La musique de Cherubini est très tendue, très intense, et les scènes parlées permettent d’ouvrir un peu cet espace, d’introduire une dimension plus intérieure.
On a aussi le sentiment que cela vous a permis d’aller plus « à l’os », au plus près de l’action et de son intensité.
C’est vrai que cela nous a permis de donner de manière plus aiguë et plus nerveuse cette couche « horizontale », le fait divers d’un couple qui se sépare et doit se partager les enfants. On sait comment cela finit. Mais c’est quelque chose qu’on reconnaît immédiatement, qui fait partie de nos vies. En passant par une écriture plus contemporaine, par des silences, cela donne une immédiateté plus grande à ces deux corps qui se débattent dans une pièce. Mais je n’ai pas voulu supprimer du texte parlé toutes les références à la dimension « verticale », aux dieux et aux Erinnyes, parce qu’elle est très présente dans la partition de Cherubini.
Quand on regarde votre travail ces dernières semaines sur le plateau, on sent une très grande attention aux relations entre les caractères principaux, avec beaucoup d’interactions, de regards éloquents... Comment envisagez-vous ces relations ?
J’ai choisi de ne pas considérer Jason sous le seul angle de la lâcheté, mais d’en faire quelqu’un d’encore amoureux, et de fasciné par Médée. Sauf que Médée est d’une telle force, d’une telle entièreté dans son désir, qu’il n’est simplement pas capable de faire face. Mais il est déchiré. Quand il est avec Médée, c’est moins simple que quand il pense à elle. Quand il est avec elle, elle a une telle force mentale et physique qu’elle arrive à trouver où enfoncer son coin, à le faire plier, à le rendre fou, fou de douleur et de désir. Elle n’arrive pas à aller jusqu’au bout, à lui faire prendre la dernière décision, à lui faire faire le choix d’abandonner Dircé et le monde de Créon et de la suivre, mais elle y est presque.
Dircé est sans doute quelqu’un qu’il pense arriver à dominer, même si on s’aperçoit qu’elle a aussi son caractère. C’est un désir plus reposant, moins tiraillant, plus confortable sans doute, sans que ce soit du tout péjoratif. Mais elle représente aussi un certain agencement du désir où se mêlent inconsciemment plusieurs choses : avec elle, il trouve une famille, une protection pour ses enfants, une lignée, le pouvoir. Tout ça fait partie de son désir pour elle. Mais cette Dircé, à qui on assigne une place et un rôle, a une sensibilité, une conscience et une liberté qui vient mettre de la tension dans le premier acte. Elle a une intuition très forte que ce mariage est un enjeu qui la dépasse, elle le désire et en même temps en a peur. Elle est sur la crête, dès le début, et c’est très angoissant pour les hommes, qui ont tout mis en scène pour que la remise de la Toison et ces fiançailles soient aussi une victoire symbolique et politique. Dircé ne se prête pas complètement au jeu, et ce n’est pas stratégique chez elle, c’est qu’elle sent qu’il y a une dissonance quelque part, dans l’air, dont elle a très peur : Médée est là.
On pourrait faire de Créon un personnage un peu monolithique, un homme de pouvoir qui pousse son coup de gueule, comme on pourrait voir Médée comme une personne uniquement vengeresse, hystérique et violente, une sorte de Cruella, ou Dircé comme une petite poupée un peu cruche et naïve et Jason un lâche. Mais on sait bien que la psyché est plus complexe que cela, qu’il y a ce qu’on met devant, et ce qui est en jeu derrière. Cette manière d’imaginer un passif entre chacun d’eux, c’est les mettre dans la complexité de la vie : on fait des choix, mais on aurait pu en faire d’autres. Cela ne veut pas dire qu’on s’est construit toute une histoire précise, c’est une manière de créer une épaisseur, de donner de la vie concrète.
Ces échanges de regards au début entre Jason et Créon, c’est une manière de donner corps à l’enjeu de la scène : tout le monde fait comme si Médée n’existait pas, sauf Dircé. Il y a un sous-entendu constant qui éclate soudain au grand jour par la parole de Dircé : « Médée, Médée est là, c’est ta femme ». Jason fait tellement d’efforts pour ne pas penser à Médée ! Et dans son premier air, pour rassurer Dircé, il ne fait que parler d’elle... À tel point que finalement Créon est obligé d’intervenir pour remettre la situation dans ses rails.
Créon, je l’imagine plus politique, plus stratège. J’ai fait de ses gardes dans l’acte II des sortes de conseillers municipaux, dont il essaie de sentir les avis : il y a des extrémistes qui veulent la peau de Médée, d’autres plus modérés.
