Présentation
Distribution
Turandot
Conte chinois en deux actes
Créé au Stadttheater de Zurich, le 11 mai 1917
LIVRET Ferruccio Busoni, d’après la pièce de Carlo Gozzi
MUSIQUE Ferruccio Busoni
ORCHESTRE DIJON-BOURGOGNE
CHŒUR DE L’OPÉRA DE DIJON
DIRECTION MUSICALE Daniel Kawka
MISE EN SCÈNE ET CHORÉGRAPHIE Cisco Aznar
SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES Luis Lara
VIDÉO Cisco Aznar et Andreas Pfiffner
LUMIÈRES Samuel Marchina
COLLABORATRICES ARTISTIQUES DU METTEUR EN SCÈNE Laure Dupont, Hannah Shakti
CHEF ATELIER COSTUMES Julie Lardrot
CHEF DE CHOEUR Valérie Fayet
CHEF DE CHANT Emmanuel Olivier
LA PRINCESSE TURANDOT Sabine Hogrefe
L’EMPEREUR DE CHINE ALTOUM, SON PÈRE Mischa Schelomianski
ADELMA, CONFIDENTE DE TURANDOT Diana Axentii
LE PRINCE INCONNU (KALAF) Thomas Piffka
BARAK, SERVITEUR DE KALAF Bernard Deletré
LA REINE-MÈRE DE SAMARKAND Stéphanie Loris
TRUFFALDINO Loïc Felix
PANTALONE Josef Wagner
TARTAGLIA Igor Gnidii
DANSEURS Noémi Alberganti, Vincent Clavaguera Pratx, Laure Dupont, Yannis François, Luciana Reolon, Hannah Shakti
AVEC LES APPRENTIS-ARTISTES DU CENTRE D’ART ET DE FORMATION AUX ARTS DU CIRQUE - ACADÉMIE FRATELLINI Pauline Barboux, Sabrina Ben Hadj Ali, Aline Chapet-Batlle, Nathalie Dongmo, Gaëlle Estève, Malte Peter, Jeanne Ragu
AVEC LES ÉLÈVES DU CONSERVATOIRE À RAYONNEMENT RÉGIONAL DE DIJON Augustin Alriq, Brandon Duterrier, Annaelle Gravier, Anaïs Lehujeur, Aude Louvet, Sophia Rifad, Madeline Ruminski
AVEC LA PARTICIPATION DE Bertille Lucarain et Maroon Bourgeois
Synopsis
L’époque est celle de la fable légendaire, le lieu l’Extrême-Orient.
ACTE I
Premier tableau : Devant les portes de Pékin
Kalaf, à l’affût de son destin, salue la ville qui est « le soleil du monde ». Survient Barak, tout surpris de reconnaître son ancien maître qu’il croyait mort. Kalaf lui apprend que le roi, son propre père, est vivant ; dans la foulée, il annonce qu’il veut le jour même rencontrer l’Empereur de Chine. Barak tente de l’en dissuader en lui décrivant la cruauté de la Princesse Turandot, mais rien n’y fait, pas même l’apparition de la Reine-mère de Samarkand dont le fils vient d’être décapité du fait de la Princesse et qui se lamente sur sa mort. Au contraire, la vue du portrait de Turandot convainc Kalaf de tenter les énigmes qui lui permettront peut-être d’épouser la Princesse.
Deuxième tableau : Dans la salle du trône du palais
Truffaldino, chef des eunuques (et personnage de la commedia dell’arte), donne des ordres aux esclaves afin de préparer la salle pour une nouvelle séance d’énigmes — le tout accommodé des pitreries qui caractérisent Truffaldino. Entrent les huit sages, puis l’Empereur lui-même auquel on présente bientôt Kalaf, le nouveau prétendant ; celui-ci se dit de sang royal mais refuse de révéler son identité ; l’Empereur tente à son tour de l’en dissuader mais le jeune homme est résolu ; Turandot fait son entrée et pose bientôt les trois énigmes qu’à la surprise générale, Kalaf résoud sans difficulté : l’esprit humain, la coutume et l’art sont les trois réponses. Voyant que c’est à contre-coeur que Turandot va l’épouser, Kalaf lui propose à son tour une énigme : « Quels sont le nom et l’origine du prince étranger qui, parvenu au sommet de son bonheur, est plus malheureux que jamais auparavant ? » Si elle parvient à répondre, Turandot sera libre...