Jason est d’abord un aventurier qui a le désir d’asseoir sa vie et de trouver une place dans la société. Contrairement à Médée, ce n’est pas un amoureux extrémiste, ce n’est pas quelqu’un qui est complètement entier dans son désir. Il peut être entier un moment, puis le moment suivant commencer à réfléchir autrement, à agencer son désir avec son désir de pouvoir. Ce qui le relie à Médée, c’est qu’il n’imagine pas abandonner les enfants. C’est sans doute lui qui fait en sorte qu’ils soient acceptés par Créon, tout comme il doit oeuvrer pour qu’on ne tue pas Médée. Le lien entre eux n’est pas aboli, et c’est tout son problème. Mais ce n’est pas qu’un lâche.
Médée est, elle, dans une sorte de demande absolue de reconnaissance, d’être absoute. Ce qui est beau chez elle, c’est qu’elle arrive avec un désir d’élévation. Comme Jason, mais pourquoi serait-il le seul ? Un désir de trouver une famille, une légitimité, d’être seulement la mère de ses deux enfants. Mais dès le début, on la renvoie à ses crimes. On ne lui donne aucune chance, aucune. On lui reproche ses crimes, mais on en accepte les fruits : la Toison. Et lorsqu’elle opposera cet argument à Créon à l’acte II, il ne saura quoi répondre, parce qu’elle a raison. Elle ne fait que demander une place dans cette société, à côté de son époux et de ses enfants, ce qui est complètement légitime. Mais pour Créon, elle n’a aucun droit. Elle invoque d’abord les dieux justes, Jupiter, pour se défendre et en appeler à son droit. Et tout son parcours est de passer des dieux justes aux Erinnyes, aux puissances infernales, à ces pulsions implacables de vengeance qu’on n’arrête pas. Dans ce passage où elle les invoque, elle sait qu’elle va accoucher de quelque chose de monstrueux. Elle accepte de quitter son utopie de justice et d’absolution de ses crimes, qui sont d’ailleurs partagés avec Jason : il était là, c’est pour lui qu’elle les a commis.
Vous parliez tout à l’heure de la dimension « verticale », de ces invocations aux dieux et aux puissances supérieures très présentes dans le livret. Comment les avez-vous traitées ?
J’essaie de les rendre les plus concrètes possible. Il y a plusieurs niveaux dans ces évocations. Il a d’abord celui de la coutume, du rite, de la donnée culturelle collective, voire de la superstition, comme l’invocation à Hyménée au début du premier acte. C’est quelque chose qu’on retrouve de manière conventionnelle dans beaucoup de comédies qui se terminent par un mariage. Mais ici, c’est tellement présent que l’on sent que cela signifie quelque chose de profond pour eux, que cela recouvre un sens cultuel important. Plutôt que de mettre sur scène une statue d’un dieu dont l’iconographie n’est d’ailleurs pas très claire, j’ai choisi d’inventer un rituel avec l’eau, qui bien sûr fait songer au baptême et nous renvoie ainsi à quelque chose d’immédiat et de familier, qui peut être de l’ordre de la croyance sincère comme de la convention sociale. De la même façon, lancer une pièce dans l’eau pour faire un voeu est typique de ce genre de rituels concrets et quotidiens auxquels on croit sans y croire.
Il y a ensuite un second niveau, celui des invocations à Jupiter, dieu de justice, qui revêtent une grande importance, qui sont un appel solennel à une valeur sacrée. Lorsque Médée l’invoque face à Créon, celui-ci ne le prend pas du tout à la légère. Il éprouve le besoin d’y répondre, comme pour conjurer une malédiction.
Et puis il y a la dimension des déesses qui n’appartiennent qu’à Médée, les Erinnyes, et Alecto en particulier, celle de la vengeance implacable. Ce sont ces forces sombres qui nous habitent. Jung a montré que dans les polythéismes anciens, la personnification de ces pulsions permettait d’entrer en dialogue symbolique avec elles, de les mettre en balance, d’y céder ou de les amadouer. Lorsque Médée les invoque, ce n’est pas comme des références mythologiques, mais comme des réalités intérieures, concrètes et physiques, que nous pouvons comprendre, une façon de se donner la force d’aller jusqu’au bout, d’appel à la transe, à un autre état de conscience qui lui permette d’accomplir cet acte horrible, une force qu’elle va chercher au plus profond d’elle-même. Mais elle sait qu’une fois qu’elle y est, il n’y a plus de retour possible. C’est sans soute quelque chose qu’elle a déjà fait avant de tuer son frère. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle ne cesse de les invoquer, de reculer, puis de les invoquer à nouveau. Elle a du mal. Comme un second saut en parachute, on a peur parce qu’on en a fait un déjà, qu’on sait ce que c’est, qu’on se représente clairement sa réalité concrète. Elle sait quel monde elle perd, elle sait à quel monde elle se voue. Elle sait qu’elle doit tuer quelque chose en elle qui a à voir avec la lumière, avec la justice. C’est pour cela que c’est physique.
Vous avez choisi la version du final dans laquelle Médée est emportée par les Erinnyes...
Elle dit à Jason : « J’irai en enfer, et je t’attendrai au bord du Styx. » C’est à la fois très violent et très beau. On sent que cela pourrait être de grands amoureux, comme Roméo et Juliette, mais il y a juste une chose qui fait que cela devient d’une grande violence : « Ô fatale Toison ! ». Cela atteint la puissance du mythe. Elle a porté Jason aussi loin qu’elle au-delà de la souffrance. Il avait un avenir avec Dircé, un avenir sans elle, et elle lui détruit tout. Elle le rend aussi désespéré qu’elle l’a été par lui. Il accède au même désert intérieur qu’elle. Ce n’est pas du tout une fin à la Don Giovanni, où la descente en enfer est une punition. C’est presque un choix de sa part, sans aucune fonction expiatoire. Peut-être parce que c’est le seul endroit où l’amour est possible. C’est pour moi plus un mythe sur l’amour que sur le meurtre, le meurtre n’y est qu’une conséquence de l’amour.
Propos Recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’opéra de dijon
À propos de l’œuvre
Une œuvre révolutionnaire ou une œuvre de la Révolution ?
Maxime Margollé, docteur en musicologie, spécialiste de l’opéra-comique de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle
« Tout droit de reproduction interdit sans autorisation »
Que s’est-il passé au Théâtre Feydeau le 23 ventôse an V (13 mars 1797) lors de la création de Médée de Luigi Cherubini et François-Benoît Hoffman pour que cette oeuvre soit, aujourd’hui encore, considérée non seulement comme un pilier du répertoire d’opéra-comique de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles, mais également comme un tournant dans l’histoire de ce genre faisant alterner épisodes parlés et épisodes chantés ?
Médée est le fruit de la collaboration d’un jeune compositeur d’origine italienne arrivé en France depuis une dizaine d’années à l’heure de la création, Cherubini, et d’un librettiste, Hoffman, qui est déjà connu grâce à plusieurs succès entre la fin de l’Ancien Régime et le début de la Révolution. Citons par exemples Nephté (musique de Lemoyne, 1789), Euphrosine et Coradin, ou le Tyran corrigé (musique de Méhul, 1790) ou Stratonice (musique de Méhul, 1792). Médée obtient rapidement un franc succès et les deux artistes sont unanimement salués par la critique contemporaine. On peut ainsi lire dans le Courrier des spectacles « Jamais première représentation n’attira plus de monde que l’on en vit hier au théâtre de la rue Feydeau. La tragédie lyrique de Médée a eu le succès le plus brillant et le mieux mérité. La musique, à laquelle on ne peut donner trop d’éloges, est de M. Cherubini ; le poème [sic] est de M. Hoffman, déjà connu par plusieurs productions agréables. Les décorations sont magnifiques ; les choeurs ont été supérieurement exécutés : enfin rien n’a manqué pour rendre cet opéra digne de la plus grande admiration ».
Malgré le succès de l’oeuvre, dont témoignent également les 31 représentations pour la seule année 1797, Médée ne sera plus jouée après sa trente-neuvième représentation, le 15 février 1799. Ce succès, aussi brutal qu’éphémère, interroge. Ainsi, en replaçant la création de cet opéra-comique dans son contexte historique, après avoir étudié ses sources littéraire et musicales, nous nous interrogerons sur les raisons de ce phénomène. Pourquoi cet opéra-comique disparaît aussi rapidement du répertoire ? Est-ce lié aux circonstances révolutionnaires ? Quelle place ont Médée et ses auteurs dans l’évolution esthétique durant cette période ?
Les sources littéraires et musicales de Médée
Durant l’Ancien Régime et jusqu’aux dernières décennies du XVIIIe siècle, le mythe de Médée est encore régulièrement représenté tant au théâtre que sur les scènes lyriques parisiennes. La majeure partie de ces oeuvres s’inspire de la Médée de Pierre Corneille, représentée pour la première fois au Théâtre du Marais en 1635. Dans cette pièce de théâtre où la mythologie se mêle au merveilleux, l’auteur s’appuie sur les pièces de Sénèque et d’Euripide, tout en leur apportant quelques modifications afin de les adapter au goût de son époque. Écrite au début de la carrière de Corneille, l’oeuvre ne respecte pas toutes les règles du théâtre classique (en particulier les unités de temps d’action et de lieu) et doit donc plutôt être rattachée au théâtre baroque. Quelques années plus tard, le même auteur fait représenter La Toison d’or (1760), pièce également inspirée du mythe de la magicienne, mais représentée de manière plus spectaculaire. Grâce à ces deux oeuvres, Corneille restaure et actualise le mythe de Médée. Cette redécouverte encourage par la suite d’autres auteurs à en donner de nouvelles versions. Ainsi, dès 1675, Quinault et Lully, forts des succès de leurs premières collaborations (Cadmus et Hermione ou Alceste par exemple) créent Thésée, tragédie en musique en cinq actes et un prologue. Cette oeuvre, aux qualités littéraires et musicales admirables, peint les événements qui ont frappé Médée à Athènes à la suite des épisodes de Corinthe et Colchide représentés par Corneille. Thésée connaît un nombre très important de représentations et fut l’un des plus grands succès de ses auteurs. Sa vogue fut telle que cette tragédie lyrique restera au répertoire de l’Académie royale de musique (l’Opéra) jusqu’en 1783, soit plus de cent ans après sa création. Bien qu’intitulée Thésée, la magicienne est le personnage central de cette oeuvre dont l’action est centrée sur la colère et la jalousie de cette héroïne tourmentée.