ACTE II
Troisième tableau : Dans les appartements de Turandot
La Princesse, que le jeune étranger a su émouvoir, confie ses doutes à sa suivante Adelma. Comment résoudre cette énigme et par là-même, conserver sa fierté ? Survient Truffaldino qui, malgré ses simagrées, n’a rien de neuf à annoncer. C’est au tour d’Altoum de rendre visite à sa fille, mais ce sera finalement la fidèle Adelma qui révélera à Turandot l’identité du jeune prince qu’elle a connu dans son enfance. En donnant à Turandot la possibilité de garder sa liberté, Adelma gagne la sienne.
Dernier tableau : La salle du trône
Tous sont rassemblés pour cette nouvelle séance du divan. Turandot entre aux sons d’une musique funèbre qui ne présage rien de bon. À la stupéfaction générale, elle dévoile l’identité du prince étranger : « Kalaf, fils de Timour ». Atterré, Kalaf s’apprête à prendre congé quand, coup de théâtre, Turandot révèle qu’elle l’aime ... L’opéra s’achève dans les réjouissances du mariage et le dévoilement du Bouddha, non sans qu’une dernière énigme n’ait été posée par le couple : celle de... l’amour !
Entretiens
Entretien avec Daniel Kawka
Busoni est aujourd’hui un compositeur peu joué. Il fait partie, avec d’autres comme Schreker ou Korngold, de ces courants musicaux foisonnants qui, creusant l’héritage problématique laissé par Wagner, remettent en question l’opéra dans sa forme, dans sa structure et dans sa dramaturgie, chacun explorant une direction qui lui est propre. Courants balayés après-guerre par la prédominance accordé par la jeune génération de l’époque à la Seconde École de Vienne. Comment situez-vous l’œuvre de Busoni dans cette histoire musicale ?
Je crois qu’après les grands courants stylistiques, les grandes ruptures esthétiques qui parsèment l’histoire de la musique — et Wagner en est une — il y a toujours eu des générations sacrifiées… Busoni, Korngold ou Schreker sont des compositeurs qui n’ont pas radicalement réévalué la dynamique syntaxique ou esthétique de leur temps pour créer une révolution et marquer fortement l’histoire de leur empreinte personnelle. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne soient pas géniaux ! Turandot, par exemple, est un chef-d’œuvre absolu, je m’en rends compte chaque jour en l’approfondissant… Mais l’onde de choc wagnérienne les a happés. Lorsque de très forts moments, ou ruptures stylistiques se produisent, incarnés par une personnalité ou une école, la génération qui suit est bien souvent et malheureusement perdue — on peut observer le même phénomène après Beethoven ou un siècle plus tard, dans les années soixante, avec les grands courants dits sériel et post-sériel. Et lorsque la Seconde École de Vienne s’est affirmée, produisant une nouvelle rupture, dans le langage musical lui-même cette fois, tous les compositeurs situés au carrefour de ces grandes lignes de forces sont passés à la trappe. Que Busoni ne soit pas régulièrement joué aujourd’hui fait partie des énigmes de l’histoire. On retrouve le même phénomène en peinture avec les impressionnistes hongrois, qui sont totalement ignorés aujourd’hui et ont pourtant produit de véritable chefs-d’œuvre. Mais ils sont restés dans l’ombre de l’impressionnisme français qui en avaient posé les jalons esthétiques avant eux, suscitant une révolution.