Par la suite, les représentations du mythe vont se multiplier. Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles deux visions musicales de la femme de Jason sont données : la première, sobrement intitulée Médée, est créée le 4 décembre 1693 à l’Académie royale de musique. Il s’agit d’une Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue de Marc-Antoine Charpentier sur un livret de Thomas Corneille (le frère cadet du précédent) ; la seconde, Jason, ou la Toison d’or, créée à l’Académie royale de musique le 15 janvier 1696, est également une Tragédie lyrique en cinq actes et un prologue. Le livret est de Jean-Baptiste Rousseau et la musique de Pascal Collasse. D’un point de vue littéraire, la tragédie Médée d’Hilaire-Bernard de Requeleyne, Baron de Longepierre, créée en 1694, vient temporairement éclipser celle de Pierre Corneille.
Au XVIIIe siècle, la tradition est avant tout musicale. Tout d’abord, le 24 avril 1713, Joseph-François Salomon fait représenter à l’Académie royale de musique Médée et Jason, tragédie lyrique en cinq actes et un prologue sur un livret de l’abbé Pellegrin. Cette oeuvre sera jouée jusqu’en 1749. En 1765, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville remet en musique le livret de Quinault. Cette nouvelle version, ne faisant pas oublier celle de Lully aux yeux du public, n’est représentée que quatre fois. De la même manière, Gossec réutilise le livret de Quinault pour son Thésée, créé à l’Académie royale de musique le 1er mars 1782, mais prend soin de faire réduire l’oeuvre en trois actes par Morel de Chédeville afin de l’adapter au goût contemporain. Grâce à cette précaution, l’oeuvre obtient un succès d’estime et est représentée seize fois l’année de sa création. Enfin, le 5 septembre 1786, Johann-Christoph Vogel fait représenter La Toison d’or, opéra sur un livret de Philippe Desrieux. En dehors de toutes ces Tragédies lyriques, citons également le ballet Médée et Jason, chorégraphié par Jean-George Noverre, Gardel et Vestris et créé à l’Académie royale de musique le 26 janvier 1776.
À ces oeuvres sérieuses, il faut également ajouter les parodies, données sur les scènes des théâtres de la Foire et de la Comédie italienne, ancêtres de l’Opéra- Comique. Par exemple, en 1736, deux parodies en un acte en vaudevilles furent données de l’opéra de Pellegrin et Salomon au Théâtre Italien sous le même titre de Médée et Jason : la première, de Dominique Lelio fils et Romagnesi et la seconde de Carolet. À cette époque, les parodies sont une sorte d’hommage, une variation burlesque à visée divertissante des ouvrages lyriques dont elles sont tirées. Si la légèreté est une des principales caractéristiques de ce type d’oeuvres, il ne faut pas pour autant leur ôter une certaine profondeur. Ces pièces courtes, généralement en un acte, ont également pour but de faire une satire de la société afin d’en souligner les principaux travers et de la faire progresser. Enfin, une dernière version légère du mythe de Médée est donnée à l’Opéra-Comique en 1745 avec Thésée de Favart, Parvy et Laujon. Ainsi, seules des parodies sont jouées à l’Opéra-Comique dans la première partie du XVIIIe siècle, les oeuvres sérieuses n’étant jouées qu’à l’Académie royale de musique. Mais si l’opéra-comique semble – à ses débuts – être un genre où règne la plus grande gaîté et offre au public des versions souriantes de Médée, qu’est-il arrivé au courant du siècle pour qu’une oeuvre sérieuse soit jouée dans un théâtre représentant ce genre pendant la Révolution ?