Ce qui est frappant, c’est que la Seconde École de Vienne est justement l’un de ces courants… et à l’époque de son activité, ni le plus joué, ni le plus influant, loin de là ! Il y eu après-guerre un regard rétrospectif porté sur cette période, dont on a extrait un des courants, le sérialisme, au détriment de toutes les tentatives qui l’entouraient, pour en faire le modèle de toute musique à venir. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il y a là comme un souci d’historicité propre à nos sociétés modernes, un principe d’appréciation assez récent finalement. Avec le recul du temps, on inscrit dans la longue courbe de l’évolution du langage les courants qui sont des courants de « radicalité ». Tous les courants intermédiaires, qui ne sont pas novateurs sur le plan du langage musical, mais le sont par exemple sur le plan expressif, sur celui de la réévaluation du spectacle — comme Turandot, qui est au carrefour de l’opéra buffa et du drame et tente une nouvelle forme d’opéra — en sont exclus. On réévalue l’histoire à l’aune d’un seul élément, la radicalité du langage, comme grille de lecture. Dans cette grille-là par exemple, Debussy prend une importance capitale, météore reléguant dans l’ombre toute la Schola Cantorum, les compositeurs comme D’Indy, Ropartz ou Roussel dont la recherche était autre. Sur ce schéma d’évolution, avec cette orientation particulière sinon arbitraire, ils sont « en creux » et sont considérés comme des compositeurs mineurs, comme Weill et Busoni par exemple.
Busoni effectivement semble poser sa problématique non pas en terme de langage musical — qui apparaît assez « classique », sans chromatisme marqué ni dissolution de la tonalité — mais en termes plus largement esthétiques. Il entame toute une réflexion sur l’opéra, en allant de manière paradoxale chercher avant Wagner, chez les compositeurs pré-romantiques par exemple. L’utilisation d’un texte de Gozzi réalise en fait le rêve d’un écrivain et compositeur comme E. T. A. Hoffmann, qui voulait chercher chez le dramaturge italien la distanciation que produit la féerie. Il semble que Busoni, en renouant avec cette esthétique préwagnérienne, cherche à faire une synthèse du romantisme et de l’esprit classique — il admirait Mozart — avec son souci de clarté intellectuelle et rationnelle, d’équilibre formel.
C’est tout à fait exact. Il y a deux lectures possibles de la partition. Il y a d’abord comme une sorte de maillage de références à des moments dramaturgiques précis : des climax très wagnériens ou straussiens, avec un grand pathos dans l’orchestration ; puis des moments d’esprit classique, de lumineuse clarté, l’arioso de Kalaf par exemple au tout début, avec cette transparence des cordes en sourdine doublées au célesta avec appel de cors, qui nous plongent dans l’univers de la musique française et sa légèreté d’instrumentation. La première impression qui apparaît à la lecture, c’est bien cet espèce de collage, de patchwork stylistique, parce que Turandot joue à deux niveaux, le niveau de la farce, évidemment, et le niveau dramatique, avec la présence de la mort latente ou du désespoir, comme celui de Kalaf renonçant à Turandot si celle-ci ne peut répondre à son amour à la fin de l’ouvrage. Mais on s’aperçoit ensuite, et c’est bien là où Busoni apparaît comme un très grand compositeur, qu’il en joue comme d’un outil harmonique, un accord ou une dissonance, dans une dialectique qui fait intervenir la mémoire historique : allant tantôt chercher un plan très classique ou très moderne, de manière citationnelle, mais au service d’une tension et d’une dramaturgie qui via un opéra court retrouve la densité de Wozzeck avec sa structuration sur des formes classiques traitées de manière atonale. Turandot retrouve ainsi par bien d’autres moyens cette construction sans faille et le fameux « fil rouge » qui pour Schönberg assure à chaque œuvre une éloquence, une ligne de tension totales. Il y là une conscience de la construction propre au genre opéra et de son fonctionnement, de cette fusion organique entre forme musicale et texte qu’il exige, érige, et qui pour moi s’inscrit dans une lignée wagnérienne. Il n’y a pas néanmoins comme chez Puccini ces moments où l’éthos de la voix au lyrisme sensuel, prend le dessus sur tout et inclut la forme, la dramaturgie et l’orchestration dans cette jouissance immédiate de la voix et de la ligne.