Évolution de l’opéra-comique au XVIIIe siècle
L’opéra-comique, nous l’avons dit, est d’origine populaire et c’est dans les foires parisiennes (Saint-Germain et Saint-Laurent) qu’il prend naissance au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles. En l’espace d’un siècle, il est passé des échafaudages des théâtres de la Foire, aux planches du Théâtre Favart construit pour lui. Il a évolué sous l’impulsion des différentes querelles musicales marquant le siècle des Lumières (en particulier la Querelle des Bouffons) et au contact de quelques compositeurs de génie. Les contraintes imposées à l’opéra-comique par les théâtres privilégiés dès ses premières années d’existence ont forgé ce genre qui présente à la fin du XVIIIe siècle une certaine homogénéité. Il se définit donc à l’aube du XIXe siècle comme un genre lyrique faisant alterner des épisodes parlés et des épisodes chantés. En 1762, l’Opéra-Comique de la Foire fusionne avec la Comédie Italienne (qui n’a plus à cette époque d’Italienne que le nom) et s’installe à l’Hôtel de Bourgogne, puis cette nouvelle troupe déménage en 1783 pour le Théâtre Favart, qui sera appelé durant la Révolution « Théâtre de l’Opéra-Comique National de la rue Favart ». Le terme « opéra-comique » désigne donc à la fois un lieu et le genre lyrique qu’il abrite.
Parallèlement à ces événements, le répertoire a également considérablement évolué. Au cours du siècle, on abandonne peu à peu le genre de la parodie pour préférer la « comédie mêlée d’ariettes ». Dès lors, on substitue aux vaudevilles (chansons dont l’air original, devenu populaire, est appliqué à d’autres paroles) des airs originaux composés pour la circonstance. Alors que le répertoire est dominé par des intrigues souriantes mettant en scène les amours naïfs de paysans (Les Trois fermiers de Dezède par exemple), le genre commence à s’assombrir avec des oeuvres de plus en plus pathétiques comme Le Déserteur de Monsigny (1769) ou larmoyantes comme Nina, ou la Folle par amour de Dalayrac (1786). Cette tendance se généralise quelques années avant la Révolution et donne naissance à un genre d’oeuvres que l’historiographie appelle « opéra-comique à sauvetage ». Le terme de « pièce à sauvetage », traduction de l’allemand « Rettungsoper », apparaît vers le début du XXe siècle et désigne un type d’oeuvres courant à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, dans le contexte de création de l’Ancien Régime et de la Révolution française. L’opéra-comique à sauvetage se définit surtout en fonction de ses caractéristiques littéraires. Le livret met généralement en scène un héros, une héroïne ou un groupe sauvé de la mort ou d’un avenir contraire à ses désirs après que l’injustice, l’oppression ou la malveillance l’a persécuté. Le sauvetage arrive à l’instant le plus critique, souvent après une scène intensive comprenant batailles ou catastrophes naturelles. Si l’on trouve des exemples de ce type d’oeuvres assez tôt dans la dernière décennie de l’Ancien Régime, force est de constater que le goût du public pour ce type d’opéra-comique à grand spectacle va être soutenu par les événements de la Révolution. Médée de Cherubini en est un exemple.
Création et réception de Médée de Cherubini
Alors que depuis le 29 mars 1792 Cherubini est « Directeur du théâtre et de la troupe » du Théâtre de la rue Feydeau et qu’il y accumule les succès avec des oeuvres comme Lodoïska (1791) ou Éliza, ou le Voyage aux glaciers du mont Saint-Bernard (1794), le jeune compositeur, né à Florence en 1760, fait représenter à ce théâtre Médée, « Opéra en trois actes » le 13 mars 1797. Si dès le lendemain de la création tous les critiques semblent être unanimes sur le succès de l’oeuvre, la question de son genre est toutefois rapidement posée. Ainsi, dans la presse contemporaine, Médée n’est jamais qualifiée d’opéra-comique. On peut lire par exemple dans le journal Le Courrier des spectacles du 15 mars 1797 : « Jamais première représentation n’attira plus de monde que l’on en vit hier au théâtre de la rue Feydeau. La tragédie lyrique de Médée a eu le succès le plus brillant et le mieux mérité », tandis que le commentateur du Journal du Paris écrit le 16 mars de la même année « L’opéra de Médée, paroles d’Hoffman, musique de Cherubini, annoncé et attendu depuis longtemps, a été donné avant-hier. Le succès a été complet, et l’exécution aussi bonne que le comporte une première représentation ». Enfin, la Décade philosophique complète cette revue de presse en rapportant : « On a donné à ce théâtre un nouveau genre de spectacle qui n’est ni comédie, ni drame, ni tragédie, ni opéra-comique, ni grand opéra. C’est un mélange de tragédie chantée et de tragédie parlée assez disparate pour les vrais amis de l’art, mais qui, dit-on, va s’introduire, puisque le public l’accueille ».
En conséquence, bien que l’oeuvre de Cherubini et Hoffman respecte la principale convention de l’opéra- comique (l’alternance d’épisodes parlés et chantés), Médée semble marquée par le mélange de plusieurs genres, tout en ayant suffisamment de liens avec l’opéra pour que le public et une partie des critiques contemporains la considèrent comme s’en approchant. À cette époque, le répertoire du Théâtre des Arts, ci-devant Académie royale de musique (l’Opéra), est encore dominé par les oeuvres de Gluck qui, durant son dernier séjour parisien (1774-1779), a profondément réformé le genre avec des oeuvres comme Iphigénie en Aulide (1774) et les versions françaises d’Orphée et Eurydice (1774) et d’Alceste (1776). Or, alors que le genre de Médée semble approcher des oeuvres du compositeur allemand, Cherubini lui est rapidement comparé après la création de son opéra-comique. On lit par exemple dans les Petites affiches :
« Poursuis, Chérubini [sic], ta brillante carrière ;
Chaque jour te conduit à l’immortalité.