En somme cette partition est faussement simple ! Son apparent classicisme cacherait un travail qui dans son détail est beaucoup plus radical qu’il en a l’air ?
Exactement. Et ce qui m’est apparu en étudiant et jouant cette partition, c’est que tous ces moments qui semblent posés les uns à côté des autres, sont extrêmement bien organisés en terme de glissements de tempo, avec des tuilages d’une scène à l’autre qui assurent une unité extraordinaire. Tout ce travail de collage d’éléments hétérogènes dont nous parlions tout à l’heure est travaillé « en dessous » par une flexibilité des tempi qui lui assurent une absolue homogénéité et crée une véritable continuité. Et il y a là une dimension wagnérienne qu’on ne trouve pas chez Verdi ou Puccini. Et tout cela dessine, à travers Kalaf et Turandot en particulier, un chemin psychologique : à travers toutes ces énigmes, ils finissent par trouver leur propre identité. Le travail d’orchestration est aussi absolument magnifique : il y a là un jeu des timbres, de la matière, de la texture, qui est très contemporain et qui n’appartient qu’à lui. Et sa palette orchestrale polychrome est toujours mise au service de l’expression. Cisco Aznar, sans que l’on se soit concertés, et sans doute parce qu’il vient de la chorégraphie et non de la dramaturgie théâtrale, et qu’il a donc une vision plastique et temporelle de la forme, a eu le même souci de trouver, par le mouvement, une forte unité spatio-temporelle. J’ai suivi son travail depuis le premier jour des répétitions : tous ces mouvements qu’il crée sur scène, qui se répondent dans la même simultanéité que ceux de la partition, révèlent et dessinent la profonde unité organique de l’œuvre. Je n’ai cessé en voyant son travail de me dire à chaque fois : « C’est cela ! ». Comme pour la partition de Busoni, il ne faut pas s’y tromper cependant : s’il semble multiplier les éléments hétérogènes, film, scènes conçues comme de petites unités indépendantes, évocations d’univers très différents, mouvements de foule, danse et cirque, ces éléments sont tous parcourus par un même souci d’unité et occupent un double espace-temps, poétique et onirique, créent une fluidité tout à fait conforme à celle de la partition, suivant cette fameuse ligne rouge qui donne à l’œuvre sa cohérence totale, alors qu’elle peut apparaître de prime abord comme une architecture morcelée. Son travail et son intuition ont été des révélateurs pour saisir la partition dans son essence même.
Le destin de Busoni m’a toujours semblé très proche de celui de Mahler. Ils sont contemporains, se connaissaient très bien, et chez tous deux l’interprète, le Mahler chef d’orchestre et le Busoni pianiste, a masqué le compositeur pour leurs contemporains. Pensez-vous qu’une réhabilitation de Busoni, comme celle que vit l’œuvre de Mahler depuis une trentaine d’années, soit possible ?
Je le souhaite ! Mais Mahler a eu le mérite de traduire sa psyché, son « acte créateur » en un seul grand geste musical, un grand geste historique, celui de la symphonie. Il a donc bénéficié d’une « lisibilité » plus... tangible, s’inscrivant dans la grande tradition de la symphonie allemande. Il occupe également une place plus évidente dans le schéma d’évolution dont nous parlions tout à l’heure, prolongeant la tradition beethovenienne et wagnérienne et préparant par maints aspects la modernité de l’école de Schönberg. Busoni, dont l’œuvre se disperse sur plusieurs genres et explore de nombreuses directions simultanément, est beaucoup moins classifiable et identifiable aujourd’hui, sa reconnaissance prendra certainement plus de temps. Il y a là comme l’inconvénient d’être un OVNI…
Propos recueillis par Stephen Sazio