L’envie aux grands Auteurs est trop souvent contraire ;
Goûte en paix les douceurs de la célébrité.
De Gluck en toi renaît le talent admirable ;
Par tes accords divins, on se sent transporté :
De Médée en fureur, tu peins si bien la fable,
Qu’elle prend à nos yeux l’air de la vérité.
De fleurs et de lauriers que n’ai-je une couronne,
Je briguerais l’honneur de te la présenter ;
Mais en t’applaudissant, le public te la donne.
L’obtenir est moins doux que la mériter. »
Dans Médée, Cherubini s’approche des oeuvres de Gluck grâce au maintien et à l’accumulation tout au long de son opéra-comique d’une grande tension dramatique et musicale. Dès les premières scènes, le compositeur expose musicalement les passions violentes qui vont être mises en scène tout au long de l’oeuvre. Dans l’ouverture, en fa mineur, d’un tempo vif et avec un orchestre important (pas moins de 4 cors) mais dont les trompettes et les trombones sont étrangement absents, la nuance y est continuellement forte. L’intensité dramatique diminue à la mesure 197 lorsque que la tonalité passe en fa majeur, produisant une forme d’apaisement dans le discours musical, avant de revenir à la tonalité principale lors d’une courte réexposition du premier thème, où l’orchestre semble exploser juste avant le lever de rideau. Puis, sans qu’un dialogue ne vienne interrompre la musique, Cherubini enchaîne à cette ouverture énergique un premier numéro choral contrastant par son tempo andantino con moto. Si le compositeur semble suivre ici la tradition de l’opera seria de la fin du XVIIIe siècle en commençant par un numéro choral, ce procédé n’est pas non plus sans rappeler le premier choeur d’Iphigénie en Tauride de Gluck. Enfin, après une marche triomphale, Cherubini donne à Jason un air (le seul de ce personnage) rappelant également les parti-pris du compositeur allemand qui souhaitait approcher au plus près de la « vérité de l’expression » dans ses dernières oeuvres parisiennes : de forme rondeau, en la majeur et de tempo larghetto, cet air est uniquement accompagné par les cordes. La nervosité de l’ouverture est donc abandonnée au profit de la déclamation du texte et du charme de la mélodie.
Dans le reste de l’oeuvre, Cherubini ne cesse d’assombrir l’action par ses effets d’orchestre. Citons par exemple le long prélude instrumental du deuxième acte, en do mineur, qui peint l’agitation intérieure de l’héroïne par des innovations harmoniques dont sauront se souvenir les compositeurs du XIXe siècle de Weber à Wagner. Puis, dans l’air de Néris, la suivante de Médée, Cherubini approfondit sa recherche de pathétisme par un accompagnement composé des cordes et d’un plaintif basson obligé soulignant la lamentation de la jeune femme. Enfin, le second entracte, représentant une tempête qui peint le portrait psychologique de Médée, est caractérisé par l’utilisation soutenue des dynamiques et les gammes ascendantes et descendantes frénétiques, ponctuées par les interventions stridentes du piccolo.
Ainsi, tout au long de l’oeuvre, Cherubini, qui représente de manière presque imagé le drame, semble s’inscrire dans la continuité des opéras de Gluck et rapprocher l’opéra-comique de la tragédie lyrique. Mais si ce phénomène semble établi tant par la réception critique de l’oeuvre que par les références qui y sont faites, on peut s’interroger sur les circonstances qui ont permis un tel mélange des genres.
Médée : Une œuvre révolutionnaire ou une œuvre de la Révolution ?
Durant l’ancien Régime, la création d’une oeuvre « hybride » comme Médée, entre opéra-comique et grand opéra, n’aurait pas été possible à l’Opéra-Comique. D’ailleurs, si l’on étudie les registres du Théâtre Favart, on remarque que les ouvrages traitant de ce mythe sont systématiquement rejetés par le « comité de lecture » constitué des sociétaires de ce théâtre. À la veille de la Révolution, les théâtres sont encore régis par les privilèges qui interdisent à l’Opéra de jouer un Opéra-Comique et vis-versa. Toutefois, les événements révolutionnaires vont venir bousculer le fonctionnement des théâtres, ainsi que la législation qui les régit.
Après l’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789, les théâtres privilégiés demandent à garder leurs monopoles. Un an plus tard, le 16 août 1790, l’Assemblée nationale décrète provisoirement que « les spectacles publics ne pourront être permis et autorisés que par les Officiers municipaux ». Ceux-ci permettent alors aux théâtres d’exploiter leurs privilèges pour une période donnée. Toutefois, avec ce texte provisoire, l’Assemblée nationale ne fait que repousser la question de la liberté des théâtres (et du droit d’auteur) à plus tard. Ainsi, le 13 janvier 1791 un nouveau décret vient préciser le premier texte. Dès lors, « tout citoyen pourra élever un théâtre public et y faire représenter des pièces de tous les genres, en faisant, préalablement à l’établissement de son théâtre, sa déclaration à la municipalité des lieux ». Dégagé de la contrainte du privilège, le nombre de théâtres parisiens explose passant des quatre salles privilégiées de l’Ancien Régime (Académie royale de musique, Comédie française, Opéra-Comique et le Théâtre de Monsieur) à vingt et une scènes en 1792, tandis que, théoriquement, chaque théâtre peut représenter des oeuvres sans distinction de genre.
Assez rapidement, les théâtres d’opéra-comique font représenter des oeuvres pathétiques dont les sujets auraient pu être mis en scène à l’Opéra. Ainsi, à partir de 1790, le genre de l’opéra-comique subit de profondes transformations sous l’influence des oeuvres des compositeurs de la génération de Cherubini. Citons parmi les plus célèbres : Méhul, Lesueur ou Steibelt. Cette transformation commence avec la création d’Euphrosine et Coradin, ou le Tyran corrigé de Méhul, créée le 4 septembre 1790. Comme l’indique Adolphe Thurner, « à partir d’Euphrosine, un genre sérieux, tendu, emphatique, absorba le répertoire de l’opéra-comique pendant dix ans ». Par la suite, les oeuvres qui, comme Euphrosine, mettent en scène des personnes enfermées ou soumises à la volonté d’un tyran, se multiplient. Toutes ont en commun une mise en scène spectaculaire et une éloquence musicale proche des oeuvres de Gluck. Citons par exemple Lodoïska (Cherubini, 1791), Camille, ou le Souterrain (Dalayrac, 1791), Mélidor et Phrosine (Méhul, 1795) Roméo et Juliette (Steibelt, 1795). Finalement, Médée, qui est créée tardivement dans ce contexte, semble être à posteriori, l’un des témoignages les plus puissants de ce type d’oeuvres qui connaît une vogue particulière dans la première partie de la Révolution.
Le « thermidor de l’opéra-comique »
L’éloquence musicale extrêmement puissante pour un opéra-comique et le sujet à mi-chemin entre grand opéra et tragédie vont rapidement susciter le débat autour de Médée. Les acteurs-chanteurs du Théâtre Feydeau, pourtant excellents et dont les mérites sont largement reconnus tant pour la création de Médée que pour celles des autres oeuvres hybrides créées à ce théâtre, vont néanmoins être mis en défaut par les exigences importantes pour l’époque de l’opéra-comique d’Hoffman et Cherubini. On lit par exemple dans le Censeur dramatique :
« Ce qui laisse peut-être encore quelque chose à désirer, c’est le jeu des Acteurs. Cette Pièce est une véritable Tragédie, et aucun de ceux qui y jouent n’a probablement exercé son talent dans ce genre ; cependant on doit louer en général, non-seulement leurs efforts, mais même l’expression qu’ils savent mettre dans les passions qui jusqu’ici ont dû leur être étrangères ».
Malgré les efforts des acteurs, le genre de l’oeuvre, étranger au répertoire courant du théâtre, semble donc poser quelques difficultés aux acteurs-chanteurs dont le manque d’expérience pour jouer la tragédie n’a pas échappé aux critiques. Mais le livret de Médée n’est pas le seul objet de débat, et bien vite des considérations musicales s’invitent dans la discussion. Ainsi, le commentateur de la Décade philosophique écrit :
« Si jamais sujet et conception dramatique pouvaient prêter au terrorisme musical, c’est assurément celui de Médée ; aussi le compositeur n’a-t-il négligé aucun de ses moyens, et a-t-il déployé tout son talent en ce genre. La monotonie du sujet l’a nécessairement rendu monotone lui-même, et sa musique, pour les oreilles peu exercées, doit ne paraître qu’un de ces longs préludes qu’une main savante exécute sur un instrument, en passant dans tous les tons, à travers toutes les dissonances ; mais les oreilles profondément musiciennes ont dû trouver souvent des motifs d’admiration pour le talent de Cherubini ; malheureusement ce n’est pas le grand nombre. »
À peine trois ans après la chute de Robespierre, il ne faut pas comprendre le terme « terrorisme » dans le sens que nous lui donnons aujourd’hui, mais plutôt dans le sens d’un acte de terreur. Ainsi, la musique de Cherubini semble créer l’effroi chez une partie des spectateurs par la richesse de son harmonie et son orchestration puissante qui ne paraît pas être goûtée par l’ensemble du public. Or, depuis l’apparition des oeuvres hybrides sur les théâtres d’opéra-comique, les critiques se multiplient au sujet de l’élévation du niveau sonore dû à la présence accrue des cuivres et des percussions dans l’orchestre. On lit par exemple au sujet de Sophie et Moncars de Gaveaux :
« Ajoutons encore que nous ne saurions nous familiariser avec ce charivari d’instruments à vent, dont on surcharge aujourd’hui les moindres Ariettes. Il nous semble que ces cors, ces clarinettes, ces trombones, ces timbales, ces trompettes et ces bassons doivent être réservés pour la Musique militaire, pour les symphonies, pour les fêtes publiques ; ou que, si on les admet dans l’Orchestre de l’Opéra comique, ils doivent ne figurer que dans l’Ouverture, et garder le silence pendant les Ariettes. Ce tintamarre, harmonieux nous en convenons, plaît au vulgaire, en raison du bruit et du tapage dont il l’étourdit, mais l’homme sensé, l’âme sensible, le véritable Amateur du vrai et du beau, ne voit, dans ces moyens, qu’un charlatanisme à la mode [...]. »
Grétry, dans ses Mémoires, ou essais sur la musique, publiés l’année de la création de Médée, recommande même de « rétrograder vers la simplicité » afin de ramener l’opéra-comique dans son lit d’origine. Ainsi, le 29 janvier 1798, soit moins d’un an après la première représentation de l’oeuvre de Cherubini, Le Prisonnier, ou la Ressemblance de Della-Maria est créé. Cette oeuvre, retenue par l’historiographie comme une « réaction thermidorienne » pour l’opéra-comique marque un nouveau tournant dans l’évolution du genre en y ramenant la légèreté et en éclipsant les oeuvres pathétiques créées durant la décennie Révolutionnaire.
Finalement, malgré ses qualités dramatiques et musicales, Médée semble être créée trop tard dans cette décennie pour connaître un succès durable. Car si la mode des opéras-comiques pathétiques a marqué le répertoire des théâtres Favart et Feydeau entre la prise de la Bastille et la chute de Robespierre, une forme de lassitude pour ces ouvrages semble apparaître peu de temps après la création de l’oeuvre de Cherubini et Hoffman. Toutefois, Médée ne disparaît pas pour autant de la scène lyrique internationale et connaît de nouveaux succès, en particulier en terres germaniques où elle sera reprise tout au long du XIXe siècle. Ainsi, cet opéra-comique est donné en 1800 à Berlin et deux ans plus tard à Vienne. Par la suite, Médée, dont nous avons souligné le caractère hybride, sera adapté en opéra. Ses dialogues parlés seront remplacés par des récitatifs par Lachner pour une production créée à Francfort en 1855. Enfin, la création italienne à la Scala de Milan donnera lieu à une version en italien, popularisée par Maria Callas en 1953. Entre temps, l’oeuvre de Cherubini aura inspiré de nombreux compositeurs de Beethoven à Brahms. Ce dernier considérait d’ailleurs Médée comme « le sommet de la musique dramatique ».
Médias
Médée : Tineke van Ingelgem (Médée), Orchestre Dijon Bourgogne, Nicolas Krüger
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Médée à l’Opéra de Dijon
Médée à l’Opéra de Dijon !
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Gilles Abegg - Opéra de Dijon

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Médée Remix
Comment faire découvrir l’opéra à des adolescents ? Comment rendre cet art actuel et faire résonner les problématiques de la jeunesse dans le monde de Médée ? C’est le pari relevé par l’Opéra de Dijon avec la complicité de Jean-Philippe Naas (metteur en scène), Mathias Baudry (scénographe) et toute l’équipe pédagogique du collège Champollion de Dijon, menée par Nachida Linneck (enseignante de français) pour une classe de 3e .
Depuis le mois de septembre 2015, à raison d’une fois tous les deux mois environ, les élèves de 3e C ont travaillé avec Jean-Philippe Naas et leurs enseignants autour du texte de Médée et du jeu de comédien, lors d’ateliers au collège et à l’Opéra. Ces ateliers ont mené à la création d’un petit spectacle, donné en avant-opéra de la seconde représentation de Médée .
La musique du spectacle a été interprétée par des étudiants du PESM de Dijon. Ils ont également travaillé, depuis septembre 2015, sur une réadaptation de la musique de Cherubini afin de la faire découvrir aux élèves et les accompagner dans ce spectacle.
Tout au long du projet, les élèves ont suivi une école du spectateur, ont visité les coulisses de l’Opéra, ont participé à un atelier autour de la conception d’une production lyrique et ont assisté à l’opéra Médée , lors de la pré-générale.
Vous avez pu assistez au rendu de ces 6 mois de travail, à la vision actuelle du mythe de Médée , aux enjeux qui résonnent encore pour les adolescents aujourd’hui.